Allocations chômage, coût du travail, Smic... Là où la France peut agir, là où ça ne sert pas à grand-chose<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement mise beaucoup sur les solutions à l'échelle européenne capables de faire refluer le chômage.
Le gouvernement mise beaucoup sur les solutions à l'échelle européenne capables de faire refluer le chômage.
©Reuters

Charité bien ordonnée...

Alors que le sommet pour l'emploi s'est déroulé mercredi 8 octobre à Milan dans la plus grande indifférence, en attendant que l'Europe ne puisse apporter des solutions, la France peut déjà peser sur certains leviers afin d'inverser la tendance.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Le gouvernement mise beaucoup sur les solutions à l'échelle européenne capables de faire refluer le chômage. En attendant que les 27 parviennent à s'accorder sur une ligne politique commune, quelles sont les mesures structurelles, qui ne relèvent que de choix de politique intérieure, les plus susceptibles d'inverser la tendance sur le front de l'emploi ?

Philippe Crevel : Ce qui compte pour créer de l'emploi c'est d'avoir une offre compétitive. Il ne faut donc pas se focaliser sur le coût du travail contrairement à ce que l'on entend souvent… Globalement, il faut jouer sur les taux de marges en se positionnant sur le haut de gamme et sur les nouveaux marchés. Il faut donc alléger au maximum la taxation sur les processus de production. Il faut aussi avoir les mêmes assiettes, et si possible les même taux, que les autres pays d'Europe sur l'impôt sur les bénéfices.

Mais le principal rôle du gouvernement, c'est de restaurer la confiance des entreprises en instaurant une vraie stabilité. On est hélas actuellement dans un contexte de changement incessant des règles. C'est cela qui est le plus préjudiciable à l'entreprise et donc à l'emploi : l'instabilité des règles plus que leur existence elle-même. Cela pousse à l'attentisme constamment.

Gilles Saint-Paul : Il faut remettre en question les négociations collectives par branche et décentraliser au niveau de l'entreprise. Il faut ensuite différencier le SMIC par région car il augmente dramatiquement les coûts salariaux unitaires dans les régions les plus pauvres, rendant l'embauche non rentable. Le taux de croissance du SMIC devrait dépendre des conditions régionales d'emploi et de productivité. Il faut geler le SMIC dans les régions les plus sinistrées pour converger vers un système où le SMIC est indexé sur le panier de consommation local et non national. De plus, il est crucial d'accroître le nombre des heures travaillées afin de réduire les cotisations sociales. Cela passe par une réforme ambitieuse des retraites et une augmentation de la durée hebdomadaire du travail.

Le gouvernement soutient actuellement une ligne "dure" vis-à-vis des chômeurs en exigeant un meilleur contrôle et une réforme de l'assurance chômage. Que faut-il en attendre ?

Philippe Crevel : Il y a d'une part la question du retour à l'emploi, et celle du niveau de l'indemnisation. Ce qui compte, c'est évidemment le retour à l'emploi et l'accès à un service de qualité de la part de Pôle emploi. Il ne faut donc sûrement pas réduire le montant de l'allocation chômage, mais peut-être sa durée pour améliorer l'incitation à retrouver un poste. Mais cela doit se faire en parallèle avec une amélioration du service : le demandeur d'emploi est une victime et non un coupable de sa situation, au moins dans 90% des cas.   

Gilles Saint-Paul : Cela peut avoir des effets positifs à moyen terme. Mais à court terme ces effets seront faibles car la conjoncture est déprimée. De plus, un contrôle strict est censé avoir été mis en place depuis déjà longtemps. On peut donc s'interroger sur les contreparties concrètes que ces réformes auront au niveau du comportement de pôle emploi. Je serai partisan d'une forte dégressivité des allocations au cours du temps, quitte à augmenter le niveau initial de l'indemnisation, par exemple en versant un "pactole" aux chômeurs qui perdraient leur emploi par licenciement économique dans un secteur clairement identifié comme étant en déclin.  

