2021 : la chute finale de la gauche et la naissance du zemmourisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour prononce un discours lors de son meeting à Villepinte, le 5 décembre 2021.
Eric Zemmour prononce un discours lors de son meeting à Villepinte, le 5 décembre 2021.
©STEFANO RELLANDINI / AFP

Bilan 2021

Quarante ans après la victoire de François Mitterrand en 1981, la gauche apparaît plus affaiblie et divisée que jamais. Le malaise semble profond : a-t-elle encore quelque chose à dire aux électeurs, notamment à l’égard des milieux populaires ? D’où vient cette impression qu’elle est dans une impasse, au moment même où Éric Zemmour bouleverse le jeu politique en s’affranchissant de tous les tabous qu’elle a érigés depuis 30 ans.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Que reste-t-il de la gauche ? L’année 2021 s’est ouverte par la commémoration du 25ème anniversaire de la mort de François Mitterrand – commémoration qui a cruellement rappelé l’absence d’un grand leader consensuel à gauche – et elle se termine par une pré-campagne désastreuse pour la gauche. Dans les sondages, celle-ci peine à dépasser 25% des intentions de vote, ce qui est son plus bas niveau sous la Vème République. Ses trois principaux candidats (Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon) sont incapables de s’entendre sur un nom et un projet communs. Pour ajouter à la confusion, l’ancienne ministre de la justice Christiane Taubira vient d’annoncer qu’elle pourrait à son tour être candidate, elle qui a péniblement atteint 2,3% en 2002. L’histoire dira s’il lui revient, après avoir contribué à l’échec de Lionel Jospin en 2002 – et accessoirement après avoir fracturé la société française avec sa loi de 2001 sur les traites négrières, point de départ du décolonialisme en France – de donner le coup de grâce du PS en 2022.

La défaite morale de la gauche

Divisée et affaiblie, la gauche est surtout muette ou inaudible. Tout se passe comme si elle avait disparu des écrans radars de la politique. Comble de son malheur, voilà que son pire ennemi, son exacte antithèse, son objet d’exécration par excellence, le redoutable Éric Zemmour, fait une percée remarquable dans les sondages au point de se hisser parmi les potentiels qualifiés du second tour.

Le lien entre ces deux phénomènes – l’effacement de la gauche et la poussée du zemmourisme – n’a rien de fortuit. Il est même tout à fait logique. Par certains côtés, Éric Zemmour est le produit de l’échec de la gauche. Il est l’expression d’une forme de revanche, une revanche sur tous les tabous que la gauche a tentés d’instaurer depuis les années 1980 et qui, aujourd’hui, volent en éclat : l’immigration, l’insécurité, l’islam, le féminisme.

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Tous ces tabous n’ont évidemment pas disparu : ils continuent de prévaloir très largement dans les médias mainstream en raison de l’hégémonie de la gauche dans les cercles savants et intellectuels, ainsi que dans le monde associatif. Mais les interdits et les anathèmes tournent à vide ; ils ont perdu une bonne partie de leur efficacité. Au mieux, ils laissent indifférents ; au pire, ils agacent sérieusement. Les tabous résonnent comme le vague écho d’un passé révolu qui se trouve maintenant en décalage avec les enjeux du temps présent. La gauche fait penser à un canard à qui on aurait coupé la tête et qui continuerait de courir. Ou plutôt : seule la tête continue de parler, alors que le corps a disparu, ce qui rend le volatile aussi bruyant qu’inoffensif.

La gauche et ses créatures

Car ce qui semble se jouer aujourd’hui, c’est bien l’effondrement de tout un système de normes et de dogmes. Ce qui se lézarde, c’est le système qui a été érigé dans les années 1980 et 1990 au moment de la conversion de la gauche à l’économie de marché et à l’Europe, puis à la mondialisation et au multiculturalisme. Délaissant le social, la gauche a déplacé ses centres d’intérêt vers les nouveaux mouvements sociaux : les femmes, les immigrés, les minorités religieuses et raciales sont devenus ses publics privilégiés. C’est de cette époque que date la résurgence de l’antifascisme comme source première de mobilisation, et c’est à ce moment-là que la gauche a recentré son discours doctrinal sur quelques valeurs fondamentales, aussi naïves que minimalistes : l’ouverture, la tolérance, les droits. Une manifestation récente de cette conversion idéologique est la proposition de Jean-Luc Mélenchon d’inscrire dans la Constitution le droit de changer de sexe.

