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François Mitterrand, candidat de la gauche à l'élection présidentielle, s'exprime à la tribune, le 06 avril 1981, dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle
François Mitterrand, candidat de la gauche à l'élection présidentielle, s'exprime à la tribune, le 06 avril 1981, dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle
©JEAN-CLAUDE DELMAS / AFP

Impuissance politique

De quelque côté que l’on se tourne, on ne trouve chez François Mitterrand uniquement des décisions malheureuses qui ont participé à ce fameux "délitement du pays".

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Un machiavélien au petit pied
Dans la biographie qu’il consacre au Général de Gaulle, Eric Roussel raconte comment, dans les années 1960, François Mitterrand, opposant opportuniste au fondateur de la France Libre, était un habitué des déjeuners à l’ambassade des Etats-Unis. Une génération plus tôt, quand le jeune Mitterrand avait des sympathies pour la droite de la droite, peut-être aurait-il qualifié lui-même un tel comportement d’inqualifiable. Entretemps, il y avait eu la guerre, le traumatisme de la défaite de juin 1940 (« J’ai cru voir la France mourir! ») et le développement de l’ambiguïté, vite devenue une seconde nature chez l’ambitieux jeune bourgeois de province. Vichyste tant que cela semblait avoir de l’avenir, résistant à partir du tournant de l’opinion française, François Mitterrand s’est payé le luxe de révéler lui-même l’étendue de sa compromission des années 1942-1943, peu avant de quitter la présidence, dans un livre d’entretiens avec Pierre Péan. Le Général de Gaulle avait refusé que l’on utilisât ce qu’on savait lors de la campagne de 1965 car il refusait, disait-il, de faire campagne avec des « boules puantes ». Le chef de la France Libre surnommait Mitterrand « l’arsouille »; mais il faut dire que bien peu nombreux ont été les Français lucides comme lui.  Ce qui a dominé, c’est l’admiration mal placée pour un machiavélien au petit pied, élevé à droite et parvenant au pouvoir sur un programme socialo-communiste; dénoncé par les gauchistes et autres maoïstes de 1968 comme un social-traitre mais les ralliant à l’économie de marché et leur permettant de conquérir tous les leviers du pouvoir. 

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Que reste-t-il du mitterrandisme? 
Au fond, que reste-t-il du mitterrandisme quarante ans après le 10 mai 1981? L’abolition de la peine de mort? Sans doute mais cela s’est accompagné, en général, d’un renoncement à bien d’autres attributs de la souveraineté, au point de laisser le pays désarmé dans la concurrence des nations. La mise en place de l’euro? Certes mais sans faire comprendre aux Français quels étaient les enjeux, si bien que ce qui devait être un instrument de plus grande discipline économique du pays est devenu le prétexte à un endettement massif à l’abri des taux d’intérêt allemands. La réconciliation de la gauche avec l’entreprise et l’économie de marché ? En effet mais au prix de la fracture sociale du pays. L’apaisement des débats politiques dans le pays? Il a été obtenu en mettant en scène la grand-guignolesque diabolisation d’une force politique en particulier, épouvantail patriote qualifié d’infréquentable pour quelques plaisanteries douteuses de son leader mais surtout prétexte à tous les renoncements nationaux qui caractérisent la période Mitterrand. 
Manque de sang-froid
Plus on analyse la période Mitterrand, plus on identifie un immobilisme enraciné dans le renoncement. Tout était-il à rejeter de la politique économique de 1981-1983? Elle aurait pu déboucher sur le renoncement à l’alignement du franc sur le deutsche mark. Une politique monétaire à la britannique avec un ralliement à l’économie de marché: c’est ce que proposait une partie du monde économique français. Mais Mitterrand pencha finalement pour le retour au giscardisme, la ligne de plus grande pente technocratique. Pourquoi s’étonner, après cela, que, président fataliste, il aiut dit: « Contre le chômage on a tout essayé ». Non moins désastreux fut le manque de sang-froid qui suivit la chute du Mur de Berlin. Il est dans la culture politique allemande de ne pas savoir attendre, de ne pas supporter les crises non résolues; cela conduisit le chancelier Kohl à vouloir faire beaucoup trop vite la réunification économique, en particulier avec un mauvais taux de change. Il suffisait de garder ses nerfs et d’attendre que notre voisin fût absorbée par le coût de la réunification. Las ! Ayant vécu depuis 1940 dans la peur de l’Allemagne, François Mitterrand crut astucieux de réaliser l’union monétaire à l’occasion de la réunification. L’alignement des taux d’intérêt européens, en particulier français, sur les taux allemands permit à l’Allemagne de passer avec moins de casse le cap difficile de la désintégration économique de la RDA. Et, au bout du tunnel économique des années 1990, l’Allemagne pouvait profiter de la fin de la concurrence monétaire en Europe. 
Incohérences et culture du renoncement
Décidément, de quelque côté qu’on se tourne, on ne trouve chez François Mitterrand que des décisions malheureuses. L’immigration incontrôlée, cheval de bataille de la gauche qui l’avait porté au pouvoir, n’était compatible qu’en gardant la flexibilité monétaire afin de pouvoir créer tous les « petits boulots » qui absorberaient cette main d’oeuvre peu qualifiée affluant sur le territoire français. Or, en même temps qu’il mettait en scène l’affrontement entre  SOS Racisme et le Front National, François Mitterrand faisait le choix de la monnaie forte. Le choix de l’Europe unie? Il devait s’accompagner d’une disposition à se battre pour défendre les intérêts français au sein de la construction européenne? Or l’histoire des années 1981-1995 est celle d’un laisser-aller: pour faire monter les enchères de Maastricht, l’Allemagne exigea, contre la volonté de François Mitterrand, la reconnaissance de la Croatie, qui fit éclater la Yougoslavie; et à peine Maastricht était-il voté par la France que l’Allemagne imposait l’élargissement de l’Union Européenne. François Mitterrand a légué à notre pays une culture du renoncement à l’opposé du gaullisme. Le « délitement du pays » dont parlaient il y a quelques jours des généraux dans une tribune interpelant Emmanuel Macron est né de l’immobilisme et du renoncement mitterrandien.  

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