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Le coronavirus a-t-il finalisé le divorce entre la France qui dirige et celle des Gilets Jaunes ?
©ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Séparation définitive ?

Les Gilets Jaunes d'hier sont, bien souvent, aujourd'hui en "première ligne" dans la lutte contre le Covid-19. Et s'ils font partis de ceux qui portent actuellement le pays à bout de bras, cela pourrait aussi signer définitivement le divorce entre cette France et celle qui la gouverne.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : La crise sanitaire liée au Covid 19 a-t-elle marqué le divorce définitif entre les Gilets Jaunes et le gouvernement ou, au contraire, a-t-elle permis de faire bouger les lignes ?

Chloé Morin : Ce que nous constatons, dans les chiffres de l'Ifop analysés avec Jérôme Fourquet, c'est qu'il existe une correspondance sociologique assez étroite, même si imparfaite pour certains segments (comme les fonctionnaires) entre les Gilets jaunes d'hier, et ceux qui sont aujourd'hui en "première ligne". Or, ces derniers sont certes heureux de la considération nouvelle que semble leur accorder le pays qu'ils portent à bout de bras aujourd'hui, mais ils n'en restent pas moins amers vis à vis de la politique gouvernementale, qui a tendu à les fragiliser depuis 3 ans, et vis à vis de situations de travail qui mettent parfois leurs vies en danger. Nous assistons en quelques sortes, sur le plan symbolique, à une inversion de la hiérarchie sociale. Mais il ne pourrait y avoir de "réconciliation" possible entre ces catégories et Emmanuel Macron que si ce dernier tirait des conclusions de l'effort fourni pour le moyen et long terme. 

On a vu, avec la visite de Macron à Raoult, une tentative présidentielle de marquer sa considération pour cette France des "humiliés", des "méprisés", des premiers de corvée et des "décro" qui se reconnaît dans cette figure atypique. Avec un résultat, sans doute, peu probant, tant la défiance et le soupçon de manipulation est grand chez les Gilets Jaunes vis à vis du pouvoir actuel.

Le message "on n'oublie pas", employé à de nombreuses reprises par l'extrême gauche sur les réseaux sociaux pour inviter l'opinion à garder en mémoire les actions "liberticides" du gouvernement, a dernièrement été détourné par certaines personnalités de droite pour rappeler les dégâts causés pendant les manifestations des Gilets Jaunes. Que signifie cette instrumentalisation politique du "On n'oublie pas" ? Quel sont les enjeux de cette lutte autour de la mémoire collective ?

Avec l'inversion de la hiérarchie sociale que j'évoquais à l'instant, les Gilets jaunes d'hier vivent une forme de revanche par procuration sur des élites économiques et politiques qui, à leurs yeux, ne savaient pas reconnaître l'importance de leur contribution à la vie économique et sociale de notre pays. 

Certains y voient l'espoir que, le rapport de force étant modifié, leurs revendications d'hier auront un débouché demain. Ce qui, forcément, génère des tensions chez leurs opposants d'hier, notamment à droite - même si à mon sens cet affrontement ne peut vraiment être pensé en termes gauche/droite ou même peuple/élites, tant notre pays est fragmenté. 

Rappelons que c'est autour de la thématique de l'ordre et du rapport à l'autorité que l'unité nationale initiale - initialement, tous les responsables politiques "comprenaient" voire "soutenaient" les Gilets jaunes, de l'extrême gauche à l'extrême droite - autour des Gilets jaunes s'est fissurée. L'image du mouvement s'est dégradée avec les violences et le surgissement des casseurs au sein de leurs manifestations. Peu à peu, les gilets jaunes initiaux, qui parlaient de justice et de pouvoir d'achat, ont été dépossédés de leur mot d'ordre. Leur incapacité à se doter de représentants a accentué ce brouillage de leur image aux yeux d'une partie de l'opinion, car ils ne pouvaient dès lors clairement et "officiellement" se désolidariser des casseurs comme le ferait un syndicat. 

Au-delà de cette bataille sur le passé qui se rejoue, c'est l'avenir du climat social qui semble en jeu : une partie des contempteurs des Gilets jaunes cherchent à réactiver dans l'opinion la mémoire de la peur du désordre afin de conjurer la formation d'un potentiel nouveau mouvement, qui pourrait prendre appui sur la popularité des "premières lignes" d'aujourd'hui pour porter des revendications sociales dans les entreprises à l'issue du confinement. 

Au sortir de la crise, le gouvernement risque-t-il de céder à des demandes populistes pour regagner la confiance des Français? Sera-t-il en mesure de prendre des décisions fortes afin de parer à la crise économique qui s'annonce ?

Tout dépend de ce que l'on entend par "populiste"... Car au fond, à ce stade, les revendications que l'on entend relèvent surtout de la justice sociale et n'ont rien de véritablement révolutionnaire. La demande d'exemplarité des dirigeants, à travers la distribution des dividendes par exemple, ou de reconnaissance sociale pour ceux qui risquent leur vie en allant travailler, n'ont pas grand chose d'extrêmiste. 

En revanche, si elle n'était pas entendue, il y a fort à parier que cette demande se radicalise, et génère des tensions sociales tant dans l'entreprise que dans le champ du débat politique. 

Toute la question est de savoir si cette demande saura se structurer davantage que les Gilets jaunes n'ont su le faire, ou si elle saura trouver dans l'offre politique actuelle des porte paroles crédibles et efficaces. 

Que penser de l'affrontement entre le Medef et Xavier Bertrand au sujet du renforcement du temps de travail pour les salariés après la crise ?

Xavier Bertrand s'est fait le porte parole d'une indignation très répandue dans l'opinion aujourd'hui, qui dépasse à mon sens largement le cercle des salariés aujourd'hui "au front", qui craignent pour leur santé, et concerne aussi toutes les classes moyennes fragilisées - ou craignant de l'être - par la situation économique. 

Ce que nous voyons dans les enquêtes, c'est que la plupart des Français ont déjà le sentiment de "faire des efforts", qu'il s'agisse de continuer à travailler - ce qui, rappelons le, concerne plus des 2/3 des Français, que ce soit en télétravail ou sur leur lieu de travail - ou bien de respecter les règles très contraignantes du confinement. 

Or, ils ont non seulement le sentiment qu'ils ne sont pas responsables de la crise, mais que l'ampleur de celle-ci, sur le plan économique, a été accru par sa mauvaise gestion par leurs dirigeants. Il est donc d'autant plus insupportable de leur demander de "régler la facture"... Les leçons sur le sujet sont d'autant plus insupportables pour les premières lignes qu'elles émanent souvent de dirigeants qui, comme de nombreux états-majors d'entreprises, sont "à l'abris", en télétravail chez eux, voire même ne respectent pas les règles de confinement... Dans la période qui vient, consentement du peuple et exemplarité des "élites" vont sans doute, plus encore qu'auparavant, être étroitement liés.

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