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Attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher : mais au fait, avec un an de recul, pourquoi sont-ils en guerre contre nous ?
©Reuters

Vue d'ensemble

Un an après les attentats de janvier 2015 et moins de deux mois après ceux du 13 novembre, les raisons qui ont poussé ces djihadistes à agir en France soulèvent toujours des débats houleux. Loin des émotions terrifiantes du bruit et de la fureur de ces actes, une plongée dans les motivations profondes de ces jeunes et de leurs cadres permet de mieux connaître le camp d’en face…

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Comment expliquer que l’Etat islamique, Al Qaïda et les jeunes djihadistes français soient en guerre contre l’Occident, et plus particulièrement la France  ?

Alain Rodier  : Il convient de considérer deux cas. Celui des idéologues des deux mouvements (EI -Daech- et Al-Qaïda "canal historique") et celui des exécutants de base qui ont perpétré les attentats de 2015.

Les idéologues des deux entités obéissent à une seule doctrine, le salafisme-djihadisme qui, pour faire court, prône à un retour à l’islam des origines et à un respect strict des textes sacrés, le Coran, les Hadiths et la vie de Mahomet. Il s’agit d’une doctrine guerrière (dite de la période "médinoise") et conquérante. Pour ces idéologues qui sont férus en textes sacrés (ils se disent "érudits"), il convient donc de créer à terme un "califat mondial" où la vie des populations est basée sur la charia la plus stricte.

La différence entre l’EI et Al-Qaïda "canal historique" réside dans la stratégie à adopter pour mener la guerre sainte. Pour Daesh, la création d’un "Etat" (situé à cheval sur la Syrie et l’Irak) est une première étape. Il constitue le "Dar al-islam" (la demeure de l’islam). A partir de ce noyau dur, l’EI pense être à même de conquérir progressivement le monde en commençant par les pays musulmans qui, selon ses idéologues, sont gouvernés par des "déviants" de l’islam. Ensuite, il sera temps d’étendre les conquêtes aux pays non musulmans, le "Dar al-harb" ou "Dar al-kufr" (la demeure de la guerre ou de la mécréance). Pour Al-Qaïda, il convient de déstabiliser peu à peu tous les Etats qui doivent à terme tomber comme des fruits mûrs dans son escarcelle. En cela, Al-Qaïda applique une stratégie inspirée par les Frères musulmans. Dans les deux cas, les idéologues savent que leur action devra s’étendre sur plusieurs générations.

Comme ce discours est inaudible pour les exécutants de base qui, dans leur grande majorité, ne connaissent pas la doctrine de l’islam, il a été décidé par les organes de commandement des deux mouvements, les "choura", de les motiver en "victimisant" systématiquement la Oumma (la communauté des croyants). En ce qui concerne la France, l’Histoire est mise en avant avec à l’origine des croisades considérées comme des agressions du monde croisé. Ensuite, le passé colonial de la France au Proche-Orient et au Maghreb est mis en avant. Enfin, les interventions en Afghanistan, au Liban, en Irak, en Syrie, au Sahel sont aussi présentées comme des attaques contre la Oumma. Enfin, l’attitude des autorités en France même avec la mise en avant de la "laïcité" est aussi considérée comme une maltraitance des musulmans. Bien que l’EI et Al-Qaïda ne se soient pas vraiment souciés des Palestiniens dans le passé, cette cause est aussi avancée en particulier pour stigmatiser les Français de confession juive.

Anthony Escurat  : Il est tout d’abord primordial de rappeler que ce qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux ne peut en aucun cas être résumé à une simple guerre entre le monde occidental d’un côté et ce que Samuel Huntington avait dépeint à gros traits comme la civilisation islamique de l’autre. Comme l’affirmait Edward Saïd, l’Orient est tout sauf un bloc uniforme.

Ainsi, numériquement, les principales victimes d’Al Qaïda ou de Daech sont des musulmans à l’extérieur des frontières de l’Occident (en Syrie, au Pakistan, en Jordanie, etc.). Dans ce contexte, la conception huntingtonienne de la civilisation musulmane et de l’"ennemi vert" ne résiste pas à ce que l'on pourrait qualifier de "choc islamique" ; choc duquel l’Occident n'apparaît, in fine, non pas à la périphérie (ce serait exagéré bien entendu) mais comme une cible parmi d’autres. La preuve en est donnée par l’affrontement entre sunnites et chiites ; la récente rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran en étant l’illustration la plus éclatante. Mais au sein même du monde sunnite, les divergences sont nombreuses et profondes.

