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Emmanuel Macron ou l’expérience anti-populiste à la française face aux sables mouvants de 2020
©Reuters

« Politico-roscope » 2020

Emmanuel Macron s'est adressé aux Français ce mardi 31 décembre dans le cadre des vœux présidentiels. Mais une question se pose : le Président pourra-t-il sortir de la crise sociale actuelle ?

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : L’année 2019 a été marquée par le mouvement des Gilets jaunes ou bien encore les conséquences de l'affaire Benalla. Pour l’année 2020, le chef d’Etat se trouve face à la délicate mission de réussir sa réforme des retraites malgré un mouvement social important. L'ambition réformatrice du chef de l'Etat peut-elle survivre malgré le mouvement contre la réforme des retraites ? Quelles sont les perspectives politiques pour Emmanuel Macron pour cette année 2020 ?

Chloé Morin : La réforme se trouve, depuis son émergence sur la scène politique, au coeur de l’identité politique d’Emmanuel Macron. Par ses discours et sa posture, il a ces dernières semaines lui-même semblé lier sa capacité future à réformer - et donc une bonne part de son avenir politique - à l’issue de la réforme des retraites. La dramatisation médiatique et politique autour de cette réforme peut le désservir, tout comme elle peut l'avantager : elle accroît les risques politiques en cas d’échec, mais augmente également les gains politiques que le Président pourrait escompter recueillir en cas de victoire. L’on dira, si sa réforme passe avec un minimum de concessions, qu’il a tenu là où d’autres avaient cédé, et cette réforme deviendra sans doute un argument central de son plaidoyer futur pour une réélection, notamment face à une droite à laquelle une partie de l'opinion reproche encore d’avoir beaucoup dit mais peu fait lorsqu’elle était au pouvoir. Bien sûr, s’il venait à échouer, un coup serait porté à son identité réformatrice… mais pour des raisons institutionnelles, je ne vois pas comment il pourrait échouer. Il a les moyens de mener à bien sa réforme, et ce malgré le malaise exprimé par certains parlementaires de sa majorité vis à vis de la mesure d’âge pivot.
Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’ampleur des concessions qu’il jugera nécessaires, et non pas l’issue de la réforme, quoi qu’en disent ceux qui réclament le retrait pur et simple de la réforme comme la CGT… De ce point de vue, il a dessiné avant-hier soir les éléments qui lui semblaient incontournables : principes d'équité et de dignité, mais aussi de responsabilité, c’est à dire solidité financière du système de retraites à venir. Cela définit le périmètre dans lequel Edouard Philippe devra s’inscrire lors des négociations à venir - et l’équation semble difficile à résoudre, puisque la CFDT conteste la nécessité d’efforts supplémentaires pour rétablir l’équilibre financier.

De manière plus globale, cela fait plusieurs mois que l'on peine encore à distinguer ce qui pourra, après la réforme des retraites, venir entretenir le mouvement réformateur dont se nourrit la dynamique politique macronienne. Quelque part, le bras de fer actuel actuel lui permet d’entretenir le sentiment que « quelque chose se passe » et que l’on avance (ou que l’on essaie…), contre des forces syndicales et politiques assimilées à « l’immobilisme » ou au « conservatisme » qu’il a désignés comme ses adversaires. En quelques sortes, la CGT et les autres opposants frontaux à la réforme servent le récit macronien, viennent accréditer sa posture de réformateur courageux et désintéressé - puisque capable d’imposer des éléments jugés nécessaires mais impopulaires…
Mais au delà de cette réforme, l’essentiel de son programme de 2017 étant épuisé, on peine à voir où va se porter l’audace réformatrice d’Emmanuel Macron. Il a cité avant-hier certains sujets - carrières de certains fonctionnaires, hôpital, dépendance, égalité territoriale, sujet du communautarisme et de la cohésion … - mais est resté très flou sur les objectifs et le contenu. L’enjeu premier, pour lui, sera donc sans doute de commencer à dessiner ce nouveau cap - un cap qui lui permettra non seulement d’occuper la suite du quinquennat, d’éviter que le débat ne se centre uniquement sur son bilan, ce qui le mettrait sur la défensive, mais qui lui permettra aussi de parvenir à la veille des élections de 2022 avec un certain élan, et non « essoré » politiquement comme certains de ses prédécesseurs à la fin de la mandat.

