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Comment l’innovation s’est tarie dans le monde des smartphones
©Elijah Nouvelage / AFP

La minute tech

L'ère post-smartphone promise par Microsoft tarde à advenir, autant parce que les usagers peinent à évoluer que parce que les entreprises peinent à imposer de véritables innovations aux acquis du smartphone.

Gilles  Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la Rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek,  l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCHtv  la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux Loisirs.

Il est le co-auteur avec Marc Geoffroy d’iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

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Atlantico : Le projet Andromeda de Microsoft devrait voir le jour en 2019 selon les dernières informations. Un produit à mi-chemin entre le smartphone et la tablette qui devrait dessiner le futur des téléphones et ouvrir une ère post-smartphones qui impliquerait de repenser entièrement les usages. Mais n’est-ce pas là prendre un risque financier vis-à-vis d’un public qui pourrait être réticent à modifier ses usages ?

Gilles Dounès : Tout d'abord, et même si le mot « innovation » fait désormais partie du moindre communiqué de presse du secteur technologique au sens large, l'innovation « réelle » ne se décrète pas, a fortiori lorsque l'on parle des usages. Et lorsque l'on a l'ambition de faire évoluer significativement les usages, c'est en réalité à l'interface utilisateur tout entière que les équipes d'ingénieurs se trouvent confrontées. Or, Steve Jobs l'a rappelé non sans arrière-pensée lors de la présentation de l'iPhone originel en janvier 2007 : une entreprise peut s'estimer chanceuse lorsqu'elle a la possibilité d'être au cours de son histoire à l'origine d'un changement au niveau de l'interface utilisateur grâce à l’un de ses produits. Pour Apple, ce fut trois fois le cas avec le Macintosh en 1984, l'iPod en 2001 et bien entendu l'iPhone en 2007.

En ce qui concerne Microsoft, la firme de Redmond n'a pas été très heureuse dans la mesure où son incontestable réussite à imposer la souris sur les ordinateurs DOS compatibles est plutôt apparue avec Windows 95 comme une revanche très longtemps attendue, sur un Mac OS au développement embourbé pendant plusieurs années. Les tentatives qui ont suivi, d'abord autour du Tablet PC au tournant du siècle, puis autour du Zune face à l'iPod d'Apple n'ont pas été très concluantes. Il faut d'ailleurs se remémorer le discours que pouvait tenir Bill Gates à l'apogée du succès de l'iPod : il ne s'agissait que d'une passade, et l'on allait voir ce qu'on allait voir avec le téléphone mobile (de préférence sous Windows mobile), celui-ci étant déjà présent dans toutes les poches, ou presque : pas besoin d'un appareil supplémentaire pour écouter de la musique ! On a effectivement vu ce qu'on a vu avec l'iPhone à partir de 2007, puis avec ses successeurs ou ses copies pendant les 10 ans qui ont suivi.

Il y a une raison à cela : chacune des ruptures significatives dans l'interface utilisateur, c'est-à-dire la manière dont l'utilisateur interagit avec un appareil pour obtenir un résultat satisfaisant, s'est articulée à chaque fois sur un ou plusieurs composants-clés radicalement nouveaux. La souris et l'interface utilisateur graphique ; la molette locale et le micro disque dur, puis la mémoire NAND ; l'écran tactile capacitif projeté et les « Gestures » complexes. Ce qui implique une maîtrise parfaite de l'intégration du volet matériel et du volet logiciel de l'appareil, auxquels vient s'ajouter le volet des services, depuis l'iTunes Music Store en 2004 sinon l’App Store qui vient de fêter son 10e anniversaire.

À propos de Andromeda, peu d'éléments ont filtré depuis août 2017, date à laquelle quelques fuites sont apparues sur un ambitieux projet mené par Microsoft autour de OneCore, « un-OS-pour-les-gouverner-tous » et d'une puce intégrée développée en interne sur le principe de celles utilisées par Apple, Samsung et leurs concurrents. À la différence de la marque à la pomme ou de Google qui pilote le développement d'Android, Microsoft semble vouloir miser sur un seul OS, qui non seulement s'adapterait à l'ensemble des appareils en fonction du contexte dans lequel se trouverait l'utilisateur, mais également en fonction de la configuration matérielle de l'appareil : par exemple avec un Laptop Surface avec son clavier, ou simplement son écran tactile en mode tablette ou, hypothèse sur laquelle planchent notoirement Apple, Samsung et sûrement quelques autres, un appareil tactile dé-pliable en fonction des usages, bâti autour d'un « film-écran » suffisamment souple pour se plier et se déplier à l'envi, sans se détériorer, on l’espère.

