- Après une instruction qui a duré plus de quatre ans, Dominique Strauss-Kahn a été relaxé des faits de proxénétisme. Il n’est pas le seul : sur 14 personnes, une seule a été condamnée. A un an de prison avec sursis
- Une fois encore, les critiques, comme dans le dossier Bettencourt, vont fuser. Avec cette question, chère à Nicolas Sarkozy : faut-il les supprimer ?
- Une fois encore, l’institution judiciaire, ou tout du moins une partie, va se trouver soupçonnée de jouer au jeu de massacre à l’égard des hommes politiques
- Aurait-on pu faire l’économie du procès du Carlton ?
- Saura-t-on un jour quel bras a instrumentalisé la justice lilloise pour faire tomber –momentanément- l’ancien directeur général du FMI ?
- L’affaire Strauss-Kahn rappelle d’autres déboires d’anciens ministres qui se sont bien terminées : ceux de Gérard Longuet ou récemment Eric Woerth… Et il y a bien longtemps, en 1999, un ministre des Finances… qui s’appelait Dominique Strauss-Kahn
Atlantico : Certains ont qualifié la relaxe de Dominique Strauss-Kahn de fiasco judiciaire. Dans quelle mesure la justice est-elle vraiment déconsidérée ?
Gilles Gaetner : Tout ça pour ça ! Tout ça pour en arriver là ! Une instruction sacrément médiatisée qui dure près de quatre ans. Trois juges pour enquêter. Quatorze personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel de Lille pour une histoire de proxénétisme dans laquelle Dominique Strauss-Kahn sera mis en en examen. Un procès qui dure plus d’un mois au cours duquel le procureur demande la relaxe "pure et simple" pour l’ancien directeur général du FMI. Mais pas pour les autres protagonistes. A l’arrivée, le 12 juin, tout cela fait pschitt ! On apprend que l’affaire du Carlton de Lille s’est effondrée comme un château de cartes… Plus de charges contre qui que ce soit, sauf une personne condamnée à un an de prison avec sursis. Et bien sûr, comme on s’y attendait, DSK se voit relaxé. Le tribunal correctionnel de Lille a donc estimé qu’au cours de leurs investigations, les trois juges d’instruction s’en étaient davantage référés au "droit moral plutôt qu’au droit pénal"… Ce qu’avait largement dénoncé le procureur de Lille lors de ses réquisitions prises au procès qui s’est tenu au début de l’année 2015.
Ce dénouement judicaire sonne, aux yeux de l’opinion, comme une nouvelle mise en cause de la justice, ou plutôt de l’institution judiciaire qui n’aurait pas suffisamment manifesté d’indépendance par rapport au pouvoir politique. Certains magistrats, en privé, sous le sceau de la confidence, ne se privent pas de rappeler que cette affaire a démarré en mars 2011, époque où la droite était au pouvoir…Encore que le nom de DSK est apparu beaucoup plus tardivement puisqu’il a été mis en examen le 26 mars 2012. Comme si on avait voulu chargé une barque qui aurait barré la route de l’Elysée à l’ancien ministre de l’Economie et des Finances. A la vérité, pour DSK, cette route était barrée depuis mai 2011, date de ses déboires, les accusations sévères du procureur de New-York au sujet de l’agression commise sur une femme de chambre du Sofitel. Une affaire dont on ne connaitra jamais les tenants et les aboutissants. Mais aucun tribunal new-yorkais ne condamnera l’ex-futur candidat du PS à la présidentielle de 2012.
Quels éléments peut-on reprocher au déroulement du procès de l'affaire Carlton ?
