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Crise de défiance généralisée mais confiance dans les autorités face au Coronavirus : les étonnantes leçons politiques d’une schizophrénie française
©LUDOVIC MARIN / AFP

Impact politique

Selon un sondage réalisé par Opinion Way, les Français placent majoritairement leur confiance dans le gouvernement et les médias sur la crise du coronavirus, malgré les critiques des partis d'opposition comme la France Insoumise ou le Rassemblement national.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Alors que les partis d'opposition comme la France Insoumise et le Rassemblement National continuent de jouer la carte de la rupture avec le Président, les Français, selon le sondage réalisé par Opinion Way, placent majoritairement leur confiance dans le gouvernement et dans les médias qui les informent. Comment expliquer ce revirement de l'opinion publique ? Pourquoi les Français rejettent-ils le "nouveau monde" proposé par les partis dits alternatifs ?

Christophe Boutin : Lorsqu'un individu se sent en insécurité, il se tourne spontanément vers l'autorité chargée de le protéger, et c’est ce qui se passe ici, comme cela a pu arriver après que des attentats soient commis ou lors d'autres types de crise. Ce n'est que lorsqu'il est confronté à une totale inefficacité dans la gestion de la crise de la part de celui dont il recherche la protection - dans un État l'autorité, le pouvoir, quel que soit le terme que l'on utilise – qu'il y aura, assez tardivement d’ailleurs, une remise en cause. Assez tardivement car il faut être poussé à bout pour mettre en doute les capacités du pouvoir face à une crise majeure – on veut croire, malgré l’évidence parfois, à ses capacités à la gérer, pour se rassurer. Et être plus encore à bout pour penser à changer ce pouvoir en plein milieu d’une crise : on préfèrera souvent un connu médiocre aux risques de l’inconnu.

Si l'on regarde la situation actuelle, il n'y a donc pas nécessairement un revirement de la part des Français qui porterait sur leur approche globale de la présidence macronienne, mais plus une application de ce réflexe assez classique. Il n’y a donc pas nécessairement contradiction entre les critiques formulées contre le Chef de l’État et son gouvernement et une appréciation plutôt favorable de la gestion de la crise sanitaire liée au coronavirus : on connaît tous l’image de ces personnes qui ne cessent de critiquer les forces de sécurité mais se précipitent vers elles lorsqu’elles se sentent en danger.

Par ailleurs, il n'est pas évident que les citoyens français proches de ce que vous appelez les « partis contestataires », la France insoumise ou le Rassemblement national, n’aient pas une vision plus critique de la gestion de cette crise que celle que peuvent avoir les partisans de La République en Marche. Certes, le sondage qui nous intéresse n'opère pas de distinction entre les réponses données selon les proximités politiques, ce qui ne permet pas de trancher en la matière. Mais on peut noter que la « France périphérique » - les CSP- et les habitants des communes rurales, pour prendre ces deux marqueurs présents dans le sondage - est celle qui reste le plus critique de la politique menée, et cela nous inciterait à nous interroger sur le revirement de partisans de « partis contestataires », qui font souvent partie de cette « France périphérique ».

Vincent Tournier : Il me semble que vous faites une lecture un peu trop optimiste. En fait, ce sondage ne comporte aucune question sur la confiance proprement dite dans le gouvernement. On n’y trouve pas une question du type « avez-vous confiance dans la façon dont le gouvernement actuel fait face à l’épidémie ? », pas plus qu’on y trouve d’ailleurs une question sur l’impact de l’épidémie sur les élections municipales, ce qui est dommage. L’institut Opinion Way ne fournit même pas la ventilation des résultats en fonction des appartenances politiques. On ne peut donc pas savoir si l’épidémie est susceptible d’avoir un impact politique. 

Dans ce sondage, la question qui se rapproche le plus de la confiance dans le gouvernement est la suivante : « Diriez-vous que les pouvoirs publics français prennent toutes les mesures nécessaires pour… ? » et suivent alors trois mesures : informer de manière fiable la population ; préparer la France à l'éventualité d'une grave épidémie de Coronavirus, éviter la propagation de l'épidémie en France. La question concerne donc « les pouvoirs publics », ce qui n’est pas exactement la même chose que « le gouvernement » (elle peut inclure l’administration de la santé, voire l’appareil médical, ce qui n’est pas la même chose). 