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Avec cette évolution, la gauche a perdu sa spécificité. Sur de nombreux points, elle se confond même avec le libéralisme. Plus grave : la machine idéologique de la gauche a fini par s’emballer. Le logiciel des années 1980 était déjà problématique en soi, mais les choses se sont aggravées lorsque la gauche gouvernementale a chuté dans les urnes. N’ayant plus les ressources intellectuelles et politiques suffisantes pour canaliser les débats, elle a laissé le champ libre à ses forces les plus radicales.

Les causes comme l’antiracisme et la lutte contre les discriminations sont alors devenues folles. L’antiracisme s’est mué en néo-racialisme qui fait de la race blanche la source de tous les malheurs. Le féminisme a sombré dans un néo-féminisme qui a érigé la masculinité en ennemi absolu, ce qui conduit à interpréter toute différence sexuelle comme la preuve de la survivance d’un patriarcat pourtant disparu depuis bien longtemps. La laïcité et l’assimilation sont vus comme des instruments d’oppression, et une partie de la gauche entend désormais se faire le gardien zélé de l’islam, au risque de se retrouver dans les mêmes luttes que la mouvance islamiste.

Le plus étonnant est que la gauche est consciente de toutes ces dérives. Elle en a même honte. Un sentiment de culpabilité la taraude puisqu’elle procède désormais à un déni systématique. Contre la plus élémentaire des évidences, elle conteste en effet l’existence même de ses propres créatures. Ce déni a commencé avec la théorie du genre, dont la gauche a clamé dans les années 2010 qu’elle n’avait aucun fondement ; le déni se prolonge aujourd’hui avec l’islamo-gauchisme, le wokisme ou le néo-féminisme, autant de phénomènes dont on répète à l’envie qu’ils ne correspondent à aucune réalité.

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Pourtant, tous ces phénomènes existent bel et bien. On en trouve des preuves pratiquement tous les jours à travers les délires wokistes qui ne cessent de surprendre, où le grotesque le dispute au tragique et à la bêtise. Statues, tableaux, musiques, dessins animés, publicités, romans, tout est susceptible de passer devant le tribunal de cette nouvelle inquisition, sans oublier les diverses chasses aux sorcières contre des personnalités qui ont le malheur d’exprimer leurs doutes ou leurs désaccords. Même les personnalités les plus inoffensives, les plus progressistes (songeons à JK Rowling) peuvent désormais se voir mises en accusation et condamnées au bucher.

La faillite de la gauche : la preuve par Hidalgo

En s’enfermant dans ses lubies, la gauche n’a pas vu que le monde avait changé et que tous ses grands principes s’avèrent désormais problématiques, compte-tenu des circonstances actuelles. Le réel a repris ses droits face à un imaginaire qui semble trop beau pour être crédible.

Ce tragique retour du réel a laissé la gauche intellectuellement désarmée, comme bloquée dans un logiciel obsolète qu’elle refuse de réactualiser. Arnaud Montebourg a bien tenté de le faire, mais sa proposition de bloquer les transferts de devises vers les pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants expulsés a été violemment rejetée par son propre camp. Quant au premier secrétaire du PS, Olivier Faure, il s’est lancé dans une comparaison tellement oiseuse entre son chien et un migrant qu’on se prend de pitié pour un tel naufrage intellectuel.

Mais une preuve encore plus significative de ces blocages se trouve certainement dans le discours de campagne d’Anne Hidalgo prononcé à Perpignant – son premier discours en tant que candidate du Parti socialiste. N’insistons pas sur le choix du lieu, supposé illustré la diffusion du fascisme en France (et qui a permis à Anne Hidalgo d’oser lancer un étrange « no pasaran ! ») ou sur le style de ce discours, dont même les sympathisants socialistes ont dû déplorer le manque de souffle et d’émotion.

Sur le fond, la candidate socialiste n’a fait qu’égrainer des formules creuses, usées jusqu’à la corde (la jeunesse, l’espérance, le progrès) pour mieux vanter le métissage et le multiculturalisme sans prendre la peine d’expliquer en quoi consistait cette « créolisation » version PS, ni en quoi elle était bénéfique. On relève aussi des contresens évidents, comme lorsqu’elle se réclame d’une tradition anticolonialiste et gaulliste, alors que la gauche a été colonialiste et antigaulliste, ou plus encore lorsqu’elle plaide pour la conquête de « nouveaux droits dont les puissants ne veulent à aucun prix », faisant mine d’oublier que les GAFAM et les grandes entreprises mondialisées sont précisément en phase avec de telles demandes.