La guerre en Syrie est ainsi depuis maintenant plusieurs années le théâtre de ce "choc islamique". L’Iran chiite porte à bout de bras le clan Assad alaouite tandis que l’opposition syrienne est soutenue par deux puissances sunnites rivales : l’Arabie saoudite et le Qatar. Combattant le même ennemi, Riyad et Doha se livrent en toile de fond une véritable "guerre dans la guerre". Le Qatar en soutenant les rebelles du front Al-Nosra, en cheville avec Al-Qaïda, l’Arabie saoudite en appuyant le front islamique. Tous deux contre Bachar Al-Assad et ses alliés chiites, mais l'un opposé à l'autre.

Dans cet épais brouillard, l’islam apparaît comme l’otage malheureux d’antagonismes bien plus politiques que religieux. Ce faisant, les djihadistes français n’en sont pas moins égarés et pris en tenaille. Souvenons-nous que les frères Kouachi se réclamaient d’Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) tandis que les terroristes du 13 novembre de l’État islamique. Deux organisations aujourd’hui moins duettistes que concurrentes…

Dans ce maelstrom, l’Occident apparaît à leurs yeux comme une cible à la fois symbolique et légitime. Dans son ouvrage La haine de l’Occident, le sociologue Jean Ziegler nous donne – sans le vouloir – des clés très intéressantes pour comprendre pourquoi Daech ou Al Qaïda nous attaquent, en distinguant ce qu’il appelle la "haine pathologique" (qui pousse au terrorisme) et la "haine raisonnée" (dont la conférence de Bandung en 1955 fut l’émanation politique avec ses hérauts tel Nasser puis trente ans plus tard comme Sankara).

Les raisons de cette haine sont multiples. Les blessures de la colonisation sont bien entendu toujours vivaces : Daech utilisant ainsi très souvent la notion de "croisés" dans sa communication pour évoquer les Occidentaux. Mais aujourd’hui c’est surtout l’hyper-domination occidentale, à la fois politique et économique, qui est pointée du doigt voire attaquée. L’idée que la colonisation occidentale constitue toujours une réalité est ainsi largement répandue dans une partie du globe : du Nigéria au Venezuela jusqu’en Syrie. Vu d’Orient, d’Amérique latine ou d’Afrique, l’impérialisme occidental est perçu aujourd’hui comme un trait d’union avec le colonialisme d’hier, et pas seulement par des extrémistes. Enfin, l’une des raisons principales qui féconde cette « haine » est la diplomatie à géométrie variable menée en permanence par les pays occidentaux. La pratique coutumière du double langage n’est pas (plus) acceptée dans une partie du monde oriental. L’intervention américaine en Irak, réalisée au nom de la démocratie, en est le point d’orgue, sinon de bascule. Comment l’Occident peut-il, ce faisant, ne pas susciter la « haine » en Orient ou ailleurs ? Daech et Al Qaïda ont prospéré, d’une certaine manière, sur nos propres échecs et nos mensonges.


En quoi ces raisons sont-elles réelles ou fantasmées ?

