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La chancelière allemande Angela Merkel et le ministre allemand des Finances et vice-chancelier Olaf Scholz lors de la réunion hebdomadaire du cabinet à la Chancellerie à Berlin, le 20 janvier 2021.
La chancelière allemande Angela Merkel et le ministre allemand des Finances et vice-chancelier Olaf Scholz lors de la réunion hebdomadaire du cabinet à la Chancellerie à Berlin, le 20 janvier 2021.
©FABRIZIO BENSCH / PISCINE / AFP

Elections

Dans un article pour L'Obs, le journaliste Pierre Haski a étudié et comparé le climat de la campagne électorale entre la France et l'Allemagne. Selon Pierre Haski, la comparaison des débats est accablante pour la France.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans une publication de l’Obs, le chroniqueur Pierre Haski établit une comparaison des débats politiques en campagne électorale entre la France et l’Allemagne. Il conclut en qualifiant cette comparaison d'accablante pour la France. Comme lui, plusieurs commentateurs ont souligné que les sujets ayant trait à l’immigration et aux questions identitaires étaient relativement absents des débats. Ce constat est-il réel ? Faut-il se réjouir que ces sujets n’aient pas été évoqués ?

Edouard Husson : Pierre Haski ne fait que refléter le manque de connaissance de l'Allemagne, devenu catastrophique, dans les médias français. Par bien des aspects, il n'y a pas d'alternance, contrairement à ce qu'il dit en commençant. Olaf Scholz est encore vice-chancelier du gouvernement Merkel. Ce qui caractérise les seize ans d'Angela Merkel, c'est que douze ont été passés en grande coalition avec le SPD. Le seul véritable changement, c'est le départ d'Angela Merkel, dont l'influence sur la politique allemande a été délétère. Et l'un des legs les plus critiquables d'Angela Merkel, c'est précisément, qu'elle a transformé un problème relativement maîtrisable - l'assimilation des Turcs - en un énorme problème: l'assimilation d'un Islam désormais partagé entre des arabophones, des turcophones et des persophones, entre sunnites et chiites, du fait de l'entrée de plus d'un million de migrants en 2015-2016. Si Monsieur Haski connaissait un peu l'Allemagne, il saurait qu'elle est, comme la France en proie aux difficultés de l'intégration de l'Islam: nombreuse sont les mosquées qui ont d'ores et déjà annoncé qu'elles ne recuteraient pas des imams formés dans l'école allemande des imams ouverte en juin 2021. Autre exemple: l'opinion allemande a été choquée d'apprendre, il y a quelques jours, que désormais les appels à la prière seront audibles dans toute la ville de Cologne. Le maire de la Ville en a décidé ainsi: Madame Reker est représentative d'une partie de la classe politique d'Allemagne de l'Ouest qui pense qu'il n'y a aucun problème avec l'Islam en Allemagne. Alors, oui, Monsieur Haski a raison: le conformisme d'une partie de la classe politique est beaucoup plus fort qu'en France. Madame Merkel a tout fait pour étouffer le débat sur les problèmes venus de son ouverture totale des frontières pendant quatre mois fin 2015 - à commencer par la montée d'agressions antisémites commises par des musulmans. Tout est fait pour marginaliser l'AfD, le parti populiste qui s'est installé à la droite de la CDU. Ils sont sous une surveillance étroite du Renseignement Intérieur; et les violences des Antifa contre des membres de l'AfD, militants ou députés, ne sont jamais sanctionnées.  Mais, contrairement à ce que dit Monsieur Haski, l'AfD a énormément thématisé le sujet. Et c'est ce qui explique qu'elle ait renforcé son implantation en Saxe et en Thuringe. Il ne faut pas confondre le fait que les médias ne parlent pas du sujet et la manière dont la campagne se déroule sur le terrain. La CDU/CSU est la grande perdante du scrutin parce que l'AfD fait 10% en mobilisant sur le sujet du refus d'un certain nombre de musulmans de s'assimiler à leur société d'accueil.  

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Le débat public allemand est-il pour autant plus apaisé qu’en France ?  

Le débat n'est pas apaisé mais étouffé. Il y a un certain nombre de tabous que l'on n'a pas le droit d'enfreindre dans le débat politique allemand. Les difficultés d'intégration des migrants constituent un tabou. Mais ce n'est pas le seul. Il est par exemple très difficile de parler du bilan carbone catastrophique causé par la sortie du nucléaire. En fait, cela fait deux élections législatives que la participation remonte: elle était tombée à 70% du fait de l'attitude d'Angela Merkel consistant à tuer le débat, refuser l'affrontement entre la droite et la gauche. En 2017, les électeurs se sont mobilisés une première fois et ont, à 75%, cherché le moyen de faire partir Angela Merkel. Mais la CDU avait encore résisté à 32% des voix. Cette fois, la participation est un peu plus élevée - presque 77%. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'AfD ait un peu reculé en pourcentage. Elle reste stable en nombre de voix. On a en fait une tension entre un "système Merkel" qui a tout fait pour étouffer le débat et une population qui cherche à poser les problèmes. Die Linke a perdu beaucoup de voix en refusant de parler d'immigration - contre l'avis de Sarah Wagenknecht.  

Le principe de consensus qu’appelle le système politique parlementaire allemand adoucit-il le débat ? Devrions-nous s'en inspirer?

Le système politique parlementaire allemand n'appelle pas forcément le consensus. Jusqu'en 2005, vous avez eu deux blocs bien identifiables, l'un fondé sur la CDU/CSU démocrate chrétienne et l'autre sur le SPD. C'est Angela Merkel qui a complètement changé les choses en recherchant préférentiellement les Grandes Coalitions. L'un des enjeux de la constellation post-Merkel va être de savoir si la CDU/CSU, vidée de sa substance par le "en même temps" merkelien va être capable de refaire ses forces, de redevenir un parti conservateur - capable en particulier de mettre le sujet de l'intégration des étrangers au coeur du débat. 

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