On reparle ainsi du fameux « composant-clé » : reste à savoir qui saura maîtriser la nouvelle interface utilisateur qui va forcément en découler, et qui sera en mesure de se le procurer en quantité suffisante pour préserver des marges raisonnables (et pourquoi pas assécher les approvisionnements de ses concurrents), alors que tout porte à croire que l'interface utilisateur de demain reposera sur un cocktail protéiforme entre gestes au doigt ou au stylet, voix, reconnaissance faciale et réalité augmentée appuyés sur de nouvelles puces neuronales, en fonction des situations et des les appareils utilisés.

Il s'agit à chaque fois d'une rupture, et Microsoft en a d'ailleurs payé le prix avec Windows 8 notamment. Il s'agit en effet d'un gros investissement financier en R&D de la part de l'industriel, mais également en termes de marketing puisqu'il faut changer les habitudes est passé la « courbe de Moore ». C'est aussi un investissements considérable et proportionnelles en termes d'image, dans la mesure où l'industriel joue gros vis-à-vis de sa base installée. La nouvelle avancée doit tout à la fois représenter un progrès significatif, à la mesure de l'investissement financier et intellectuel abandonné avec l'ancien et réinvesti avec le nouveau, tout en autorisant une rétro compatibilité raisonnable. Et si le résultat n'est pas au rendez-vous, les conséquences sont assez lourdes : Microsoft a dû sauter une itération dans la dénomination de son OS pour passer directement à Windows 10, histoire de ne pas paraître dé-cramponné vis-à-vis de Mac Os X, avec sa réputation de fiabilité et de sécurité. De fait, la firme de Redmond se trouve largement dé-monétisée au chapitre des OS, d'échec en échec depuis Vista, et elle ne doit sa bonne santé financière qu'à son rétablissement autour du Cloud et de la suite Office, son cœur de métier.

Est-ce que les entreprises sont incitées à la prudence en matière d’innovation ce qui pourrait expliquer l’absence depuis des années de réelles innovations dans le secteur des smartphones ?

On l'a vu, c'est très largement à cause des catastrophes industrielles qui se sont succédées depuis plus de 15 ans dans la division Windows de Microsoft que l'on doit l'état du marché du PC, à peu près aussi dynamique depuis 10 ans que Jabba le Hutt au mieux de sa forme… le temps n'est plus où les DSI achetaient les yeux fermés des brassées de licences pour la dernière mouture de Windows, voire même renouvelaient des flottes entières de PC simplement pour pouvoir la faire tourner !  Microsoft sait d'ailleurs qu'elle n'a plus tellement le droit à l'erreur : c'est bizarrement en effet au moment où Apple semblait avoir enfin trouvé quelque chose autour du stylet, avec le taux de rafraîchissement des écrans significativement augmentés sur les iPads pro et la reprise significative des ventes à la clé que des rumeurs de nouveautés révolutionnaires se sont mises à sourdre chez les fans boys de Redmond, façon « Vaporware » de la grande époque ! 

Tout dépend des entreprises dont on parle, même si le succès de l'iPhone en entreprise est avant tout du a son succès auprès du grand public, et à une pression importante des cadres puis des employés auprès des DSI, si l'on revient à Apple. Du côté de l'offre, la firme de Cupertino a mainte fois répété qu'elle était aussi fière, sinon plus fière, de certains produits qu'elle n'avait pas sortis que d'autres qui avaient trouvé leur place sur les linéaires. Quelque soit la valeur de telle ou telle innovation, celle-ci doit avant tout trouver son marché, son public, et il peut tout simplement s'agir d'une question de temps ou de maturité de tel ou tel composant. C'est en ce sens que Jony Ive a expliqué les 10 années qui ont pu séparer le lancement du premier iPhone avec celui de l'iPhone X : la vision était là, mais les composants nécessaires à sa réalisation n'étaient tout simplement pas prêts.

Du côté de la demande, Microsoft a bien vu avec la troisième version de surface enfin réussie que quatre bonnes critiques dans la presse spécialisée ne suffisent pas. il faut avant tout que l'outil soit efficace et rende des services supplémentaires en matière de productivité, à hauteur de la mise de fonds initiale et de la formation des personnels nécessaires. Et, comme pour le changement de paradigme scientifique, peut être avant  tout que l’outil précédent soit usé jusqu’à la corde.

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