Atlantico : Alors que la rentrée des classes approche, l'année scolaire 2016-2017 verra la réforme des collèges de Najat Vallaud-Belkacem entrer en vigueur. Quelles sont les dispositions centrales de cette réforme, et quelle en est la ligne directrice ? Quels sont les points que le gouvernement a souhaité traiter par une telle réforme ?
Jean-Rémi Girard : Cette réforme comporte plusieurs grands axes.
Premièrement, fixer un maximum horaire de 26 heures par semaine à tous les niveaux. Concrètement, cela signifie diminuer les heures d'enseignement des élèves. On dégage une "marge horaire" pour mettre en place des groupes, de façon locale.
Deuxièmement, supprimer tout ce qui dépassait, notamment les classes européennes, une grande partie des classes bi-langues, l'option "découverte professionnelle", une partie des horaires de latin et de grec, ainsi que les heures d'accompagnement qui venaient en plus des heures de cours pour les élèves de 6ème en difficulté.
Troisièmement, cette réforme des collèges met en œuvre deux dispositifs – l'accompagnement personnalisé et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) – qui ne sont pas en plus des heures de cours mais qui doivent avoir lieu sur les heures de cours des différentes disciplines. Nous sommes donc censés faire du soutien et de l'accompagnement de projets de façon obligatoire sur les heures sur lesquelles nous sommes en même temps en train de traiter le programme de notre discipline.
Ces EPI, apparemment prévus sur la base du volontariat pour les professeurs, sont en réalité très contraints, à partir du moment où il y a un horaire obligatoire hebdomadaire (2 ou 3 heures en 5ème, 4ème et 3ème) avec des thèmes eux aussi imposés. À l'arrivée, il faudra bien trouver des gens pour les faire. Ce ne seront pas forcément des personnes consentantes, ni même des personnes actuellement nommées sur les établissements. Des remplaçants en cours d'année, des contractuels pourront se retrouver au moment de leur arrivée intégrés dans un projet interdisciplinaire dont ils ignorent absolument tout.
Eric Deschavanne : Le plus étonnant sans doute, pour le citoyen lambda, tient au fait que cette réforme ambitieuse n'a aucun objectif pragmatique. Bien entendu, on ressasse des généralités en affirmant qu'on lutte contre l'échec et les inégalités scolaires, mais la réforme ne s'attaque pas de manière ciblée à un problème ou à un dysfonctionnement particulier. Une transformation globale des programmes et de la pédagogie, pilotée de manière ultra-jacobine par les bureaux du ministère, est supposée produire une amélioration générale. Il s'agit en réalité d'une vue de l'esprit, d'une chimère, dont on ne préjuger des effets, bien entendu, mais dont on peut tout de même estimer, dans la mesure où la réforme est conçue sur une base purement idéologique, qu'ils ne correspondront pas du tout à ceux attendus par ses concepteurs.
Cette réforme est en réalité un chant du cygne. Il faut y voir sans doute l'ultime tentative, précipitée et autoritaire, de réaliser le rêve d'une génération de pédagogues, qui entendaient démocratiser l'enseignement secondaire en cassant les structures du collège et du lycée et en transformant la pédagogie. Ce projet s'est concrétisé dans ce qu'on appelle "le collège unique", maillon indispensable de la stratégie visant à conduire la quasi-totalité d'une classe d'âge jusqu'au bac et à l'enseignement supérieur. Il y a beaucoup d'injustice dans les critiques du collège unique, dans la mesure où il a effectivement permis l'allongement de la durée des études et une augmentation du niveau moyen d'éducation. Néanmoins, le projet de démocratisation s'est heurté à des limites objectives qui n'ont jamais fait l'objet d'une analyse sérieuse. D'une part, il n'est jamais parvenu à s'étendre au-delà du collège : il n'y a pas de "lycée unique", non seulement en raison de la dichotomie lycée professionnel/lycée général, mais aussi parce que, en dépit de la création d'une seconde de détermination, le dispositif des filières perdure au lycée général. D'autre part, et surtout, le rêve de voir l'accès de tous les enfants à l'enseignement secondaire faire disparaître le déterminisme social s'est brisé sur le mur du réel. Dans le domaine de l'Éducation nationale, cependant, le réel n'a pas d'existence. En quatre décennies, le rêve s'est encalaminé dans la bureaucratie. Il n'existe plus que dans les objectifs figés et stéréotypés d'une technostructure confinée dans sa bulle, que dans les rapports et les innombrables textes produits par la machinerie administrative dans un volapük incompréhensible, à la fois idéologique et bureaucratique.
