Démocratie en crise : de quelle révolution a vraiment besoin le Conseil constitutionnel ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de l’entrée du Conseil constitutionnel, à Paris.
Une vue de l’entrée du Conseil constitutionnel, à Paris.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Au cœur des enjeux de 2022

Faut-il comme le souhaite Éric Zemmour démanteler le bloc de constitutionnalité -cet ensemble de textes qui n’a cessé de grandir et qui définit les principes que doivent respecter les lois votées- ou… mettre enfin en place un système « sérieux » de nominations au Conseil Constitutionnel ?

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Atlantico : Selon le journal « L’Opinion », Eric Zemmour souhaite le « démantèlement du bloc de constitutionnalité tel qu’il existe depuis le 16 juillet 1971 », date à laquelle le Conseil constitutionnel a censuré une loi comme contraire à un « principe fondamental reconnu par les lois de la République », en l’espèce la liberté d’association. Cette mesure est-elle crédible ?

Jean-Eric Schoettl : En théorie, on peut toujours, dans la Constitution française, réduire les pouvoirs du Conseil constitutionnel en restreignant son corpus de référence (textes sur lesquels il s’appuie) ou en bornant ses méthodes (par exemple en limitant son contrôle des arbitrages opérés par le législateur à l’identification d’une erreur manifeste d’appréciation). Ce ne serait pas possible en Allemagne, car la Grundgesetz comporte des principes « indérogeables » qui imposent un contrôle de constitutionnalité plein et entier. 

Possible en France, une telle réduction du contrôle de constitutionnalité serait cependant bien difficile à mettre en œuvre.

Elle poserait, pour commencer, des problèmes de rédaction. Faut-il dire que le Conseil constitutionnel se prononce au seul regard des règles figurant dans le texte de la Constitution de 1958 à l’exclusion de son préambule (et donc en écartant du corpus de référence la Déclaration de 1789, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la Charte de l’environnement) ? Ou convient-il d’énumérer limitativement les dispositions de la Constitution au regard desquelles le Conseil peut se prononcer ? Dans un cas comme dans l’autre, quid de la référence au droit de l’Union européenne figurant aux articles 88-1 et suivants de la Constitution ?

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La tentative de réduire le bloc de constitutionnalité se heurterait ensuite à des problèmes politiques considérables.

Le projet ferait crier à la dictature, en France comme à l’extérieur de nos frontières.  L’Union européenne y verrait une atteinte à cette « valeur de l’Union » qu’est l’Etat de droit. Réprimandes et sanctions tomberaient sur la France plus dru encore que sur la Pologne.

Cette révision pourrait-elle d’ailleurs aboutir ? Qu’elle se conclue par référendum ou devant le Congrès, le démantèlement du bloc de constitutionnalité devrait être adopté dans les mêmes termes par chacune des deux assemblées (article 89 de la Constitution). Avec quelle majorité ? Je ne vois pas le Sénat le voter.

Quant à l’utilisation de la procédure référendaire de l’article 11 de la Constitution, à la manière de de Gaulle en 1962, elle serait taxée de coup d’Etat parce que l’article 11 n’est pas fait pour une révision constitutionnelle. Elle recevrait un avis défavorable du Conseil d’Etat et serait probablement tuée dans l'œuf par le Conseil Constitutionnel (qui annulerait le décret de convocation du référendum).

Au regard des finalités poursuivies par Eric Zemmour, on peut également s’interroger sur l’efficacité d’une révision constitutionnelle réduite au rétrécissement du bloc de constitutionnalité.

Le juge constitutionnel peut toujours tirer des conséquences arborescentes de notions brièvement mentionnées dans la Constitution, mais au riche contenu conceptuel : voir ce que la Cour suprême des USA a tiré du principe d’égale application de la loi… Ou ce que le Conseil constitutionnel lui-même tire de chacun des trois termes de la devise républicaine (y compris la fraternité) mentionnés à l’art 2 de la Constitution. L’article 1er de cette dernière offre également un vaste potentiel pour élaborer une jurisprudence créative…

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Par ailleurs, le seul « démantèlement du bloc de constitutionnalité » laisse intacte la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui est aujourd’hui la principale source de sa saisine et la voie principale par laquelle s’exerce le pouvoir du Conseil. Cette proposition n’évoque pas non plus l’idée de « dernier mot parlementaire » permettant à une majorité qualifiée de parlementaires de surmonter une décision juridictionnelle.

Elle ne touche pas non plus l’emprise du droit européen et international. Il faudrait, pour contrer cette emprise, modifier la Constitution en excluant (à son article 55) la supériorité du traité sur la loi postérieure ou/et en érigeant, dans tel ou tel domaine, un « bouclier constitutionnel » contre le droit international ou européen (ce que proposent les principaux pré candidats LR).

On peut donc se demander si l’idée de « démanteler le bloc de constitutionnalité » est la voie la plus appropriée pour libérer la loi de la tutelle juridictionnelle. D’autres solutions servent sans doute mieux ce dessein tout en se heurtant à des obstacles fort sérieux aussi certes, mais moins formidables.

Dans quelle mesure la nomination des juges du Conseil constitutionnel est-elle trop discrétionnaire et trop politique ? Des processus de validation plus aboutis de ses membres par le Parlement ne pourraient-ils pas permettre un meilleur fonctionnement du Conseil constitutionnel ? Réformer le mode de sélection des Sages ne pourrait-il pas être plus efficace et plus aisé à appliquer qu’une restriction du champ d’action des juges constitutionnels ?

Gare à ce que les remèdes envisagés (par exemple désigner de purs juristes comme en Allemagne) ne soient pires que le mal. L’esprit de système et l’hubris peuvent habiter un pur juriste plus encore qu’une personnalité du monde politico-administratif. La solution actuelle (avec un pouvoir de veto à la majorité qualifiée des commissions des lois des deux assemblées parlementaires et un mélange de juristes et de personnalités du monde politico-administratif au sein du Conseil) est la moins mauvaise. Encore faut-il que les autorités de nomination (Président de la République, président de l’Assemblée nationale et président du Sénat) prennent cette responsabilité au sérieux, qu’ils ne nomment pas pour récompenser des services rendus et qu’ils aient à cœur de ne désigner que des personnalités réalistes et équanimes, au fait des questions juridiques, mais non moins capables de faire prévaloir l'intérêt général sur les constructions abstraites et sur les postures.

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