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Les enfants ne sont pas plus durs qu'avant
Les enfants ne sont pas plus durs qu'avant
©Allociné

L'atlanti-question

A l’heure où le « profil » des jeunes Français embrigadés par le terrorisme semble de plus en plus difficile à cerner, la question de l’éducation, du rapport parents-enfants se pose plus que jamais. Et avec elle, celle de la façon dont le caractère, la psychologie de l’enfant se construisent. Dépendent-ils entièrement de l’attention de ses « tuteurs » ? Sont-ils inscrits en lui dès sa naissance ? Nous avons posé la question à la psychothérapeute Hélène Molière…

Barbara Lambert

Barbara Lambert

Barbara Lambert a goûté à l'édition et enseigné la littérature anglaise et américaine avant de devenir journaliste à "Livres Hebdo". Elle est aujourd'hui responsable des rubriques société/idées d'Atlantico.fr.

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Hélène Molière

Hélène Molière

Hélène Molière est psychanalyste et psychothérapeute à Paris 9e. Elle travaille en qualité de psychologue clinicienne, diplômée de l'université de Paris 7, au CMPP de Chelles (77). Elle vient de publier "Harcelés, harceleurs. Une histoire de souffrance et de silence" aux éditions Jean-Claude Lattès.

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Barbara Lambert : A priori, un enfant est une sorte de « page vierge », « impressionnable »… il n’est que ce que ses parents en font. Est-ce le cas ?

Hélène Molière : L’enfant est impressionnable certes et son premier environnement laisse en lui des traces ineffaçables. Cet environnement ne le programme pas pour autant,  sinon les frères et sœurs auraient tous la même personnalité, ce qui est loin d’être le cas.

BL : A l’école, dans leurs jeux, les enfants peuvent se révéler parfois extrêmement cruels. C’est un stade par lequel ils doivent passer ? Est-il possible qu’ils restent coincés à ce stade ?

HM : Quand un enfant de 2 ou 3 ans enfonce ses doigts dans le corps mou d’un escargot qui se recroqueville dans sa coquille, il ne le fait pas par cruauté, mais par curiosité, pour voir. Il explore, il  expérimente. Ce qu’il fait peut être cruel, mais lui n’est pas cruel. A cet âge-là, il ne distingue pas le bien du mal, c’est pourquoi la notion de gentil et de méchant n’est pas encore de mise. Progressivement, son entourage va lui dire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas en mettant des mots sur ce qu’il vit et sur ce qu’il ressent. Vers 6 , 7 ans il sera en principe capable de distinguer le permis et l’interdit, d’être dans l’empathie, de percevoir la souffrance de l’autre, de s’intégrer au groupe et de différer pour obtenir satisfaction. 

BL : On constate souvent de vraies différences, parfois des contrastes saisissants, entre les membres d’une même fratrie qui, a priori, ont été élevés de la même façon, dans les mêmes conditions. Comment expliquer cela ?

HM : Cela étonne toujours, mais à y regarder de plus près, tout les différencie : leur prénom d’abord, leur date de naissance, leur place dans la fratrie : chacun arrive à un moment différent dans la vie de ses parents. D’autre part, les parents ne sont pas des machines, ils se comportent différemment avec chacun des enfants qui ne sont pas programmables comme des ordinateurs. Chaque enfant d’une même fratrie établit par conséquent une relation particulière avec ses parents. Au-delà des a priori, on peut donc dire qu’aucun des frères et sœurs n’est élevé de la même façon, voire même qu’aucun des frères et sœurs n’a les mêmes parents.

BL : Qu’est-ce qui fait qu’un enfant devient gentil ou méchant : l’amour, et rien d’autre ?

HM : L’amour est nécessaire, mais pas suffisant. L’enfant a besoin d’être protégé, cadré, écouté, regardé. Il y a une forme d’amour parental qui peut être nocif et étouffant : celui qui consiste à tout passer à son enfant ou bien à le prendre pour sa chose, pour une extension de soi, pour sa mascotte, son précieux, son doudou. Est-ce encore de l’amour ? Le but de l’éducation, c’est d’amener l’enfant à grandir de façon à ce qu’il puisse trouver sa place dans la société.

BL : Pourquoi un enfant est-il méchant ? Pour attirer l’attention ? Quelle est la logique de la « méchanceté » ?

HM : Les psychanalystes ne parlent pas de méchanceté mais d’agressivité. L’agressivité est nécessaire à la construction de soi. Avant trois ans, la violence est en-deçà du bien et du mal. Vouloir l’éradiquer à cet âge aboutirait à priver l’enfant des futures armes de sa vie sociale, cela mènerait à le dresser, mais non à l’éduquer. En parlant avec ses proches, en jouant avec eux, en manifestant son plaisir et son déplaisir, l’enfant entre progressivement dans le langage et va alors pouvoir vivre en société. Les parents ou ceux qui s’occupent de l’enfant sont ses premiers modèles, ils doivent poser ces interdits à temps avec tact.  

BL : A partir de quand se forme le « caractère » d’un enfant ? On dit que tout commence bien avant la naissance…

HM : Tout commence bien avant la naissance sans doute, mais rien n’est jamais définitivement déterminé pour autant. L’environnement affectif et culturel jouent un rôle certain, mais le développement d’un individu n’est pas réductible à ces paramètres, et son avenir n’est pas prédictible. Quels que soient les milieux, il y a la même proportion de névrosés, de névropathes ou de personne épanouies ! 

BL : Y a-t-il un seuil au-delà duquel on ne peut plus rien faire pour réformer le caractère d’un enfant difficile ?

HM : Plus on avance en âge, plus la personnalité se structure, et moins il y a de souplesse. Cependant, rien n’est jamais joué définitivement chez l’être humain. Il y une part de libre arbitre et l’homme est toujours sujet de son destin. Les rencontres et les circonstances peuvent amener des changements spectaculaires. C’est ce que l’on constate tous les jours dans notre travail de psychanalyste.

BL : Le mode d’éducation actuel, qui place l’enfant au cœur de tout, qui en fait une sorte de « roi », accentue-t-il le risque de faire un enfant despote, ingérable ?

HM : Tous les enfants d’aujourd’hui ne sont pas des enfants rois, heureusement. L’enfant est désormais considéré comme une personne à part entière, ce qui est bien. On a tendance en revanche à oublier qu’il n’est pas une grande personne mais une petite personne et il faut des grandes personnes pour montrer la voie aux petites, faute de quoi les petites restent sans repères. Elles risquent alors de s’autocensurer à outrance et de devenir complètement névrosées, ou à l’inverse, de s’installer dans la toute-puissance et de se faire despotes.

BL : Les enfants d’aujourd’hui sont-ils plus « durs », et potentiellement plus « méchants » - par quoi j’entends indifférents au sort des autres -, que ceux d’hier ?

HM : Les enfants d’aujourd’hui ne sont ni plus durs, ni plus méchants qu’avant, simplement la violence est plus médiatisée, pour le meilleur et pour le pire et elle prend des formes différentes. Le cyberharcèlement par exemple fait partie des nouveaux visages que peut prendre la violence.

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