Alain Rodier  : L’Histoire ne peut être niée, les croisades et les colonies (qui ne s’étendaient pas qu’au monde musulman) ont bien existé. Mais ces temps sont révolus. Si l’on fait un parallèle, jamais la France n’aurait dû fraterniser avec les Allemands qui lui ont imposé deux guerres mondiales… L’Eglise catholique a su se réformer de l’intérieur en abandonnant son côté prosélytisme. Ce sont les responsables politiques de l’époque qui ont abandonné le système colonial, parfois au prix de très lourds sacrifices. L’Occident en général et la France en particulier ont su évoluer avec le temps, particulièrement en mettant les droits de l’Homme en avant.
Beaucoup d’Européens convaincus à la cause djihadiste jouent aussi sur le phénomène de «  victimisation  » pour magnifier leur engagement. Avant, ils n’étaient «  personne  »  ; une fois engagés, s’ils n’attirent pas le respect, ils inspirent la peur. Et cela, c’est extrêmement gratifiant. Ce qui est inquiétant réside dans le fait qu’ils sont prêts à se sacrifier pour laisser une «  trace dans l’Histoire  ». Comme ils ne connaissent pas la doctrine de l’islam, ils ne se rendent pas compte que le suicide est interdit même si le martyre est magnifié. Ainsi, pour  Yusuf Qaradawi, éminent islamologue qatari, président du Conseil Européen des fatwas et de la Recherche (organisation européenne publiant des directives à l’attention des musulmans européens),  l’islam interdit le suicide. Il écrit :  "Celui qui se tue, quel que soit le moyen, attente ainsi à une vie que Dieu a interdit de tuer sans raison valable. La vie de l’homme n’est pas sa propriété car il ne s’est pas créé lui-même  ; il n’a même pas crée un seul de ses organes, ni une seule de ses cellules. Sa vie n’est qu’un dépôt que Dieu lui a confié. Il ne lui convient pas de la laisser perdre et à plus forte raison d’être lui-même cause de sa perte […]" Le Prophète a prévenu celui qui se suicide qu’il sera privé de la miséricorde de Dieu au Paradis et qu’il méritera plutôt sa colère en Enfer.  Si les hadiths suffiraient à eux seuls pour interdire le suicide,  Yusuf Qaradawi  cite également le Coran en appui à son avis :  "Ne vous tuez pas vous-mêmes (ou les uns les autres). Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous." (sourate 4, verset 29). Sans justifier ni excuser les atrocités commises, une bonne partie de ces raisons s’ancrent malgré tout dans une certaine réalité.

Anthony Escurat  : Sur le plan politique, le double langage de l’Occident est insupportable aux yeux d’une bonne partie de l’Orient. La promotion permanente de la démocratie et des Droits de l’Homme s’accommodent mal du blanc-seing accordé à certains pays (des pétromonarchies notamment) et de l’ingérence en Irak, en Syrie ou en Libye. La diplomatie à géométrie variable est mortifère et nourrit inlassablement cette « haine » et le « sentiment d’humiliation », comme l’a démontré Dominique Moïsi, ressenti dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine.

Sur le front économique, les plans d’ajustement structurel menés par le FMI ou la Banque mondiale au cours des années 1990-2000 ont conduit à une plus grande paupérisation des pays récipiendaires, notamment en Afrique et en Amérique du Sud, et à la mainmise de l’Occident sur de nombreux secteurs d’activité (agriculture, santé, télécoms, etc.). Une politique dénoncée, entre autres, par le Nobel Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque mondiale, et qui a alimenté plus que jamais cette « haine de l’Occident ».

Les multinationales occidentales, assimilées – à tort ou à raison – à leurs gouvernements, sont dès lors les premières  concernées. Certes la plupart du temps avec la complicité active des exécutifs locaux, elles ont incontestablement participé à cette « haine ». L’exemple du Nigéria est à ce titre frappant. L’éclosion du MEND (mouvement pour l’émancipation du delta du Niger) puis de Boko Haram (qui a récemment prêté allégeance à Daech) s’est ainsi réalisée sur la « haine » suscitée par les compagnies pétrolières anglo-saxonnes et françaises, et par les profits générés et les dégâts environnementaux engendrés face à une population locale toujours plus pauvre.

Comme l’expliquait Amin Maalouf dans Le dérèglement du monde, l’Occident est dès lors critiqué non pas pour ses valeurs mais bien au contraire parce qu’il ne les respecte pas, ou seulement qu’à moitié.

Dans ce contexte, il serait illusoire de croire que ce sont notre démocratie, notre libéralisme, notre droit au blasphème ou même encore nos terrasses de café qui sont dénoncés. L’Occident est attaqué pour son impérialisme et le fossé abyssal qui s’est creusé entre ses paroles et ses actes.

En quoi l'EI voire Al Qaïda misent et ont misé sur une stratégie de provocation visant à provoquer une guerre civile dans les pays occidentaux et notamment en France ?

Alexandre Del Valle  : Je ne sais pas si c'est le but fondamental, mais il est vrai que la stratégie élaborée par les théoriciens de Daech, notamment Abou Moussab Al Suri et Aboubaker Naji, est qu'il faut tout faire pour investir les pays où il y a des oppositions intercommunautaires, des divisions entre musulmans et non-musulmans ou un désordre ou un chaos. Ils appellent cela « l'administration de la sauvagerie ». La stratégie consiste à profiter du chaos ou à créer une situation chaotique en massacrant des infidèles ou « apostats » en Europe et en France dans le but que cela déclenche un climat d'islamophobie susceptible de justifier puis encourager à la fois la radicalisation des musulmans, leur séparation d’avec les infidèles puis leur départ souhaite en plus grand nombre vers les territoires du  Califat. L'idée est donc à la fois de créer une terreur psychologique (« jeter l’effroi dans le cœur des Infidèles ») et de susciter une cassure entre musulmans et non-musulmans notamment pour provoquer l'exil des musulmans vers l'Etat islamique.