Le peuple uni, vraiment ?

Mais le point le plus intéressant est que la candidate socialiste n’a cessé d’en appeler à l’unité du peuple. Répété en boucle, ce thème de l’unité a constitué le point central de son message. « Je viens à Perpignan pour lancer un appel à l’unité de la France », dit-elle de manière un peu grandiloquente.

Un tel plaidoyer est sûrement très noble dans son principe, mais il apparaît totalement déconnecté de notre époque. Tout d’abord, on voit mal comment il peut se conjuguer avec la dénonciation de ceux qu’elle appelle les « marchands de haine ». Le problème est que lesdits marchands séduisent une partie très conséquente de l’électorat, bien supérieure d’ailleurs à la part de l’électorat qu’elle peut espérer séduire. Une question surgit alors : que signifie vouloir unifier le peuple avec de tels électeurs si ceux-ci sont justement attirés par la haine et le fascisme ? Compte-t-elle les convaincre de voter pour elle avec un discours qui se situe aux antipodes de celui qu’ils attendent et dans lequel ils se reconnaissent ?

Mais surtout, on s’interroge sur le sens d’un appel à l’unité au terme d’une année 2021 qui a été marquée par les débats sur le séparatisme islamique, et qui se termine par le procès des attentats du 13 novembre 2015 ? Que signifie vouloir unifier le peuple si l’on a affaire à des gens qui méprisent et rejettent les principes fondamentaux de ce pays ? Et que propose Anne Hidalgo elle-même pour lutter contre ce séparatisme ?

Au lieu d’apporter des réponses à ces questions, la candidate socialiste s’est lancée dans une comparaison pour le moins hasardeuse : « Ce langage des années trente qui honnissait l’étranger, qui exhalait sa haine des juifs, ils l’appliquent aujourd’hui aux musulmans, dans une vision séparatiste, essentialiste, communautariste. En diabolisant l’islam, ils ne font que se répéter ».

Non contente de dresser un parallèle que les juifs pourraient légitimement considérer comme insultant, Anne Hidalgo prend ici l’exact contrepied de l’analyse qui prévaut désormais concernant le séparatisme : pour elle, le séparatisme n’émane pas du fondamentalisme islamique mais résulte au contraire des « marchands de haine ». En clair, c’est à Éric Zemmour que l’on doit le communautarisme et le séparatisme.

Bien sûr, on comprendrait parfaitement qu’Anne Hidalgo récuse radicalement les solutions avancées par Éric Zemmour. Mais ici, il s’agit de tout autre chose. En refusant d’admettre que le diagnostic d’Éric Zemmour puisse avoir un début de vérité – alors même que ce diagnostic est désormais partagé par le président de la République lui-même à travers la loi sur le séparatisme –, la candidate socialiste marque son refus radical de prendre acte des enjeux contemporains et de faire la moindre concession au réel. Ce faisant, non seulement elle tourne le dos à une grande partie de l’électorat, qui ne fait pas le même diagnostic qu’elle, mais elle ne fait que renforcer Éric Zemmour puisqu’elle confère à ce dernier le statut très honorable de vigie lucide des malheurs de notre époque.

A ce stade, rien ne dit naturellement qu’Éric Zemmour va gagner l’élection présidentielle. On peut même présumer, d’après les sondages, qu’il est parti pour perdre. Néanmoins, la dynamique qui l’a fait naître ne devrait pas s’éteindre rapidement car un tournant semble d’être produit en cette fin d’année. La percée du zemmourisme correspond à une attente profonde d’une partie de la société française, et il est donc peu probable qu’il s’efface à moyen terme, même si son leader décide d’interrompre sa carrière politique après le scrutin du printemps.

De leur côté, les partis de gauche n’ont probablement pas dit leur dernier mot car l’histoire politique est toujours pleine de surprise. Mais pour se relancer, ils vont devoir engager un gros travail doctrinal et politique en acceptant, sans doute dans la douleur, de modifier substantiellement leur manière d’aborder les défis contemporains.

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