En outre, pour ces trois indicateurs, la tendance n’est pas très optimiste : à peine 57% des gens ont répondu oui à la première proposition (informer de manière fiable la population). Donc, près de la moitié des Français (43%) considèrent que les pouvoirs publics ne font pas le maximum pour informer les gens. On est loin d’une confiance massive, surtout pour un sujet qui n’est pas de nature politique. Quant aux deux autres indicateurs, les réponses sont encore moins bonnes : 52% des Français pensent que tout est fait pour préparer la France a une grave épidémie et 50% pour éviter la propagation du virus. Bref, au vu de ce sondage, on ne peut pas dire que les Français sont dans une attitude de confiance à l’égard du gouvernement. C’est d’ailleurs ce que montrent d’autres études. Par exemple, un sondage IFOP du 28 février indiquait que pour 57% des Français le gouvernement a caché certaines informations, chiffre qui est en hausse de 12 points par rapport au 30 janvier. Pour l’heure, le gouvernement n’est donc pas dans une position très favorable. Il va devoir faire de sérieux efforts pour montrer qu’il est à la hauteur de la situation. 

En 1986, les citoyens de Tchernobyl n'avaient d'autre choix que d'accepter ce que le gouvernement préconisait, et ne pouvaient pas avoir d'informations tangibles sur ce qu'il se passait dans le pays. Dans ce sondage, les gens semblent satisfaits de l’information donnée. Est-ce un élément important de leur confiance ?

Christophe Boutin : Il faut distinguer dans ce sondage entre les jugements formulés sur l'information, ceux portant sur l’action, et ceux enfin évoquant sur des actions spécifiques, car il y de très importantes différences : si on atteint parfois près des ¾ de Français pour se féliciter de l’information donnée, on en trouve en même temps les 2/3 pour critiquer certaines actions… ou inactions. Détaillons un peu.

Les Français estiment donc avoir été plutôt bien informés, mais sur quoi ? Plus sur les comportements individuels à adopter (76 %) que sur l'évolution de l'épidémie (61 %) et surtout les actions mises en œuvre par les pouvoirs publics pour lutter contre elle (51 %). Avec bien sûr des disparités : ceux qui estiment avoir été le mieux informés sont les catégories CSP+ ou les habitants de l'agglomération parisienne, ceux qui s’estiment moins bien informés étant les CSP- et les habitants des communes rurales.

Sur l'action entreprise par le gouvernement d’Emmanuel Macron pour lutter contre l’épidémie ensuite, on reste finalement autour de la moyenne, car si 57 % des Français estiment que les pouvoirs publics ont pris toutes les mesures nécessaires pour informer la population, ils ne sont plus que 52 % à trouver que ces mêmes pouvoirs publics ont correctement préparé la France à l'éventualité d'une grave épidémie, et 50 % à penser qu'ils ont œuvré correctement pour éviter sa propagation - là encore ce sont les CSP- et les habitants des communes rurales qui sont le plus dubitatifs.

Le sondage pose enfin deux questions précises sur des actions spécifiques, et là les Français sont très critiques. Sur la préparation des hôpitaux d'abord, ils estiment à 60 % que ces derniers ne sont pas prêts à accueillir un grand nombre de malades, avec cette fois en tête les catégories CSP+ (62 %), les 50-64 ans (67 %) et les  habitants des communes rurales (68 %), selon les cas parce qu’ils portent une attention particulière à la crise hospitalière ou qu’ils sont touchés par la désertification médicale.

Sur la fermeture des frontières aux personnes qui viendraient de pays dans lesquels l'épidémie est importante enfin, les Français y sont très largement favorables, aux deux tiers (66 %), mais là encore avec des variations importantes et l’on retrouve en tête  les CSP- (74 %), les 35-49 ans (74 %), les habitants des communes rurales (77 %, quand ceux de l'agglomération parisienne n’y sont favorables qu'à 58 %).

Cela confirme ce que l’on sait : le jugement portant sur l’information n’est pas celui portant sur l’action, celui portant sur l’action globale n’est pas celui qui évoque les mesures précises. Plus on reste sur une gestion prise de très loin et plus on trouve de personnes globalement satisfaites ; plus on évoque des exemples précis et plus les critiques apparaissent. De plus, en dehors de ce que nous avons déjà dit des réserves de la « France périphérique », on constate sans surprise que plus les gens sont inquiets sur la nature et le développement de l’épidémie, moins ils estiment avoir été correctement informés et plus il demandent des mesures fermes.

