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Égalité des chances : et si l’on misait sur l’école maternelle ?
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Une autre école est possible

Les enseignants dans la rue ce samedi 19 mars pour protester entre autres contre le manque de moyens du système scolaire. Mais au-delà des ressources disponibles, c'est leur répartition qui pose problème : et si l'on arrêtait de privilégier collèges et lycées pour se concentrer sur le plus jeune âge ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Longtemps on a pu croire que la résorption de l’inégalité d’accès aux études secondaires et supérieures suffirait à émanciper les individus du carcan de l’origine sociale. Aux yeux des progressistes, il apparaissait évident que garantir à tous les enfants des études longues constituait la bonne stratégie pour lutter contre la reproduction sociale. Le grand sujet était alors, et demeure encore dans une certaine mesure, de réformer le collège, le lycée et l’université de manière à créer les conditions d’une démocratisation réussie.

50% des jeunes en bac+3 : et après ?

Aujourd’hui que l’on a poussé jusqu’à son terme, ou presque (l’objectif affiché par le ministère de l’Éducation nationale étant d’amener 50% d’une classe d’âge jusqu’à Bac + 3) la logique de l’allongement de la durée des études, un constat s’impose, pas seulement en France, mais dans l’ensemble des pays développés : si la démocratisation de l’enseignement secondaire et supérieur apparaît plus que jamais nécessaire dans le contexte d’une économie de la connaissance où les emplois non qualifiés se raréfient, son bilan au regard de l’idéal d’égalité des chances s’avère quasi-nul. Pour le dire très simplement : le lien entre origines sociales et chances de réussir dans la vie est aujourd’hui aussi puissant qu’il l’était à l’époque de nos grands-parents.

Les inégalités scolaires naissent dès le plus jeune âge

La raison de cet échec est parfaitement identifiable : nous savons en effet que la structure de l’inégalité scolaire telle qu’on peut l’observer à l’issue de la scolarité est déjà en place avant même l’entrée dans l’âge de la scolarité obligatoire. La variable la plus déterminante en matière de prédictibilité des destins scolaires est le niveau de compétence cognitive acquis par l’enfant à la fin de l’école maternelle[1]. Si les différences de compétence observées entre les enfants sont sans doute pour une part imputables à ce qu’on n’ose plus guère appeler les « dons » naturels, elles sont cependant fortement corrélées à des variables socioculturelles telle que, en particulier, le niveau de diplôme de la mère. Ce qui signifie en clair que l’inégalité scolaire se fabrique au sein des familles durant les premières années de la vie. Le sociologue Gosta Esping-Andersen, spécialiste de l’Etat-Providence, souligne ainsi le fait que les parents très qualifiés consacrent 20% de temps supplémentaire aux activités de développement cognitif de l’enfant par rapport aux parents moins qualifiés[2].

Traiter le problème avant l’école primaire

Si l’on veut remédier à cette force d’inertie du déterminisme, il n’y a guère que deux options possibles. La première consiste à mettre en cause le système éducatif, jugé incapable, du CP jusqu’à l’université, de modifier la structure initiale des inégalités. Nombres de sociologues de l’éducation s’emploient ainsi, armés d’outils statistiques sophistiqués, à mesurer et à comparer les « performances » des différents systèmes occidentaux, afin de montrer que la France fait plutôt moins bien que d’autres pays comparables. Le problème est que les différences demeurent très relatives au regard de l’incapacité généralisée à infléchir le déterminisme familial et social. C’est dans cette perspective qu’il faut également situer la volonté de mettre en place des dispositifs de discrimination positive - mesures dérisoires et absurdes qui visent à masquer l’impuissance publique en octroyant des privilèges à quelques-uns.

Une autre orientation du regard, et de la politique éducative, est pourtant possible, qui serait, elle, véritablement révolutionnaire : elle consisterait, comme cela se fait déjà dans les pays d’Europe du nord, à s’intéresser aux premières années de la vie afin de concevoir une action éducative qui dote réellement tous les enfants des compétences nécessaires pour réussir leur scolarité.

Réformer la maternelle ?

Nous disposons à cet égard en France d’un formidable outil, puisque notre école maternelle accueille la quasi-totalité des enfants d’une classe d’âge ; mais, curieusement, la question de son efficacité éducative n’est jamais posée : tout le monde semble se satisfaire de son rôle sans voir que c’est à ce niveau que se met en place - du fait d’une passivité politique elle-même induite par l’indifférence de l’opinion - la structure des inégalités scolaires. Sans doute est-il temps de se demander comment la réformer de manière à ce qu’elle puisse jouer, en faveur des enfants issus des milieux les plus défavorisés, l’équivalent du rôle qu’exerce la mère diplômée dans les familles de niveau socioculturel élevé.



[1] Cf. INSEE, Portrait social, édition 2006, l’étude de Jean-Paul Caille et Fabienne Rosenwald, Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et évolution.

[2] Cf. Trois leçons sur l’Etat-Providence, Seuil, 2008.

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