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Hausse des taxes sur le carburant : l’étrange mais bien réel aveuglement social du gouvernement
©Federico PARRA / AFP

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Gérald Darmanin a profité ce vendredi d’une interview à l’antenne de RTL pour vanter une nouvelle fois les mérites de la taxe sur les carburants. Une taxe qui se fait plus lourdement sentir sur les ménages les moins aisés.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Au micro de RTL ce vendredi, Gerald Darmanin justifiait une nouvelle fois la hausse de la taxe sur les carburants. Selon le ministre de l'Action est des Comptes publics, elle inciterait les gens à changer de moyen de transport. N'est-ce pas là une forme d'aveuglement social étant donné que tous les Français n'ont pas les moyens financiers d'en changer ni de troquer leur voiture pour une voiture électrique ? 

Jacques Bichot : Vouloir inciter les gens à changer de moyen de transport est le signe d’un esprit dirigiste et peu attentif aux problèmes des gens. G. Darmanin se croit sans doute beaucoup plus intelligent que Mr Dupont et Mme Durand, et il veut guider ces demeurés sur la bonne voie : quel paternalisme ! Il serait mieux inspiré en réfléchissant avant de prendre des décisions. Hélas, l’homme ne sait pas encore se déplacer sans consommer de l’énergie. Celle-ci étant coûteuse, les constructeurs de moyens de transports, notamment les firmes automobiles et les constructeurs d’avions (et bien sûr surtout les motoristes), font travailler leurs ingénieurs sur le moyen de consommer moins d’essence ou de kérosène. Ils ont déjà fait des progrès impressionnants, et ils en feront probablement encore. Les firmes qui s’occupent du transport ferroviaire sont elles aussi orientées dans ce sens. En revanche, les pouvoirs publics prennent souvent des mesures contraires à leur souci affiché. Par exemple, la réglementation qu’ils édictent, sous forme de dos d’âne artificiels en particulier, obligent sans raison valable les conducteurs à freiner puis accélérer, c’est-à-dire à gaspiller de l’énergie.
Il faut bien voir aussi que nombre d’usagers sont captifs, obligés de prendre leur automobile ou leur moto pour aller travailler, aller faire des courses, aller chez le médecin, etc. Et surtout, le ministre cité pourrait saluer le développement du covoiturage et de la bicyclette : les Français ne sont pas des imbéciles auxquels le ministre doit expliquer tout ce qu’ils doivent faire, ils savent bien que l’essence est chère, et que son prix a augmenté ces temps derniers pour des raisons internationales auxquelles nous ne pouvons pas grand-chose. Qu’un ministre chargé de faire rentrer l’argent dans les caisses publiques augmente les taxes, évidemment, il faut s’y attendre, mais on aimerait que lui et ses collègues s’occupent davantage de l’efficacité des services de l’Etat : la productivité y est globalement mauvaise. Ainsi qu’à la SNCF, les Français l’ont constaté à leurs dépens. Or là où le rail pourrait engendrer de grandes économies d’énergie, à savoir le transport de marchandises, car le train consomme beaucoup moins que le camion par tonne-kilomètre, c’est là que la France est affreusement faible, par exemple en comparaison de l’Allemagne.
Dernière remarque, la voiture exclusivement électrique est pour l’instant un gadget. Et si d’aventure elle devient vraiment opérationnelle (capable de faire 1 000 KM sans s’arrêter des heures pour recharger) restera le problème de la production d’électricité : on entend fermer des centrales nucléaires encore en excellent état de marche, selon les spécialistes, alors que l’éolien et le solaire ne peuvent pas les remplacer pour ce qui est d’économiser le pétrole et le gaz : intermitents, ils requièrent de maintenir des centrales thermiques pour la nuit et les jours sans vent. 
Philippe Crevel : Evidemment que l’augmentation des taxes sur l'énergie se fait de plus en plus sentir à la fois parce qu’elles augmentent année après année. Le gouvernement a décidé d'accroître la taxation sur le gasoil mais aussi l’essence d’ici 2022 avec un surcroît de taxe qui pourrait atteindre jusqu’à 14 milliards d’euros d’ici 2022. On est donc donc sur des montants extrêmement importants.
Pour une famille ce surcroît peut atteindre jusqu’à 70 euros chaque année. Donc, c’est naturellement un coût important. Le problème c’est évidemment changer de voiture, c’est problématique pour les français à revenus modestes voire même les classes moyennes à faibles revenus. 
D’autre part, cette politique de majoration des produits énergétiques ne s'accompagnent pas d’une politique ambitieuse en matière de substitution énergétique. On ne crée pas dans tous les villes de France des stations de prises électriques, on ne favorise pas le moteur à hydrogène et on ne favorise pas non plus les transports publics. Si l’on parle du Grand Paris, par exemple, la programmation est extrêmement lente (on voit des reports après 2023, 2024 pour certaines lignes de métro). 
Ce sont donc évidemment ceux qui ne peuvent pas se soustraire à la contrainte automobile, ceux qui vivent en banlieue ou en milieu rural, qui sont fortement pénalisés par cette politique. Ainsi, cela peut créer de la frustration voire de l’énervement politique à l’encontre du gouvernement.

Le ministre a déclaré vouloir aller "vers un autre système et une économie décarbonée". Si 2/3 des ménages parisiens n'ont déjà plus de voiture, quid de ceux qui habitent en banlieues lointaines où les réseaux de transports sont peu ou pas développés ? Des mesures alternatives visant à développer ces réseaux de transport ont-elles été prises ou sont-elles prévues ?