Les cotisations sociales et le coût du travail sont pointés du doigt comme des freins puissants. Quels sont les règles simples, politiquement réalistes et rapides à mettre en œuvre, qui donneraient les meilleurs résultats sur le front de l'emploi ?

Philippe Crevel : Il faut déjà supprimer les exonérations de charges sur les bas salaires. Elles coûtent 30 milliards d'euros et spécialisent la France sur les produits à faible valeur ajoutée, un domaine où nous perdons des parts de marché car nous ne serons jamais aussi compétitifs qu'un produit chinois ou roumain.  De plus, cela empêche une vraie réforme du système de protection sociale.

Il vaut mieux envisager  un vrai changement, avec un système plus progressif – éventuellement complété par un abattement sur les premières centaines d'euros de salaire – pour supprimer les effets de seuils que l'on connait aujourd'hui. La multiplication des dispositifs d'exonération rendent actuellement le système illisible, et même le Conseil constitutionnel commence à s'opposer à un système parvenu à bout de souffle. De toute façon le coût du travail restera élevé en France. Nous sommes un pays avancé et nous n'avons pas vocation à régresser. Nos coûts du travail sont finalement assez proches des coûts allemands ou danois, et ce qui compte dans les faits c'est un mélange des coûts, du temps de travail et de la productivité.

Gilles Saint-Paul : Je ne sais pas ce qui est politiquement réaliste. L'idéal serait de repasser à 40 heures sans augmentation de salaire. Cela rétablirait spectaculairement notre compétitivité sans entamer le pouvoir d'achat et cela donnerait un signal fort aux investisseurs étrangers. Il n'est pas certain que cela soit "politiquement réaliste", encore qu'on ne voit pas pourquoi ce le serait moins que les récentes mesures fiscales ciblées à l'encontre des familles et des retraités, ou encore le gel du point d'indice des fonctionnaires (toutes ces mesures représentent un appauvrissement réel). D'autres mesures intéressantes consisteraient à libéraliser complètement le cumul emploi/retraite, et à plafonner les cotisations sociales totales versées par un salarié et ses employeurs au cours d'une année donnée (par exemple). En effet une part importante de la contrepartie de ces cotisations est sous la forme de droits accrus à la retraite et à l'indemnisation du chômage. Dès lors que ces droits sont suffisants, pourquoi ne pas réduire les cotisations en échange d'une réduction correspondante des droits? Ainsi, un cadre qui coûte 10 000 Euros à son employeur, pourrait ne coûter que 8.500 Euros, quitte à ce que la base de calcul de ses droits soit réduite proportionnellement. S'il désire augmenter sa retraite relativement à cette situation, il peut à titre personnel souscrire une retraite complémentaire. 

Le gouvernement et le Medef sont main dans la main sur le projet de rehausser les seuils sociaux pour relancer l'emploi. La tendance générale est aussi à la recherche d'une "simplification". En l'absence de croissance, quel impact peut-on attendre sur l'emploi d'une simplification du cadre normatif et/ou d'un allègement du code du travail ?

Philippe Crevel : On exagère beaucoup l'impact de ces fameux seuils… On peut évidemment simplifier, et supprimer des comités qui sont des lourdeurs pour les entreprises. Mais on gagnerait beaucoup plus en efficacité en consacrant notre énergie au développement de la recherche et des investissements, au lieu de se focaliser sur ces seuils, même s'ils sont gênants. Et je rappelle qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni, il y a également ce type de règlementations complexes. On est donc trop n nombrilistes sur ce thème.

Gilles Saint-Paul : Le code tu travail est très lourd et le chantier est colossal. L'enjeu l'est également, mais cela représenterait une véritable révolution copernicienne pour notre classe dirigeante, qui ne conçoit pas une économie autre qu'administrée. Elle ne conçoit pas non plus que la moindre protection des salariés dans un emploi donné serait compensée par une plus grande facilité à trouver un autre emploi. En ce qui concerne les seuils, je ne suis pas certain qu'ils aient un impact élevé sur le taux de chômage. Mais ils représentent une forte "inefficacité allocative", en créant un excès d'entreprises trop petites et trop peu rentables, et constituent un frein à la croissance et à l'innovation. Il s'agit aussi d'une entrave déguisée à la concurrence qui profite aux entreprises les plus grosses en réduisant le vivier de PME qui pourraient croître et les concurrencer. En fait, en imposant des "seuils", le gouvernement reconnaît implicitement que ses réglementations sont inutiles et nuisibles. Si un salarié d'une petite entreprise vit sans comité d'entreprise, pourquoi ces derniers sont-ils obligatoires dans les grandes?