Le second enjeu sera plus terre à terre et politicien : parvenir à affronter les échéances électorales à venir, et notamment municipales, sans perdre trop de plumes, voire en remportant quelques victoires symboliques permettant d’accréditer l’idée que son mouvement s’ancre dans les territoires. De ce point de vue, il a eu à coeur de marquer sa différence avec les « politiques traditionnels », que l’opinion considère souvent carriéristes et auto-centrés, en martelant que l’apaisement ne devrait pas être prétexte au renoncement et à l’immobilisme, ce qui sous entend qu’il assumera jusqu’au bout la réforme, même au prix de l’impopularité ou de défaites électorales intermédiaires.

Quels pourraient être les leviers ou les tremplins politiques d'Emmanuel Macron au regard des échéances électorales majeures dans les mois à venir ?

Les municipales seront, on le sait, un exercice compliqué pour un parti neuf et sans ancrage politique. Ce n’est qu’un indicateur parmi d’autres, mais vous aurez noté que seulement 17000 militants LREM ont voté il y a quelques jours pour la réforme des statuts présentée par Stanislas Guérini - c’est moins que les 20 000 socialistes qui avaient voté en janvier 2018, alors que l’on disait le parti essoré… Donc cela interroge sur l’état du parti et sa capacité à mobiliser les militants sur le terrain, élément indispensable pour mener une campagne locale, de terrain.

Evidemment, les municipales seront difficiles à lire, car il pourra y avoir une multitude de configurations d’alliances différentes. LREM n’a pas de candidat partout. Parfois, elle soutient des candidats. Parfois, elle aura deux candidats, comme à Biarritz… etc. Quelques victoires symboliques à Paris, à Lyon, par exemple, pourraient donc masquer une défaite. Ce sera en tout cas une élection difficile à lire, où les partis prétendant avoir gagné seront sans doute nombreux… Donc il se dit que le Président se concentre sur les batailles suivantes, et notamment les Régionales, dont le scrutin avantage peut-être davantage son parti et précèdera la prochaine présidentielle. C’est sans doute cette élection là que LREM considèrera comme la véritable rampe de lancement pour 2022, car cela lui permettra de tester la dynamique et de se positionner vis à vis de présidentiables ou de personnalités majeures : Bertrand dans le Nord, Wauquiez, Pécresse, Estrosi, et peut être Marine Le Pen quelque part, voire… Marion Maréchal?

Lors de ces élections, ses principaux atouts seront :
- D’une part sa capacité à agir, là où les autres sont condamnés à l’incantation ou à un bilan limité au périmètre des pouvoirs dévolus à leurs élus locaux. Il pourra dire, notamment à une droite qui souvent donne des leçons de réformisme assez dures, « j’ai eu le courage de faire ce que vous n’aviez pas fait quand vous en aviez l’occasion », notamment sur la SNCF ou les retraites, ou la réforme de la fiscalité pour les plus riches. La politique par la preuve est un atout considérable lorsque la parole politique est discréditée et qu’aucune promesse de campagne n’est plus prise pour argent comptant..
- D’autre part, la division de ses adversaires. A mi-mandat, le front des oppositions reste en effet extrêmement fragmenté, et bien que le Rassemblement national semble s’imposer en premier opposant, c’est un premier opposant encore extrêmement rejeté par une grande partie des français, ce qui l’empêche de tenir le rôle de force d’alternance potentielle « classique », pôle vers lequel convergent traditionnellement le flot des mécontents et des déçus, indépendamment de leur idéologie. Emmanuel Macron conserve un socle de soutiens solide, puisque plus de 90% des sympathisants LREM expriment une bonne opinion de son action. Entretenir ce socle est un enjeu majeur, en vue du premier tour de la présidentielle. Jusqu’ici, il y parvient, même si le profil de ses électeurs a considérablement évolué depuis juin 2017..