Jacques Bichot Il est vrai qu’en région parisienne le métro va se développer de façon considérable avec la grande ceinture dont les travaux ont commencé. Et si l’on regarde les villes de province, en un quart de siècle les plus grandes se sont beaucoup équipées en transports en commun. Mais « l’économie décarbonée » est un de ces mots fétiches que certains hommes politiques affectionnent, à l’instar du « numérique », comme si en les employant ils acquéraient une stature de pionniers. 
En fait, il faudrait réfléchir au développement de nos grandes agglomérations : n’est-il pas exagéré ? Qu’est-ce qui pousse les gens à se concentrer ainsi ?  Au sortir de la seconde guerre mondiale, un livre avait connu un grand succès : Paris et le désert français, de JF. Gravier. Il faudrait en écrire un du même genre, en ajoutant à Paris la dizaine de métropoles qui se sont développées de façon tentaculaire tandis que les campagnes se vidaient. C’est vrai, Paris intra-muros est agréable, mais « elle court, elle court, la Banlieue », avec des conditions de vie (et notamment de transport) assez mauvaises. Indépendamment de toute question d’énergie, nos dirigeants seraient bien inspirés de ne pas accentuer la centralisation autour d’une douzaine de métropoles passablement saturées. Quelques personnes sont sensibles au charme de la Creuse ou de l’Ariège, et l’informatique aidant elles ne sont pas forcément plus mal dans ces « trous perdus » pour exercer certains métiers. 
Philippe Crevel : Evidemment que cette politique fragilise à la fois les banlieues en périphérie lointaine et également le milieu rural. Il est difficile d’imaginer en milieu rural des réseaux de transports publics. Donc là, la substitution est très délicate. 
En banlieue, le problème est celui du coût des investissements. On voit qu’en France on a énormément de retard pour l’aménagement des banlieues que ce soit à Paris ou dans un certains nombres de grandes agglomérations en province. Et on voit, par ailleurs, que la qualité des transports publics à tendance à se dégrader (on note de plus en plus de retards, de pannes techniques, l’absence de climatisation). Donc on peut dire que le confort fourni aux passagers est loin d’être à la hauteur de leurs attentes ce qui fait que la voiture reste, pour très nombreux français, le moyens de transport le plus efficace.
C’est une politique de segmentation. Emmanuel Macron et le gouvernement ont été élus par une population de centre-ville, un peu bobo, et donc cette politique ne peut que renforcer cette segmentation en incitant, en accélérant le fait que le milieu rural ou les banlieues s’extrémisent davantage. Ceci donnant lieu à la naissance d’un sentiment de colère, de frustrations et d’incompréhensions quant au fonctionnement des services publics. 

En janvier dernier, le gouvernement baissait les APL de 5euros, une décision qui a fait polémique. La hausse de la taxe au carburant n'est-elle pas plus néfaste pour les français aux moyens financiers restreints ? Compte tenu également de l'augmentation régulière du prix du pétrole n'est-ce pas une mesure bien plus impactante pour eux ? 

Jacques Bichot : La gestion des APL depuis la réforme d’octobre 2016 laisse à désirer. Il y a deux ans, le gouvernement socialiste avait inventé une prise en compte de revenus fictifs sur revenus financiers pour faire quelques économies de bouts de chandelle : un sur dix des quelque 6,5 millions de bénéficiaires y avait perdu quelques plumes. Pour situer le degré de ridicule de cette mesure les titulaires de livret A voyaient leur revenus pris en compte pour 3 % du montant de ces livrets, bien plus que leur taux d’intérêt !
Le coup de rabot de 5 € dont il est question maintenant a, par rapport au précédent, le mérite de la simplicité : c’est bête et méchant, mais du moins n’est-ce pas une usine à gaz comme il y a deux ans ! 
En fait, la question se pose de savoir s’il faut continuer à triturer les prestations sociales comme on le fait depuis plusieurs décennies, avec trois pas en avant (des augmentations) et un pas en arrière. Les hommes politiques et les hauts fonctionnaires n’ont-ils donc rien de plus utile et de plus intelligent à faire que ces mouvements browniens dont le résultat est que les gens ne savent plus où ils en sont, ce sur quoi ils peuvent compter. 5 euros, pour 6,5 millions de bénéficiaires, cela fait une économie de 32,5 Millions d’euros : je ne suis pas de ceux qui critiquent toutes les tentatives pour dépenser moins, mais quand même, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? On aurait lancé un programme de dépistage des fraudeurs, les économies auraient vraisemblablement été supérieures, et au moins cela n’aurait pas affecté les braves gens qui sont dans la gêne et pour qui 5 € en moins, ce n’est pas une bière en moins au café du coin, mais un repas correct en moins à la maison.
Philippe Crevel : Le rapport entre les APL et l’augmentation du prix de l’essence avec les taxes est du simple au double. Donc évidemment que l’impact sur le pouvoir d’achat des français est bien important, surtout quand le prix du pétrole augmente comme c’est le cas à l’heure actuelle. D’autant plus, qu’ il y a le prix du pétrole, la taxe sur les produits énergétiques, et la TVA qui s’appuie sur les deux et vient renforcer le tout. Il y a donc un effet boule de neige des prélèvements en matière de carburant.
C’est donc beaucoup plus sensible pour les français que la baisse des APL. D’autant plus que l’on sait que cela va encore s’accentuer dans les cinq prochaines années. Il y a donc le coup du logement et aussi le coup du transport. 
Or, ces dernières années les français vont chercher du travail de plus en plus de leur domicile, aussi bien en région parisienne qu’en milieu rural du fait de la désertification ( il faut aller plus loin pour trouver du travail, pour trouver un médecin, pour amener ses enfants à l’école..). Par conséquent, ce sont des dépenses supplémentaires qui sont générées par l’augmentation de ces taxes.

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