Il faut bien comprendre que dans les traditions salafistes, il est inconcevable et insupportable que des croyants obéissent aux non-musulmans et qu’ils vivent parmi des sociétés « mécréantes », d’où l’invitation des communautés musulmanes du monde entier à se réunir dans un Califat. En attendant, il s’agit de provoquer un « partheid volontaire » puis un phénomène de sécession islamique vis-à-vis des « pouvoirs infidèles ». Toute la rhétorique de l'EI, que l'on retrouve dans ses vidéos, est de dire : "Venez vivre dans un Etat islamique car vous n'avez pas le droit de vivre avec des mécréants." Dans cete perspective, susciter une vague d'islamophobie en réaction aux attaques islamistes permet de mieux séparer les communautés et donc de recruter des gens qui viendraient ensuite alimenter l'EI après avoir fui les pays mécréants » islamophobes ». Et si dans un second temps il y a une guerre civile, c’est la cerise sur le gâteau.

Plus globalement, et sur le long terme, l’objectif suprême de la stratégie terroriste jihadiste de la « Sidération » consiste à provoquer par la terreur psychologique un Syndrome de Stockholm collectif et généralisé chez l’ennemi infidèle et , grâce à cette immense publicité qu’est la médiatisation extrême du terrorisme, mettre en place gratuitement un gigantesque processus de « marketing islamique négatif et positif », puisque après chaque attentat terroriste, des semaines de médiatisation non-stop et de débats autour de l’islam s’enchaînent et pénètrent les consciences « mécréantes » au plus profond en vertu des lois de la communication et de l’intériorisation faites de répétition et de chocs psychologiques.

En effet, on constate depuis le 11 septembre que plus on tue au nom de l'islam, plus on parle de l'islam, en mal, certes, mais aussi « en bien » par « refus de l’amalgame. Le phénomène de « marketing » islamiste s’autoalimente et les médias occidentaux avides de sensationnel et politiquement correct tombent à chaque fois dans le panneau en faisant une publicité gratuite en faveur de la religion islamique dont aucune autre religion ne peut rêver de bénéficier. En fait, les Islamistes savent très bien que les pays occidentaux sont humanistes et prisonniers par leurs valeurs, et donc qu’il y aura toujours moult bien-pensant qui affirmera à chaque attentat que « l'islam ce n'est pas ça », que « le Coran est un texte d’amour », que le jihadisme n’a « rien à voir avec l’islam », etc,  et que cette religion victime de l’islamophobie doit être « plus respectée et représentée », etc.

Et en quoi, en France, cette stratégie trouve-t-elle un écho ?

Alexandre Del Valle  : Elle trouve un écho énorme, permanent, premièrement dans l’ultra-médiatisation que l’on fait des attentats eux-mêmes, dans la promotion de l’islam en général et de par les nombreuses conversions qui, loin de diminuer depuis le 11 septembre en  Occident se multiplient partout de la France aux Etats-Unis en passant par la Grande Bretagne, la Belgique ou l’Amérique latine ou l’Australie. Des chercheurs du CNRS ont étudié cet étrange phénomène depuis 2001 qui fait que même chez les « occidentaux de souche » et les judéo-chrétiens bourgeois occidentaux les conversions ont explosé.

Plus globalement, c'est une stratégie qui est fondée sur une perception aigue du fonctionnement du cerveau, des lois de la propagande, de la communication et de la manipulation des masses puis de la connaissance de l'être humain. Les stratèges jihadistes savent parfaitement que l'homme, paradoxalement, est attiré par ce qui est fort, puissant, voire terrifiant que l’homo sapiens comme les hordes de chiens ou de singes est séduit par la force et a tendance à suivre les chefs les plus violents, qu’il a tendance à se soumettre volontairement à ceux qui le terrifient psychologiquement. Si les mosquées salafistes les plus radicales sont les plus remplies dans nos capitales occidentales, c ‘est pour cette raison également. Inversement, si les églises catholiques conciliaires sont souvent vides, et si la religion qui est le plus impunément conspuée et attaquée est le catholicisme, c’est parce que ce dernier n’est plus ni combattif ni fervent ni impressionnant.