Ce revirement de l'opinion peut-il profiter aux membres de la majorité présidentielle qui se présentent aux élections municipales ?

Christophe Boutin : De manière assez lointaine, et ce pour deux raisons. La première est que, même si effectivement le maire est responsable des questions de sécurité, de salubrité et de santé sur le territoire de sa commune, on comprend bien que, face a une épidémie d'ampleur, il lui faille l'appui des services de l'État. C’est d’ailleurs naturellement vers ces derniers que se tournent les Français, plus que vers une administration municipale dont ils connaissent les moyens limités. La seconde raison est qu’il faudrait, pour qu’une victoire nationale sur le virus ait un impact sur l’élection municipale, qu’elle ait lieu très rapidement, quand le président Macron vient d’évoquer une crise qui durerait des semaines sinon des mois.

S’il y a une influence de cette crise sur les élections municipales en cours, ce sera plus - mais ce pour les candidats LREM comme pour les autres - au travers de la manière dont les électeurs jugeront la partie de leur programme consacrée à l'offre de soins dans leur commune. On connaît les deux inquiétudes des Français en la matière. La première touche à la désertification médicale, c'est-à-dire à la difficulté dans laquelle se trouvent nombre de nos concitoyens de pouvoir consulter un médecin dans des délais rapides et à une distance pas trop éloignée de leur domicile. Quand certains d’entre eux, refusés par les cabinets débordés, n’arrivent même plus à avoir le fameux « médecin traitant » pourtant rendu obligatoire par le « parcours de santé » et terminent aux urgences, quand une population vieillissante mesure l’effondrement de l’offre par rapport à ce qu’elle a pu connaître jeune en même temps qu’elle devient plus demanderesse de soins, on se trouve face à une inquiétude grandissante. Une inquiétude qui recoupe la seconde, touchant cette fois un hôpital public qui atteint, malgré le dévouement de ses personnels, ses limites. Parmi les « sécurités » demandées par les Français, la sécurité sanitaire est importante, et ils demandent de plus en plus aux maires de trouver des solutions, l’épidémie actuelle rendant simplement ce point plus important encore.

Vincent Tournier : On ne peut pas parler d’un revirement dans la mesure où rien ne dit que le gouvernement ait gagné la confiance de l’opinion. D’ailleurs, le sondage d’Opinion Way, même s’il apporte des informations intéressantes, ne donne aucun élément de comparaison dans le temps. Or, si on en croit les sondages de l’IFOP, l’inquiétude a fortement augmenté, ce qui est un signe plutôt négatif pour le gouvernement : cela veut dire que celui-ci n’a pas réussi à convaincre de sa capacité à maîtriser la situation. Il faut dire que le départ précipité d’Agnès Buzyn du ministère de la santé au début de l’épidémie n’est pas de nature à rassurer : avec ce changement, le pouvoir a fait passer le message qu’il accorde plus d’importance aux élections municipales à Paris qu’à la gestion de la crise. Comme communication de crise, on fait mieux. 

L’épidémie peut néanmoins bénéficier au pouvoir en place, d’une part parce qu’elle met en retrait les questions politiques, d’autre part parce que, comme dans toutes les périodes de crise, il y a un phénomène d’union sacrée. C’est normal, et c’est aussi le signe qu’il existe une certaine conscience nationale, voire que subsiste l’espoir chez les électeurs que les dirigeants, malgré leurs défauts, se préoccupent du sort de leurs concitoyens. 

Mais on n’en est pas là. A ce stade, l’impact sur les municipales s’annonce limité. D’abord, la crise sanitaire n’a pas atteint un degré de panique suffisamment élevé pour ressouder la population et effacer les griefs envers le pouvoir ; ensuite, on est sur un scrutin local, donc les éventuels effets d’une crise nationale sont forcément atténués.  

Quel impact cette épidémie peut-elle avoir sur la suite du quinquennat et sur l'opinion publique ?

