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Ce mécanisme psychologique qui explique que les familles de tueurs ou de djihadistes ne voient pas venir des passages à l’acte pourtant facilement prévisibles
©english.al-akhbar.com

Pulsion secrète

Si les familles semblent les mieux placées pour détecter les pulsions meurtrières d'un de leurs membres, elles tombent souvent des nues en apprenant le passage à l'acte.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Que cela soit la vengeance sociale du tueur d’Agen qui abat froidement début décembre son ancien patron et son épouse, la radicalisation islamiste du couple musulman Syed Farook et Tashfeen Malik, auteur de la tuerie à San Bernardino ou encore la dépression suicidaire du pilote de la Germanwings, Andréas Lubitz, les familles se disent « sous le choc » après leur passage à l’acte apprenant en même temps que le monde entier les projets meurtriers de leurs progénitures… Le dernier exemple étant le père du 3e kamikaze de l’attaque du Bataclan Foued Mohamed-Abbag qui ne comprend pas ce qui a pu se passer dans la tête de son fils décrit par ses amis comme « sportif » « poli » « marrant ».

Atlantico : Alors que les amis, la famille, et a priori les parents sont les mieux placés pour repérer les signes avant coureur de la radicalisation ou de l’orientation criminelle de leurs enfants, ils passent à coté… Cette ignorance pourtant difficile à croire parait sincère. Comment expliquer leur négligence ?

Pascal Neveu : Il me semble important tout d’abord important de préciser qu’il s’agit dans ces différents cas évoqués de personnalités qui ne peuvent être comparées. Leur profil psychologique est différent tout comme leurs motivations.  Lorsque nous réalisons ce que nous appelons des autopsies psychologiques (la genèse du passage à l’acte), afin de comprendre la psychologie du criminel, avant et pendant son acte, mais aussi le sens conscient et inconscient de cet acte) nous sommes confrontés à des actes singuliers, ou mimés/imités, préparés ou au contraire impulsifs.  Un criminel, comme un psychopathe n’est « repéré » qu’après son passage à l’acte.  D’ailleurs entendez bien les témoignages des voisins et amis qui découvrent l’horreur, disant à chaque fois : « mais il était si gentil... un voisin sans problème, toujours prêt à nous porter notre sac de courses... ».

Je caricature à peine.  Lors d’un récent colloque sur la violence auquel je participais, le jour même et quelques heures avant les événements tragiques du 13 novembre, nous répondions à une question du même type par ces mots : la violence, le crime et la barbarie n’ont ni visage, ni couleur, ni gène. Aucun scientifique, aucun médecin, aucun psy, ne peut prédire du passage à l’acte d’un individu, bien évidemment sauf post-consultations, et quand bien-même. Rappelez-vous les meurtres de personnel médical inattendus par des patients.  Aucun test actuel au monde ne peut permettre d’évaluer une orientation criminelle, même si plusieurs universités internationales finissent d’évaluer le test projectif Davido-CHaD, avec des résultats très intéressants, pour le moment post passage à l’acte, ce qui pose un souci éthique et méthodologique de repérage pré passage à l’acte.  Aussi, les parents, tout comme nous toutes et tous, sommes incapables de repérer des signes avant coureur.  Ces parents ne sont nullement négligents. Le criminel n’annonce pas son crime. Il se cache. Car il se le cache avant de céder à sa pulsion meurtrière.  N’oublions pas que les terroristes sont en proie à la prise de stupéfiants, ce qui n’est pas le cas par exemple de Andréas Lubitz, en proie, vraisemblablement à ses propres démons.          

Dans le cas des jeunes qui basculent dans l’islam radical, les jeunes concernés ne font pas seulement parti de la génération « ni père ni repère » avec un père déchu (incarcéré, chômeur, violent et/ou alcoolique), incapable de leur donner un cadre structurant mais sont aussi des jeunes tout à fait équilibrés, à la cellule familiale sécurisante et avec des perspectives d'intégration sociale très bonnes, est-ce à dire que les conditions sociales favorables sont comme des œillères pour les familles qui sont finalement confortées dans l’image qu’elles ont de leurs enfants?    