Il ne faut pas croire que cette réforme est fondée sur un diagnostic précis - l'analyse des difficultés mises en évidence soit par des enquêtes "scientifiques", telle celle de PISA, soit par les remontées du terrain. L'objectif est d'"achever le collège unique", comme ils disent, afin de prouver enfin, en dépit de la résistance du réel, qu'il pourrait enfin devenir la grande réussite démocratique que le monde entier nous envie. Derrière les notions de "socle commun" ou de "culture commune" (dont le sens est en réalité équivoque), comme derrière la volonté intraitable de supprimer les classes à option, on retrouve toujours ce grand projet de moule unique, d'un enseignement absolument indifférencié destiné à effacer les déterminismes sociaux, et à placer tous les enfants sur la même ligne de départ pour la grande course de la vie. Cette fois-ci, nous assure-t-on, on s'est vraiment donné les moyens d'aller au bout du projet. C'est d'ailleurs vrai, et l'échec n'en sera que plus cuisant, puisqu'il ne tient nullement compte des échecs précédents.
C'est un peu comme si en économie le gouvernement Hollande s'était donné pour objectif de réaliser enfin la rupture avec le capitalisme rêvée par les socialistes dans les années 70. Certains en rêvent encore du reste, mais ils sont priés, même à gauche, de rester éloignés des rênes du pouvoir. On ne prend pas les mêmes précautions avec l'éducation de nos enfants, laquelle indiffère royalement les politiques. Demandez à Najat Vallaud-Belkacem, à Manuel Valls ou à François Hollande comment des enfants qui ne maîtrisent pas la langue française pourront dès la sixième apprendre deux langues étrangères : ils ne peuvent évidemment rien répondre, et les enfants noyés dans la difficulté scolaire ne les intéressent pas. Ce qui importe, c'est l'affichage idéologique. Les effets de la mesure, on ne pourra de toute façon pas les mesurer (si on veut bien les mesurer) avant cinq ou dix ans.
Le projet global (achever le collège unique) se décline en une série de lignes directrices qui sont autant d'erreurs qu'il importe de dénoncer. La réforme générale des programmes, d'abord : indépendamment même de son contenu, qui a été beaucoup discuté, elle est pédagogiquement absurde, puisqu'on change en même temps - contrairement à ce qui se fait habituellement, afin de respecter la continuité des enseignements pour les élèves – tous les programmes de toutes les classes. Deuxième erreur, le techno-pédagogisme, qui se traduit par l'imposition ubuesque des fameux EPI : on est dans la confusion des ordres; au lieu de s'en tenir à ce qu'ils savent faire, administrer le système, les technocrates du ministère se mêlent de pédagogie et entendent apprendre leur métier aux professeurs. La soit-disant "autonomie" proposée aux professeurs s'est ainsi concrétisée par une caporalisation inédite et des centaines d'heures de formatage technocratique. Troisième erreur, stratégique : la lutte contre le déterminisme scolaire ne se joue pas au collège mais à l'école primaire, principalement à l'école maternelle. Les données scientifiques sur le sujet vont toutes dans le même sens, mais elles sont royalement ignorées par une réforme qui se fonde sur un diagnostic faux, datant des années 70. En outre, la suppression des classes ou sections à option, la mise en cause des classes protégées ne va pas réduire la ségrégation sociale et scolaire, mais au contraire la creuser, puisqu'elle conduit à éradiquer ce qui subsistait d'élitisme républicain dans les quartiers difficiles.
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