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De quelle nouvelle droite reconstruite Laurent Wauquiez compte-t-il être le nom ?
©BERTRAND LANGLOIS / AFP

"Tout commence"

Le président du parti Les Républicains était l'invité de "L'Emission politique" sur France 2 ce jeudi 25 janvier. Il a réaffirmé sa volonté de faire une droite "de droite" et a critiqué un Emmanuel Macron, champion des gagnants de la mondialisation.

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Que cela soit dans "L'Emission politique" à laquelle il participait le 25 janvier, ou lors de ses dernières interventions à la tête des LR, que veut et que va incarner idéologiquement Laurent Wauquiez ?

Maxime Tandonnet : Laurent Wauquiez me semble déterminé à incarner un gaullisme social adapté à l'époque. Son discours, tout au long de l'émission politique, s'adressait à la défense de la France périphérique, celle du monde rural, des quartiers populaires. Il prenait comme référence le couple de retraités qui gagne 1000 € par mois, confronté aux difficultés de la vie. Sa critique de l'action gouvernementale visait une politique fiscale qui, selon lui, profite aux plus aisés et accable les milieux défavorisés. Il s'oriente dans une voie inattendue pour les Républicains, qui renoue avec leurs origines gaulliennes: la défense des intérêts de la nation, dans une Europe des nations, l'attachement à la province et aux milieux populaires, la défiance envers une nomenklatura dirigeante éthérée et éloignée de la réalité quotidienne des Français. Ses interlocuteurs, dans un réflexe très pavlovien, ont cherché à le caricaturer en  l'accusant de populisme et en l'assimilant à Barrès et à Maurras. Il leur a répondu avec talent en se référant à Stendhal. Sur l'immigration, l'intégration, la laïcité et sur la PMA, il a su trouver le ton juste, en associant fermeté des convictions et humanité. Il a su rester simple et gommer son image d'ambitieux en évacuant la question piège de la future élection présidentielle et des "primaires". En revanche, Laurent Wauquiez commet, de mon point de vue, une erreur en s'identifiant à l'excès à la formule "la droite". Son discours néo-gaullien a vocation à rassembler au-delà de la frange de l'opinion qui se reconnaît dans ce terme, en particulier les républicains de "l'autre rive" comme disait Chevènement.  D'ailleurs, la défense des personnes en difficulté n'est pas un discours connoté "de droite". 

Christophe Boutin La question que l’on peut se poser est peut-être de savoir non seulement ce que veut ou que va incarner Laurent Wauquiez, mais aussi ce qu’il peut incarner. Car, manifestement, le dirigeant des Républicains souffre d’un important déficit d’image. En janvier 2018, 19% des personnes interrogées pour le baromêtre Ifop-Paris Match des personnalités politiques disent ne pas le connaître suffisamment pour se prononcer sur lui, quand 46% en ont… une mauvaise opinion. Il lui reste donc, après une baisse sensible, que 34% d’opinions favorables.

Deuxième élément, ce déficit de popularité vaut aussi en interne. Laurent Wauquiez n’obtient dans le même sondage que 63% d’opinions favorables parmi les électeurs des Républicains… C’est peu pour un chef de parti, quand Jean-Luc Mélenchon, fait 96 % chez La France insoumise ou François Bayrou 95% au Modem. C’est peu même par rapport à d’autres personnalités issu des rangs du même parti : 94% d’opinions favorables au sein des Républicains pour Nicolas Sarkozy, 79% pour Alain Juppé, 68% pour Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand, et Laurent Wauquiez se situe en fait au même niveau que Gérard Larcher, à peine au-dessus de Brice Hortefeux. Il est en fait plus apprécié (73%) chez les électeurs de Debout La France qu’au sein de son parti (et recueille 53% d’opinions favorables chez électeurs de François Fillon mais 67% chez ceux de Nicolas Dupont-Aignan).

En fonction de ces éléments, on comprend que Laurent Waquiez doive pour exister politiquement faire des choix, sortir du bois, s’affirmer, en interne comme par rapport aux autres formations politiques. Mais comment faire ? C’est peu dire que Les Républicains sont en crise depuis la dernière élection présidentielle, entre les ralliés à Emanuel Macron, les tentatives intermédiaires des « constructifs », les départs ou les quasi-départs des Bertrand, Juppé et autres Pécresse. Dans ces conditions, un discours de « rassemblement » est-il audible ? Par ailleurs, médias et anciens « compagnons » ont savamment tissé autour de Laurent Wauquiez un enchevêtrement de « lignes rouges » qui semble ne lui laisser finalement le choix qu’entre le ralliement à une droite européo-centriste ou l’alliance avec l’extrême droite.