Gilles Gaetner : Incontestablement, cette affaire de proxénétisme de Lille où sont apparus des personnages pittoresques comme Dodo la Saumure, proxénète affiché et deux entrepreneurs qui réglaient quelques sympathiques prestations au lieu et place de DSK, aura du mal à être comprise par l’opinion et même par certains collègues des trois juges d’instruction lillois. Car enfin, comment coller sur le dos une mise en examen aussi terrible que celle de proxénétisme aggravé en bande organisée sans avoir des "biscuits" solides, ce qui a été le cas pour Strauss-Kahn ? Pourquoi l’un des juges, au cours d’un interrogatoire a –t-elle, d’une certaine façon, fait la leçon sur le plan moral à l’ancien ministre ? Une stratégie que n’ont cessé de dénoncer les trois conseils de l’ancien directeur général du FMI, Mes Henri Leclerc, Frédérique Beaulieu et Richard Malka. Quant aux autres prévenus, tout au long de l’enquête, ils n’ont cessé de disculper Dominique Strauss-Kahn, qui reconnaitra seulement avoir "une sexualité un peu brutale".Ce qui n’est pas puni par le Code pénal. Après tout, diront certains, dans cette affaire aux relents sordides, il suffisait d’être présent aux audiences, on a assisté à un fonctionnement classique de l’institution judiciaire. Laquelle s’est déroulée en quatre temps : la PJ enquête. Un juge d’instruction prend le relais et renvoie les mis en examen en correctionnelle. Le Parquet, à l’audience, demande la relaxe. Enfin, le tribunal condamne ou relaxe. Il a choisi la première solution pour absence de charges. Rien à dire… D’ailleurs, la Cour d’appel de Douai avait validé la procédure le 19 décembre 2012. Reste que l’instruction sera hors-norme en raison de la présence d’un personnage de premier plan de la République. Et qu’il ne peut que susciter interrogations et doutes sur les intentions du pouvoir politique.
Philippe Bilger : Nous avons vu au cours de l'oralité des interventions que Dominique Strauss-Kahn n'avait pas pu parler comme il l'a fait par la suite à l'audience. Certains points ont donc été abordés à l'audience sans qu'ils n'aient été abordés à l'instruction.
Il est dommage de voir que les comptes rendus étaient très défavorables au juge d'instruction, et plus globalement à la cause de l'accusation en générale puisque le Ministère public avait requis un non-lieu, mais il n'était pas inutile de traduire ces prévenus devant le Tribunal correctionnel, que l'alternative n'était pour autant pas la relaxe évidente et la culpabilité ostensible mais dans une zone grisailleuse à charge et une autre zone à décharge. Mais il fallait le voir. Il est trop facile de dire par la suite qu'il ne s'agissait que de "libertinage". Pour autant bien sûr, rien n'interdisait à l'instruction d'en tenir compte, et était en droit de lui poser des questions et cela me semble effectivement étonnant que ce ne fut pas le cas.
Nous avions un procès ordinaire avec une personnalité connue. Ce procès a révélé une bonne administration de la justice de ce que l'on peut voir, mais en aucun cas cela n'a été inutile. Ce qui s'est déroulé, ça n'est pas le signe d'une mauvaise justice, mais le signe d'une justice qui est allée au bout de la manifestation de la vérité. Le seul bémol que je constate, c'est bien que DSK n'ait pas eu le loisir d'évoquer toutes ses explications. Peut-être que les juges d'instruction, du fait de la pression des médias, ont voulu faire tenir par l'éthique ce qui ne pouvait pas tenir par l'administration de la preuve à partir des déclarations de DSK.
Eric de Montgolfier : Ce qui apparaissait surprenant dans le procès de Lille, c'est que l'on utilisait des qualifications qui n'en étaient à priori pas pour un juriste : la question se posait de savoir ce qui était recherché. J'avais le sentiment, et je n'étais pas le seul, que l'on s'en prenait à un homme politique sous un aspect moral plus que légal. La morale peut servir la justice certes, mais jamais sans la loi. Je ne comprenais pas cette accusation de proxénétisme. J'étais à Lille au moment où le procès se déroulait, et je me souviens d'une interpellation dans un débat auquel je participais, et où une remarque portait sur le fait que comme la relaxe était attendue, que la justice se trouvait donc bien inégale. J'ai répondu : Mais êtes-vous bien sûr que ce n'est pas au contraire parce que le prévenu n'est pas coupable ? Pour autant, je crois qu'il y a bien un risque à jouer avec la justice, un risque énorme que le magistrat ne peut pas faire courir à l'institution.
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