Malheureusement, l'être humain a gardé quelque chose de primaire, animal qui le pousse à donner raison au plus fort et à celui qui a l’air le plus menaçant et ou empreint de certitudes. C’est pourquoi les islamistes voient dans les occidentaux des masses d « endormis ». De la même manière dans une cité à problème où l’islam est la seule référence respectée avec la loi brutale des caïds, les coqs dominateurs et violents fascinent et les barbus au passé de combattants en Afghanistan ou ailleurs suscitent un respect inégalable. Et lorsque que le caïd devient un barbu l’alliage est redoutable. Plein de gens voudraient alors lui ressembler et admirent son courage héroïque. Face aux « mécréants » occidentaux « dormeurs » qui ont peur de la mort, celui qui ne la craint pas et qui tue au nom d'allah akbar en disant qu'il « aime la mort plus que la vie » et est prêt à tout pour réaliser l’islamisation de l’univers par le Jihad global sidère et fascine en même temps qu’il effraie et terrorise. Il suscite aussi des vocations par mimétisme.

Le pouvoir de fascination et d’imitation du jihadiste qui défie la mort et paraît ainsi être une sorte de surhomme est d’autant plus fort que nos sociétés occidentales cultivent en revanche une peur terrifiante de la mort et un refus munichois de toute idée de combat violent. De ce fait, les islamo-jihadistes parient sur le fait que les individus matérialistes et consommateurs d’antidépresseurs rien qu’à l’idée de vieillir se soumettront tôt ou tard et capituleront aux termes d’une contamination croissante et générale par une forme collective de syndrome de Stockholm.  

Quelle est le degré de pertinence des différentes raisons proposées ci-dessous pour expliquer la motivation des islamistes à s’en prendre à l’Occident et à la France  ?

1ère  raison : Il y a deux projets concurrents et incompatibles qui s’opposent entre le modèle occidental et celui de l’islam radical.

Alain Rodier  : Il y a effectivement deux projets concurrents évoqués ci-avant. Le défaut de l’Occident est de penser que le sien est applicable à l’ensemble de la planète sans prendre en compte les particularismes et les cultures locales et régionales. Le côté «  universel  » avancé par de nombreux intellectuels me gêne aux entournures. Le «  droit d’ingérence  » me fait aussi un peu peur. C’est un peu un retour au principe de la colonisation, exploitation des richesses des pays cibles en moins. Le sabre et le goupillon ont été remplacés par les bombes et les grands principes républicains.

Mais le projet «  islamique  », avant de s’attaquer au monde occidental passe d’abord par une guerre civile interne à l’islam dont la plus visible est celle qui oppose des sunnites aux chiites. Et même au sein des sunnites, des nombreuses luttes internes pour imposer telle ou telle vision de la religion font rage. Il est utile de rappeler que l’immense majorité des victimes de la guerre qui se déroule en ce moment sont des musulmans. Il ne s’agit donc pas d’une guerre de civilisations, mais d’une guerre à l’intérieur du monde musulman.

Anthony Escurat  : Encore une fois, rappelons que le projet de Daech n’est pas le projet de l’islam à proprement parler. L’islam ne peut et ne doit pas être résumé aux anathèmes proférés par Daech ainsi qu’au modus vivendi qu’il impose dans ses contrées. En cela, l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie, la liberté de conscience ou le libéralisme (économique comme politique), bien au contraire. Regardons  ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie. Malgré les attentats et les nombreuses difficultés inhérentes à tout changement politique, la transition post-Ben Ali peut être érigée en exemple. La population résiste, la démocratie fait son chemin.  Cependant, comme l’affirme Abdennour Bidar, « la civilisation islamique est aujourd’hui l’homme malade de la civilisation mondiale, et Daech est son symptôme le plus grave ». Il est dès lors impérieux en Occident de faire la publicité des efforts entrepris dans un pays comme la Tunisie afin de ne pas tomber dans le piège tendu par Daech, à savoir rejeter en bloc tout ce qui vient du monde musulman. L’Occident doit résister à cette tentation et être plus habile que ses adversaires. Les récents propos de Donald Trump à l’encontre des musulmans vont, à cette aune, dans la direction souhaitée par Daech. D’une certaine manière, le débat actuel en France sur la déchéance de nationalité également.

