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Et encore une erreur occidentale en vue sur le jour d’après : quid du sort de Mossoul si les Irakiens la reprennent à l’Etat islamique ?
©REUTERS/Stringer

Epuration sauvage

"Mossoul martyrisée, mais Mossoul libérée !", c'est peut-être ce que l'on pourrait entendre d'ici un ou deux mois selon le Pentagone. Les Etats-Unis évoquent, en effet, une possible libération de la ville irakienne, tombée aux mains de l'Etat islamique, par l'armée d'Irak en avril ou en mai. Une action qui serait menée avec l'appui de la coalition internationale dont la France fait partie. Au risque, encore une fois, de laisser un chaos total derrière nous.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Récemment des officiels du Pentagone ont fait part aux journalistes de plans dont le but serait une libération de la ville de Mossoul par l'armée irakienne, épaulée par les peshmergas kurdes et l'aviation américaine. Une opération qui pourrait avoir lieu dès avril ou mai. Dans la guerre contre l'Etat islamique, y aurait-il un intérêt à reprendre la ville qui soit autre que symbolique ?

Fabrice Balanche : Il y a un intérêt stratégique. Mossoul est la plus grande ville du nord de l'Irak et la troisième ville du pays après Bagdad et Bassora, avec plus de deux millions d'habitants. Elle est située sur le fleuve Tigre, c'est donc un carrefour routier stratégique, non loin passe l'oléoduc qui va vers la Turquie et qui amène le pétrole irakien des champs de Kirkouk. L'intérêt géopolitique est fort car le pétrole est la première ressource irakienne et elle permet de financer l'armée. De plus dans cette grande ville, l'Etat islamique prélève des impôts sur les habitants et le commerce, en ponctionnant 10% du revenu des citoyens, ce qui leur confère donc une manne financière énorme. Ces différents facteurs font qu'effectivement, il faut reprendre Mossoul et permettre aux centaines de milliers de personnes qui ont quitté la ville d'y revenir. Cependant, je ne pense pas que les chrétiens y retournent car ils ont peur, de toutes façons une grande partie d'entre eux étaient déjà partis s'installer à Karakosh, la ville chrétienne protégée par les Kurdes qui se trouve à 50 kilomètres à l'est.

D'un point de vue symbolique c'est une ville importante dans la propagande de Daech, c'est là qu'al-Baghdadi s'est proclamé calife. S'ils perdent Mossoul, ils règnent sur des petites villes comme Raqqa, ce qui n'est pas très significatif. Lorsque l'on se présent "Etat islamique" il faut s'appuyer sur une ville importante.

On peut craindre qu'une libération de Mossoul n'entraîne d'autres violences. Récemment, la ville d'Amirli au nord de Bagdad, a été libérée du joug de l'Etat islamique par l'armée irakienne et des milices chiites. Après la victoire, ces dernières ont massacré des sunnites innocents en guise de représailles contre l'Etat islamique. Un tel scénario serait-il à craindre à Mossoul ?

Malheureusement, il y aura forcément des vengeances du fait de l'armée irakienne ou des gens qui reviendront. De toutes façons, il y a des habitants de Mossoul qui ont collaboré avec l'Etat islamique, qui en ont profité pour mettre la main sur les biens de ceux qui sont partis, donc les vengeances sont inévitables. Il ne faut pas oublier qu'il y a, lors de la prise de Mossoul, plus d'un millier de soldats irakiens qui ont été assassinés par Daech. Or nous sommes dans une région qui applique la loi du talion. Les autorités irakiennes feront tout pour éviter ces violences, mais c'est presque impossible.

L'armée irakienne s'est reconstituée sur une base de nouveaux conscrits venus du sud chiite, de milices incorporées. Quand Amirli a été libérée, il y a quelques mois, il y avait effectivement une soif de vengeance. Il faut espérer que la vengeance s'est aujourd'hui assoupie et que le gouvernement irakien a pris les mesures en ce sens.

Si l'objectif de l'armée irakienne est vraiment de battre Daech, il faut absolument que la population arabe sunnite ait confiance dans le nouveau régime irakien. Voilà pourquoi on a fait pression afin que Maliki s'en aille au profit d'Abadi, de manière à ce que celui-ci intègre les sunnites dans le pouvoir. Il est conscient de tout cela, mais les échelons inférieurs ne vont pas forcément respecter ces consignes car ils nourrissent, effectivement, une haine des sunnites qu'ils associeront à l'Etat islamique. J'ai lu des témoignages de Kurdes yézidis de la région de Sinjar qui affirmaient qu'ils ne pouvaient plus vivre avec les arabes, car ceux-là avaient participé à leur éradication avec Daech, et que quand ils reviendraient ils les chasseraient. C'est le grand danger pour la reprise de Mossoul : qu'il y ait des exactions, car les officiers d'encadrement n'arrivent pas à les contenir.