A quelle hauteur l'effet psychologique de la main tendue peut-il jouer dans l'amélioration de la situation ?

Philippe Crevel : Il y a une notion d'équilibre. Les entreprises, c'est une combinaison entre du travail, du capital et du progrès technique. Etonnamment, on voit que les gouvernements socialistes finissent toujours par favoriser le capital… Je pense qu'aujourd'hui, il faut envisager l'association travailleurs/capital, et envisager d'aller plus loin vers la cogestion, comme en Allemagne. Les salariés doivent aussi avoir confiance envers leurs employeurs. Le gouvernement devrait travailler à ce qu'il y ait une vraie convergence des intérêts. L'épargne salariale est d'ailleurs un outil efficace favorisant cette compréhension mutuelle.  

Le manque d'investissements privé étant est également une désincitation à créer de nouveaux emplois, quelles sont les possibilités de le relancer rapidement sans creuser un peu plus le déficit public ?

Philippe Crevel : On voit que le CICE monte en puissance bien moins vite que prévu, puisque le gouvernement tablait sur 14 milliards, alors que l'on est plutôt entre 8 et 10 milliards. Le dispositif est trop complexe et les entreprises se méfient. Il faut donc envisager plus simple, et surtout moins conditionné, plus neutre, pour ramener la confiance. S'il doit y avoir une simplification, elle sera là.

Gilles Saint-Paul : La seule possibilité serait d'augmenter les investissements productifs (infrastructures, etc), en les finançant par des économies ailleurs. Les sources d'économies ne manquent pas: guerre en Irak, AME, intermittents, régimes spéciaux de retraites, mille-feuille territorial, effectifs pléthoriques de certains services publics à l'heure des nouvelles technologies de l'information, "emplois d'avenir" probablement inutiles, etc. Mais les transferts clientélistes au profit de groupes bien organisés et clairement identifiables ont un rendement électoral bien plus élevé que les dépenses productives qui bénéficient à tout le monde. 

La situation économique allemande est aujourd'hui préoccupante. Quels enseignements faut-il en tirer quant à ce qu'il faut dupliquer du modèle et ce qu'il faut éviter ?

Philippe Crevel : La force de l'Allemagne, c'est que quand les carnets de commandes se vident, les entreprises disposes de moyens juridiques pour placer une partie de leur personnel en formation. Cela a évité une forte hausse du chômage à partir de 2009, car cela créé un stade intermédiaire pour attendre une éventuelle reprise. Et les fédérations professionnelles jouent un rôle actif de soupape de sécurité dans le dispositif. Les entreprises et les fédérations françaises devraient s'en inspirer (ce qui pose au passage la question de la formation professionnelle où les entreprises  devraient prendre le relais des régions et de l'Etat). L'autre point positif en Allemagne, c'est la flexibilité d'aménager avec souplesse le temps de travail et le temps partiel. Il y a aussi une meilleure compréhension par les salariés des intérêts de l'entreprise. Par contre je ne suis pas certain qu'il faille mettre en avant les  emplois de service à faible rémunération. Notre intérêt est plutôt d'emmener le plus grand nombre de salariés vers des emplois à forte valeur ajoutée et, si possible, bien payés. 

Gilles Saint-Paul : La situation conjoncturelle allemande n'est pas très bonne, mais celle de l'emploi y est bien supérieure qu'en France. Je ne pense pas que leur modèle de relations salariales soit transposable au cas français, mais il a montré sa supériorité sur le long terme.Afficher l'historique des mails.

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