Dans L’émission politique du 25 janvier, Laurent Wauquiez ne fera en fait ni l’un ni l’autre. Ni alliance quelle qu’elle soit avec le Front National, et en cela donc respect des fameuses « lignes rouges » ; ni nième tentative de rassemblement de personnalités qui, selon lui, n’ont définitivement plus rien à se dire et dont l’union factice, obligeant pendant des années la droite à se limiter au filet d’eau tiède du plus petit dénominateur commun, a profondément nuit à la crédibilité de son discours. Il propose une refondation de la droite – d’une droite « de droite », utilisant des termes, un vocabulaire de droite, ce qui énerva Léa Salamé, faillit faire tomber en pamoison Nathalie Saint Criq et inquiéta Alain Minc.

Quelle comparaison peut-on faire au regard de ce que pouvaient incarner les précédents dirigeants de la droite française, de Nicolas Sarkozy à Alain Juppé, de Jacques Chirac à Philippe Séguin, quel est le credo de Laurent Wauquiez ? 

Christophe Boutin : Même si Laurent Wauquiez eut l’humour de se réclamer sur un point, lors de l’émission, d’une proposition ancienne d’Alain Juppé, il est évident que le divorce est consommé, comme il l’est avec la ligne chiraquienne – mais il faudrait préciser que l’on évoque ici la ligne – ou son absence - de Chirac régnant, roi fainéant élyséen, figure très éloignée de celle du jeune Chirac. Car on pourrait à bon droit se souvenir de la franchise de ton de ce dernier, ou de son sens de la répartie, pour noter que Laurent Wauquiez sut trouver un ton assez proche pour répondre à ses contradicteurs sans jamais céder sous la pression. On retrouvait aussi l’ombre portée du style de Nicolas Sarkozy dans une volonté de nommer clairement les choses sans plier sous le poids d’une émotion trop facilement convoquée par divers intervenants.

Mais si l’on veut trouver un rapport idéologique à ce que présenta Laurent Wauquiez, c’est très certainement vers la figure de Philippe Séguin qu’il faut se tourner. Laurent Wauquiez a d’abord revendiqué une fibre sociale, portant notamment sur la défense de classes moyennes, qui était celle du député des Vosges, et c’est dans la tradition de ce gaullisme qu’il a retrouvé l’idée de « participation ». Dans l’opposition entre Jean Monnet et Philippe Séguin sur le fédéralisme européen, il a ensuite clairement pris parti pour le second, s’opposant à la fuite en avant d’un nouvel élargissement et réclamant un protectionnisme européen. Il n’est pas jusqu’à l’idée de « refondation » de la droite, portée, entre autres par Philippe Seguin en 1989, qui ne soit au cœur de la démarche actuelle de Laurent Wauquiez : il parle de créer une nouvelle droite, rajeunie dans sa composition mais aussi dans son discours, faisant place à de nouvelles problématiques, dont celle, rapidement évoquée, d’une « écologie de droite », et qui ose « remettre à plat » certaines politiques comme celle de l’immigration. On sait enfin l’attachement du maire d’Épinal aux réalités provinciales, et sa méfiance envers un certain technocratisme parisien, éléments visiblement partagés par le maire du Puy-en-Velay.

Maxime Tandonnet : On retrouve dans son discours un peu du Chirac de 1995 fustigeant la technostructure et sublimant la France des terroirs à travers par exemple le symbole de la pomme, se proclamant le défenseur de la feuille de paie. Il a été beaucoup reproché au chef d'Etat de l'époque de s'être détourné de cet engagement populaire par une politique de matraquage fiscal. Il y avait aussi beaucoup de Sarkozy, réhabilitant la notion d'identité nationale et les "racines chrétiennes" de la France, réclamant une meilleure maîtrise de l'immigration. Mais c'est surtout Philippe Séguin, en effet, qui apparaissait de toute évidence comme la référence suprême de Laurent Wauquiez. Le thème de la refondation de l'Europe, dans un sens moins bureaucratique et plus ouvert sur la démocratie, les préoccupations des citoyens, était omniprésent dans son discours. Sur l'affaire de la fusion Siemens/ Alsthom, le leader des Républicains a défendu les intérêts de la France et de l'industrie française. Il m'a même semblé entendre les termes "intérêt national", maudits de la classe politique française depuis des décennies. En outre, dans la continuité de Chirac, Séguin et Sarkozy, Laurent Wauquiez a exclu toute perspective de manœuvre et d'alliance d'appareil avec le Front national, tout en tendant la main aux millions de Français qui par dépit et sentiment d'abandon, ont voté pour ce parti. A cet égard, il s'inscrit donc dans une tradition fermement établie depuis Chirac, Séguin et Sarkozy.