Christophe Boutin : Une crise de cette ampleur demande deux choses qui, toutes deux, touchent au fonctionnement même du système Macron, et sa gestion aura donc nécessairement des conséquences. Premier élément, Emmanuel Macron s’est toujours posé comme un technicien du pouvoir, fonctionnant de manière rationnelle et efficace. C'est ce qui fonde en grande partie la légitimité de son gouvernement, où les techniciens ont toute leur place. C'est ce qui fondait aussi la volonté de remplacer, sur les bancs de l’Assemblée cette fois,  un personnel politique dont on estimait qu’il était coupé des réalités par des représentants de la société civile qui, au contraire, auraient mieux connu cette réalité et donc auraient été à même de conduire des politiques plus efficaces. En ce sens, et plus encore que pour d’autres pouvoirs, tout échec vient porter directement atteinte à sa légitimité, puisqu’elle est liée prioritairement à sa capacité technique.

Pour autant, la gestion d'une crise de cette ampleur, par les conséquences qu’elle entraîne, demande aujourd'hui aux politiques une dimension empathique, sinon lacrymale, qui permette de faire ces belles images toutes d’émotion qui ouvrent les journaux télévisés. Le Président et son gouvernement ont déjà pour certains Français un côté « techno », au point de paraître parfois insensibles, ce qui n’est pas acceptable en termes de communication. Encore faut-il pour remédier à cela que la dite communication soit maîtrisée – et celle de certains membres de l’équipe gouvernementale, qui ne rechignent pas à énoncer des énormités, peut sans doute être améliorée.

Maintenant, cette crise sera-t-elle décisive pour le reste du quinquennat ? À supposer qu’action et communication soient parfaites, l’image du Président thaumaturge touchant les écrouelles fera-t-elle oublier le reste ? Il est permis d’en douter si l’on revient au réflexe évoqué au début de nos questions : une fois la peur passée, celui qui portait aux nues le médecin qui allait le soigner ou le policier qui allait le défendre fait bien souvent preuve d’une monstrueuse ingratitude, oublie l’aide apporté - ne voyant plus que les dysfonctionnements qui ont pu avoir lieu – et se focalise sur les nouvelles craintes du moment. Or le gouvernement d’Emmanuel Macron fait face à d’autres crises que celles du coronavirus, et notamment à un certain nombre de crises sociales dont les conséquences se rappelleront tous les jours à des Français pour qui le coronavirus ne sera peut-être plus un jour qu’un objet de plaisanterie. En bref, une grosse perte de légitimité en cas d’échec mais pas un gain énorme en cas de victoire : grandeur et servitude des politiques.

Vincent Tournier : Il est difficile de se prononcer car l’épidémie n’en est qu’à ses débuts.  Tout va dépendre de deux paramètres : premièrement l’ampleur de l’épidémie et de ses effets, bien sûr, mais deuxièmement surtout la façon dont l’action du gouvernement va être perçue. Or, ce second paramètre va lui-même dépendre de nombreux facteurs : quelle sera notamment l’attitude des partis d’opposition (vont-ils accuser le gouvernement ou au contraire faire front commun ?) et quelle sera aussi l’attitude des scientifiques et des personnels médicaux puisque ces derniers vont être en première ligne. Pour l’heure, on n’entend pas trop de critiques, mais il y a quand même quelques voix qui semblent suggérer que les efforts en matière de prévention n’ont pas été suffisants, comme l’indique par exemple un chercheur du CNRS qui critique le manque de pilotage et de financement de la recherche depuis la crise du SRAS en 2003. Si l’épidémie devient vraiment sérieuse, il est évident que des questions sensibles vont commencer à se poser. Pourquoi par exemple a-t-on été aussi réticents à l’idée de fermer les frontières ou d’imposer des mesures de surveillance plus strictes ? Pourquoi a-t-on délocalisé la production d’une partie des appareils médicaux qui peuvent s’avérer très importants dans ce genre de crise comme les masques de protection ? Et plus généralement, est-ce une bonne idée de délocaliser notre production agricole et industrielle puisqu’on réalise maintenant qu’une crise sanitaire peut entraîner dans son sillage une crise économique majeure ? Il serait d’ailleurs assez ironique que le facteur qui porte le coup le plus rude contre la mondialisation ne soit la question sociale, ni la question environnementale, mais la question sanitaire. Mais c’est peut-être là le côté positif de cette crise : faire prendre conscience que l’échelon national, quoiqu’on en dise, reste indépassable. 

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