La "faiblesse" de l'opposition à Emmanuel Macron chez Les Républicains ou au Parti Socialiste, la perspective du procès Fillon et le renoncement des Balkany ne pourraient-ils pas permettre à La République en marche de reconquérir les électeurs déçus ? Les électeurs de droite pourraient-ils encore se reconnaître et soutenir Emmanuel Macron ? 

Le Parti socialiste comme les Républicains ont en effet, parmi leurs difficultés actuelles, un déficit d’incarnation dont découle en partie un déficit de lisibilité de leur positionnement politique. A ce jour, aucun parti politique de gouvernement n’a su capitaliser sur la déception pourtant bien réelle d’une part des électeurs qui avaient sinon voté Macron, du moins soutenu ses premiers pas de Président. Seulement un sympathisant de gauche sur 5, dans le dernier baromètre IPSOS pour Le Point, soutient le Président, et à peine plus d’un tiers des sympathisants LR… ce qui laisse une belle marge de progression.
Pour le moment, il est vrai que l’on peine à voir ce qui pourrait empêcher LREM de ré-élargir son socle, notamment à droite puisque les réformes actuelles séduisent plutôt cet électorat. Une victoire face au front de la contestation à la réforme des retraites, notamment face à la CGT qui joue le rôle d’épouvantail pour l’électorat de droite, pourrait participer de ce mouvement de reconquête de la droite.

Cette réforme se fera-t-elle au prix de pertes importantes du côté des réformistes de gauche? C’est à mon sens l’une des grandes questions pour les mois qui viennent. L’on se souvient que Hollande et Valls avaient pu mener à bien la réforme du code du travail en 2016, car nos institutions leur en donnaient les moyens, malgré la rue et les centaines de milliers de pétitionnaires mécontents. Mais cette « victoire » avait considérablement affaiblit le couple exécutif auprès d’une partie de la gauche, y compris « réformiste », au point de contribuer à l’empêchement de François Hollande pour l’élection de 2017… Il est donc possible de s’interroger sur la capacité de la réforme des retraites d’être un sujet, ou non, de fracture définitive avec une partie de l’opinion de gauche, dont il faut rappeler qu’elle a largement contribué à sa victoire en 2017.
De manière plus générale, il faut toujours rappeler l’extrême fluidité et volatilité du paysage politique actuel. Rien n’est figé, rien n’est irréversible, la donne peut changer très vite… et une force politique nouvelle peut émerger, par exemple, et remettre en cause toutes les stratégies et les paris d’aujourd’hui

La politique internationale sera l'une des clés de l'année 2020 avec le Brexit et l'élection présidentielle américaine notamment ? Quels pourront être le rôle et la place du président de la République français au regard de l'interview de ces derniers mois accordée à la rédaction de The Economist, à l'origine de la polémique sur l'OTAN en état de mort cérébrale ?

L’international reste une des forces et des victoires incontestables d’Emmanuel Macron. Il a su très tôt imposer un style, alliant fermeté et volonté de parler à tous, avec pragmatisme. Il a su restaurer en partie une forme de fierté nationale que l’opinion avait reproché à François Hollande de ne pas avoir consolidé. Dans un contexte de tensions multiples, où le monde semble de plus en plus incertain et les Français semblent de plus en plus conscients qu’il pèse sur le cours de leur vie quotidienne, cette capacité d’agir à l'international n’est pas un élément négligeable, même si l’on dit que l’international décide rarement des scrutins de politique intérieure.

Une partie de l’intelligentsia Américaine considère encore qu’Emmanuel Macron est l’antidote à un Donald Trump. Il est vrai qu’après le Brexit, après l’expérience de la coalition populiste en Italie, de nombreux démocrates inquiets ont les yeux tournés vers Emmanuel Macron, en espérant qu’il trouve la solution pour endiguer la montée des populismes. Cela contribue à donner un tour dramatique à son quinquennat, vu de l’extérieur. Il est en quelques sorte vu de loin comme une « expérience anti-populiste »; la suite du quinquennat sera sans doute scrutée avec attention par nos voisins et alliés...

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