Dans le cas de l’islam radical, je serais plus dans une réflexion symbolique du Père. Car un grand nombre de ces jeunes se sont construits dans des structures familiales séparées.  Bien évidemment qu’un divorce ne produit pas de criminel, mais nos réflexions portent sur la possibilité de « Pères symboliques » d’embrigader des jeunes en manque de re-pères.  La période adolescente est la plus propice : changements de morphologie du corps intérieur et extérieur, nouveaux désirs incontrôlés et inattendus, relations ambivalentes avec ses parents, recherche d’une construction identitaire à travers des valeurs que l’on veut s’approprier, soutien par un « esprit communautaire », réappropriation de la morale familiale avec rejet possible, honte et mensonges, transgressions... Le jeune se cherche, se cogne à son éducation, flirte avec l’interdit... mais risque tomber sous le coup du chant des sirènes. C’est la période la plus vulnérable et la plus influençable... où le port du masque fait que personne ne sait réellement ce qui se passe dans la tête d’un individu, ce qui est du vrai et du faux... et des plans de projection du futur... Problème identitaire ? Rejet ? Trouble narcissique ? Soif de reconnaissance jusque fantasmer mourir martyr ?...  La honte, les interdits, les complicités... sont tels qu’aucune classe sociale, aucun moule éducatif ne peut être épargné par des radicalisations.  L’histoire des anarchistes ou encore des révolutionnaires a précédé celle de la radicalisation actuelle.             

Sont-elles dans le déni, est-ce un aveuglement volontaire? Est-ce l’amour pour leur enfant qui les rendrait incapables de voir la haine que nourrissent leurs enfants ? Quels sont les mécanismes psychologiques à l’oeuvre?    

Peut-on réellement parler de déni au sein de ses familles ?  Bien évidemment, tout parent ne rêve pas d’un enfant criminel.  Le désir d’une mère et d’un père est de se projeter en son enfant, de perpétuer la mémoire des anciens (restant ainsi symboliquement vivants).  On le voit très bien par exemple dans les rêves des femmes enceinte, notamment les deux premiers trimestres où l’enfant peut être représenté à différents âges.  Outre l’enfant qui cache ses propres tourments, ses conflits les plus profonds (car il ne veut pas peiner ses parents, car il a honte face à ses pensées qu’il ne peut communiquer auprès autrui...) nous possédons tous des œillères.  Ce sont nos mécanismes de défense, et notre propre propension à nous mentir.  Voyez ces cas de mensonges tel Jean-Claude Romand ? Qui est coupable en vérité ? Qui est complice ? Tout le monde... La société en premier lieu. Car nous cultivons un certain aveuglement. Michel Foucault l’écrivait, notamment à travers son ouvrage "Surveiller et punir". Nous fabriquons nos propres monstres.  De nombreux films, thrillers, d’horreurs, montrent très bien notre propre capacité à cultiver le beau au sein de notre pré-carré...  Pour des raisons louables.  J’ai lu les témoignages de parents, que je pense sincères, qui ressortent effondrés face à ce qu’ils n’ont pas vu venir.  Et j’entends en consultations de nombreux patients qui me disent "mais comment mes parents n’ont-ils pas pu voir ce qui se passait ?". Que dire si ce n’est qu’être parent n’est pas évident. Il y a toujours une défaillance excusable, il y a parfois des négligences inexcusables... mais il est toujours des difficultés de communication, des aveuglements qui sont déjà propres au sein des couples, et entre amis. Jamais je ne dirai qu’un parent a fabriqué un criminel ou un terroriste. C’est ne pas comprendre la complexité du développement d’un individu.          

Si l’explication à l’aveuglement des familles n’est pas seulement social mais surtout psychologique, comment surmonter cette barrière psychologique que représente le reniement ressenti par les parents ?    

Ces parents ont un terrible deuil à assumer. D’une part, la culpabilité énorme de porter la responsabilité du passage à l’acte de leur enfant. Comme s’ils avaient tué eux-mêmes. Comme certains l’expriment "Mais comment avons-nous pu créer un tel monstre ?"  D’autre part, le deuil d’un enfant idéalisé, qu’ils vont devoir psychiquement comme renier, en tout cas découvrir les faces obscures. C’est donc découvrir un enfant qu’on ne connaissait pas, que nous n’avons pas vu... et repenser à une tonne de détails, de moments, d’événements, de paroles... où ils vont se dire « Mais ce jour... n’était-ce pas un message ? Qu’a-t-il voulu dire ?" et se reprocher "J’aurais du me douter... pourquoi je n’ai pas réagi ?" Mais aussi "Je n’aurais pas du lui donner une fessée ce jour là... je me souviens de sa réaction"...

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