2ème  raison : ils nous attaquent pour ce que l'on fait, à savoir notamment l’impérialisme occidental, le soutien aux régimes pétroliers, l’intervention française en Syrie, le non soutien à la Palestine, etc.

Alain Rodier  : Je reviens à ma première idée  : les dirigeants des mouvements salafistes-djihadistes n’ont pas les mêmes motivations que les hommes de base. Pour les dirigeants de ces mouvements, leur premier objectif consiste à faire tomber les régimes qui dirigent les pays sunnites et à ramener les chiites dans l’orthodoxie de l’islam des origines (ceux qui refusent doivent être exterminés). Ensuite, il sera temps de s’en prendre à Israël -le seul pays à faire peur à Daesh en raison de sa puissance militaire et de sa détermination- qui est considéré comme une excroissance occidentale en terre arabo-musulmane. A terme, l’attaque de l’Occident devrait permettre l’établissement du califat mondial. Les dirigeants actuels de l’islam radical savent qu’ils ne connaîtront pas de leur vivant cet aboutissement. C’est pour cette raison qu’ils accordent une grande importance aux enfants qui seront les djihadistes de demain. Comme les nazis qui rêvaient de fabriquer une race pure de bons aryens, Daesh encourage les femmes à rejoindre l’Etat islamique où elles pourront procréer de futurs djihadistes pris en main dès leur plus jeune âge.
Les exécutants de base sont, pour leur part, formatés pour commettre l’irréparable. Les reproches qu’ils faisaient à la société ont été transformés en une véritable haine attisée par une propagande savamment distillée par leurs mentors. Ces derniers connaissent parfaitement les leviers sur lesquels il faut jouer pour les mettre en condition.

3ème  raison : ils nous attaquent pour ce que l'on est : Ils s’acharnent contre un Occident qui les fascine tout en ranimant l’humiliation historique des croisades, de la colonisation et d’un monde musulman sous la coupe de l’Occident.

Alain Rodier  : Cette raison est plutôt destinée aux activistes de base. La victimisation passe par la démonstration de l’humiliation à laquelle les musulmans sont soi-disant soumis en Occident. Les côtés décrits comme amoraux et décadents des sociétés occidentales sont aussi mis en exergue. C’est là que l’on se rend compte que chaque être humain a besoin de règles pour vivre harmonieusement or la liberté de tout faire et le libéralisme exacerbé ne constituent pas une règle gratifiante.

Anthony Escurat  : Comme l’explique avec justesse Dominique Moïsi dans « La géopolitique de l’émotion », le monde musulman est aujourd’hui, si l’on peut dire, la « communauté de l’humiliation ». Humilié par la prédation de l’Occident certes, mais aussi (et surtout) par ses propres échecs, son propre déclin politique comme économique. Du Nassérisme à la révolution iranienne de 1979, il n’a pas su construire un nouvel ordre régional ou mondial, alternatif à l’ordre occidental. D’une certaine manière, c’est le projet de Daech aujourd’hui en cherchant à ébranler à la fois le bloc occidental et le monde musulman lui-même.  

4ème  raison : ils nous attaquent pour ce que l’on est concrètement, dans la vie quotidienne, à savoir de confession juive, policier, etc.

Alain Rodier  : Les dirigeants des formations salafistes-djihadistes ont clairement désigné les ennemis de l’islam  : les juifs, les chrétiens, les représentants de l’ordre (militaires, policiers) et ceux qui représentent la culture décrite comme décadente et amorale (les enseignants). Mais si Al-Qaida «  canal historique  » fait une certaine sélection dans ses cibles (voir les attentats de janvier), ceux de Daesh partent du principe que tous ceux qui vivent en Occident, même les musulmans, sont des «  coupables  » qui doivent être châtiés d’où les assassinats indiscriminés du 13 novembre.

Anthony Escurat  : Ce que cherchent Daech ou Al Qaïda c’est viser des symboles : des journalistes, des juifs, des représentants de l’État, etc. Il s’agit du même mécanisme pour toutes les organisations terroristes. En Algérie, durant la décennie noire, le GIA ciblait également la presse, les intellectuels, les minorités chrétiennes ainsi que la police et l’armée. Puis vient le temps où la population dans son ensemble est prise pour cible. C’est le cas des attentats du 13 novembre dernier.

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