On peut se demander comment faire pour éviter ces massacres entre chiites et sunnites dans une ville globalement méfiante à l'égard du pouvoir bagdadien. La coalition a-t-elle un rôle à jouer pour ne pas laisser derrière elle, encore une fois, le chaos ?

Oui, grâce aux conseillers militaires qui sont présents, américains, français, etc. Mais eux ne sont que derrière, et pas sur le front. D'ailleurs, des conseillers américains étaient près d'une ville récemment, et Daech s'est mis à bombarder des obus de mortier à proximité de leur localisation ; aux Etats-Unis cela a fait toute une histoire sur CNN car les conseillers étaient exposés, que le bourbier irakien revenait. Effectivement, les occidentaux, neutres, pourraient essayer de calmer le jeu, mais ils ne vont pas être au centre de la bataille. Ils ont bien trop peur d'être pris en otages, d'être des cibles faciles pour les gens de Daech qui seraient restés sur le terrain. Il va donc falloir faire confiance à l'armée irakienne.

L'armée irakienne devrait-elle envoyer des bataillons purement sunnites et éviter d'accepter l'aide des milices chiites aidées par l'Iran ?

Le problème c'est que dans l'armée irakienne, il ne doit pas y avoir de bataillons purement sunnite. Quand les Américains ont dissous l'armée irakienne, ils ont renvoyé les sunnites dans leurs foyers, et ce sont eux qui ont rejoint Al-Qaeda en Mésopotamie et, ensuite, Daech. C'est une armée qui est essentiellement chiite, il y avait aussi des bataillons kurdes mais qui étaient plutôt dans la zone proche du Kurdistan. Ce que voulait faire l'armée irakienne, c'est utiliser la même technique que Petrus en 2006, c'est-à-dire utiliser les tribus arabes sunnites contre Daech. Le problème c'est que ces tribus s'étaient soulevées contre Al-Qaeda et n'ont pas été payées en retour puisqu'elles se sont retrouvées complètement marginalisées avec le départ des Américains. Je ne sais pas si elles ont envie de retourner dans un scénario similaire.

Comment l'armée irakienne et la coalition peuvent-elles reconstruire une volonté de vivre ensemble entre les communautés dans une ville de Mossoul libérée des djihadistes ?

C'est un casse-tête. Le problème est classique, si l'on prend le vivre ensemble à Sarajevo, à Mostar, ça n'a marché qu'à coups de subventions européennes dans un environnement assez policé. C'est pareil au Moyen-Orient, on est plus dans des logiques d'exclusion que de vivre ensemble. Après tout cela, les quartiers mixtes disparaissent au profit de quartiers communautaires, avec des lignes de front bien identifiées, avec les Kurdes dans une zone, les sunnites dans une autre, les Turkmènes encore ailleurs, puis l'armée sera déployée sur les frontières pour éviter que les gens se tirent dessus. On reste dans son quartier sans fréquenter les autres, puis au bout de 10 ou 20 ans, s'il y a la paix et une prospérité économique, on recommence à se côtoyer. C'est ce qui s'est passé au Liban, mais à la moindre crise, tout est anéanti.

Du point de vue des institutions, il y aura du ménage à faire car il y a beaucoup de gens qui ont rejoint l'Etat islamique parce qu'ils étaient mécontents du pouvoir de Bagdad, y compris des gens dans la bureaucratie. S'ils ont rejoint Daech, c'est parce qu'ils étaient exclus, il faut donc mieux les intégrer. Mais ce sera difficile de les réintégrer, cela demande un effort de pardon et de réconciliation auquel ils ne sont pas vraiment enclins parce qu'on est plutôt dans une logique communautaire d'exclusion, et comme les chiites sont majoritaires, environ 60% de la population de l'Irak contre 20% de sunnites et 20% de Kurdes, ils auront plutôt tendance à construire la nouvelle nation irakienne avec un socle chiite et à exclure les sunnites, les Kurdes étant déjà indépendants. Ce n'est donc pas évident à résoudre.

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