Comment se positionne cette "incarnation idéologique" dans un paysage politique actuel construit autour d'Emmanuel Macron, de Marine Le Pen et de Jean Luc Mélenchon ?

Maxime Tandonnet : Il me semble que le pari de M. Laurent Wauquiez, c'est que justement, ce paysage n'est pas stabilisé et reste mouvant. La popularité d'Emmanuel Macron, toute relative, repose sur une image personnelle, bien plus que sur une politique et des résultats. Si la situation de la France, notamment en matière d'emploi, de sécurité, de maîtrise de l'immigration, de niveau scolaire, s'améliore sensiblement dans les années à venir, le chef de l'Etat en sera tenu pour responsable et verra sa cote durablement affermie. En tout autre cas, la déception sera à la hauteur des espoirs placés en lui et le retour de boomerang, probablement violent. Mme le Pen semble affaiblie au regard de ce qu'elle représentait avant 2017. M. Mélenchon garde une image marquée par sa radicalité. Il est très difficile de savoir comment le paysage va évoluer. La déflagration de 2016/2017  qui a balayé la classe politique n'était sans doute qu'un début. L'opinion reste profondément instable et méfiante. Bien sûr, le renouvellement des visages a été spectaculaire. Pour autant, la vie politique a-t-elle vraiment changé sur le fond? A-t-il été mis fin au copinage et au clanisme, à la défense des corporatismes, au carriérisme, à l'excès de personnalisation du pouvoir, à l'obsession de la réélection, à la démagogie, au détournement de la chose publique au profit de la vanité narcissique, à la tyrannie de la posture et de la communication au détriment de la réalité et de l'intérêt général? Sans doute est-il trop tôt pour le dire. En tout cas, M. Wauquiez, comme il a commencé à le faire hier soir, dans un rôle de catalyseur des énergies, et sûrement pas de mythique et nième "sauveur providentiel", aurait tout avantage à prendre ces questions à bras le corps. L'avenir se jouera en grande partie sur elles.

Christophe Boutin : Un paysage politique construit et centré autour de la figure jupitérienne en effet, avec un faire-valoir de gauche, volontiers caricatural dans ses outrances, et un faire-valoir de droite, sur les capacités réelles de laquelle on a pu émettre des doutes.

C’est toute la difficulté de Laurent Wauquiez que de parvenir à incarner une opposition qui soit à la fois compétente et cohérente, et on aura compris à suivre L’émission politique que tout sera fait pour l’en empêcher.

On pourrait synthétiser son choix doctrinal d’opposant en disant qu’il a choisi de le centrer autour de l’idée de protection : de protection de classes moyennes du déclassement sur le plan économique ; de protection du pays tout entier, dans sa sécurité comme dans son identité, face aux menaces que peuvent faire peser un certain intégrisme musulman et une immigration incontrôlée.

Or, selon Laurent Wauquiez, la politique d’Emmanuel Macron ne répond pas à cette demande de protection et de sécurité : elle ne le fait pas d’abord avec des choix économiques qui pèsent une fois de plus sur les classes moyennes ; elle ne le fait pas ensuite en refusant de prendre à bras le corps les questions de la sécurité ou de l’immigration ; et elle ne le fait pas enfin en réclamant une fuite en avant vers toujours plus d’Europe, élargie, intégrée, souveraine, au détriment des États.

Face à ce progressisme dont se réclame Emmanuel Macron, Laurent Wauquiez a tenté de poser les bases d’une nouvelle droite conservatrice : une droite revenant à ses principes, à ses valeurs sans pour autant se crisper sur celles-ci ; une droite sachant se renouveler sans se renier ; une droite pleinement acquise à un réalisme politique relevant tout simplement parfois du seul bon sens.

Il semble que son effort de clarté ait payé : à la fin de l’émission, 50% des téléspectateurs l’avaient trouvé « convaincant », l’un des scores les plus élevés des invités (74% pour les membres de LR), et 51% considéraient qu’il représentait un renouveau de la droite (71% pour les membres de LR). On retrouve donc en interne ce socle partisan des ¾ des Républicains qui l’a porté à la présidence du parti, mais sa clarté de ton semble avoir été appréciée plus largement à droite.

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