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La grande amnésie : ces LR et ces socialistes qui oublient totalement ce qu’étaient vraiment leurs partis
©AFP

Mémoire sélective

Un certain nombre de ténors républicains s’émeuvent de la droitisation de leur parti en oubliant ses programmes des années 80 et 90. Côté socialiste, ceux qui s’offusquent du libéralisme de Macron zappent pour leur part que le PS français a été l’un des principaux promoteurs de la libéralisation financière dans le monde du temps de François Mitterrand.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Suite à l'élection de Laurent Wauquiez à la présidence des LR, Xavier Bertrand a choisi de quitter les LR en déclarant : « Je ne reconnais plus ma famille politique alors j'ai décidé de la quitter ». ​Cependant, cette formule ne révèle t elle pas un mal politique plus profond au sein de la classe politique française, relevant presque de l'amnésie ? Ne peut-on pas considérer que la droite semble avoir oublié qui elle était en 1990 lorsqu'elle convoquait des états généraux de l'immigration préconisant "la Fermeture des frontières, ​la suspension de l'immigration, ​le fait de ​réserver certaines prestations sociales aux nationaux, ou encore l'​incompatibilité entre l'islam et nos lois" ? De la même façon, lorsque la gauche accuse Emmanuel Macron pour son libéralisme, ne peut-on pas considérer qu'elle oublie son tournant de la rigueur de 1983, et son action de libéralisation de l'économie depuis cette période ?

Christophe de Voogd : Il ne faut pas oublier d’où parle Xavier Bertrand : gaulliste social, chiraquien de toujours, élu avec les voix de la gauche à la région Hauts de France, il ne peut qu’être en désaccord stratégique avec la « ligne Wauquiez » ; et en rivalité personnelle avec le nouveau président LR qui est de la même génération politique tout en étant plus jeune ! Dans la vaste recomposition qui ne fait que commencer, Xavier Bertrand a vocation à rejoindre tôt ou tard le camp macronien, où il pourrait obtenir une place de choix. Il n’appartient pas à la génération du RPR des années 1990 et son expérience politique a été forgée dans le chiraquisme version 2002, année de son élection au Parlement : aucune armature idéologique, sauf la barrière absolue anti-FN. Du coup, la droite s’est interdit de parler d’ordre, de nation ou d’identité, valeurs pourtant centrales de son logiciel historique, terrorisée qu’elle était à l’idée d’être taxée de compromission avec l’extrême-droite.

Cette amnésie semble surtout révéler une classe politique prise dans un état de confusion entre ses discours et ses actes. Comment expliquer cette situation en France alors que des personnalités politiques, comme Ronald Reagan ou Margaret Thatcher ont pu jouer le jeu de la transparence vis à vis de leurs électeurs ? Pourquoi le corps politique français en est-il arrivé à un tel jeu de dupes vis à vis des électeurs ?

Le fossé entre discours et actes s’explique à gauche par le retour au principe de réalité qui à chacune de ses expériences de gouvernement est venue rappeler les limites de l’incantation : incantation économique en 1981 et 2012 ; incantation angélique en 2002. A droite, par la puissance de la gauche dans les syndicats, les médias et le monde intellectuel qui lui a fait renoncer à tout ou partie de son programme : voir l’expérience Sarkozy qui, selon moi, a tourné court dès le compromis avec les syndicats de la SNCF au printemps 2007.

Mais sur le fond, la force de la culture étatiste française, notre manie de légiférer sur tout, de nous tourner vers l’Etat sur tout, a finalement été le fil rouge des 40 dernières années : voir là encore le grand revirement de Nicolas Sarkozy avec la crise de 2008. Avec l’assentiment de l’essentiel de la droite qui est chez nous elle aussi de tradition étatiste. Du coup, déficit, dette et chômage de masse ont marqué les gouvernements successifs, incapables de faire les réformes structurelles adoptées partout ailleurs. Car il aurait fallu commencer par réformer l’Etat. Or cette culture de l’Etat existe bien moins dans les pays anglo-saxons : Reagan et Thatcher ont misé sur l’individualisme économique fondamental de leurs sociétés. Surtout, ces deux pays étaient arrivés au « bout du rouleau » à la fin des années 70 : crise financière, stagnation économique et déclin international. D’où l’épreuve de vérité. En sommes-nous là en France ? La réponse est encore incertaine : il est clair que le pays commence à mesurer l’ampleur de ses défis. Les recettes du passé ne font plus vraiment… recette dans l’opinion ! Mais « en même temps », celle-ci refuse la remise en cause de notre modèle social, les sacrifices lourds, les choix radicaux. Donc, plutôt Macron que Fillon !

Dans quelle mesure l'arrivée d'Emmanuel Macron, au delà de toute considération relative à sa ligne politique, peut-elle apparaître ici comme une rupture ? La relative concordance des politiques menées avec le discours de campagne, accompagnée d'une arrivée au pouvoir hors du cadre des partis, peut elle être une opportunité pour la classe politique du pays à en finir avec les pratiques passées ?

Incontestablement, la politique suivie par E. Macron est jusqu’à présent une rupture dans cette litanie de promesses non tenues : et le gouvernement souligne à l’envi dans son discours cette cohérence entre mesures annoncées et mesures adoptées, aussi modestes soient-elles. On l’a bien vu avec les Ordonnances Travail. C’est justement que le nouveau président a senti que le contexte avait radicalement changé : la perte de crédibilité de la parole publique étant devenue abyssale, l’enjeu de la cohérence devient désormais central dans les attentes des Français. Convictions et sens politiques des gouvernants peuvent enfin aller de pair, telle a été l’intuition fondamentale qui explique l’entreprise a priori folle de la candidature Macron. Et c’est cette cohérence qui est massivement saluée dans les sondages et explique le rebond de la popularité de l’Exécutif.  Mais il faut prendre en compte un autre élément capital : ce rebond est aussi dû à l’adhésion croissante du centre et d’une partie de la droite au « macronisme » qui se traduit jusqu’à présent par une politique plus à droite que ce qu’annonçait la campagne.
D’où une déception d’une partie de la gauche qui, à son tour, peut se sentir « trahie ». Mais là encore Emmanuel Macron voit juste : la société française, toutes les enquêtes le montrent, est globalement plus à droite qu’il y a 10 ou 20 ans. Jusqu’où le président ira-t-il dans cette direction ? Force est de constater qu’il se garde de trancher sur les questions d’identité, de laïcité, de mémoire, d’immigration, sur la place de l’Islam, autant de sujets qui deviennent pourtant très pregnants dans l’opinion publique. Ce n’est pas un hasard si Laurent Wauquiez tente de préempter ces thèmes, d’autant que le FN est affaibli…

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