Atlantico : La Chine vient de valider avec les autorités marocaines la fondation d'une ville dans les environs de Tanger pour la somme de 10 milliards de dollars. L'objectif est d'y développer l'industrie locale sous commandement chinois. En quoi le management made in China consiste-t-il concrètement ? Dans quelle mesure est-il différent de celui que nous connaissons ?
Xavier Camby : L'Afrique toute entière est devenu le terrain d'investissement privilégié des entrepreneurs chinois : d'abondantes ressources à exploiter, d'immenses nations, moralement abandonnées par l'Occident (sauf économiquement, surtout celles qui produisent du pétrole ou du gaz...), une main-d'oeuvre pléthorique et hélas souvent désoeuvrée ou asservie. Les premiers Chinois à s'être installés en Afrique ont rapidement développé une activité bancaire parallèle, pendant que les entrepreneurs d'origine indienne se concentraient sur le négoce des pierres précieuses.
Leur implantation est donc ancienne et très solide.
Les immenses réserves de capitaux générés par la croissance continue de la Chine (au détriment de l'économie occidentale) cherchent désormais à s'investir. L'Afrique et ses richesses, autant que ses immenses besoins d'infrastructures et de développements constituent un Eldorado agricole, minier, forestier, industriel, sanitaire... où les technologies chinoises peuvent trouver d'infinis débouchés.
Le rapport des dirigeants chinois envers leurs employés peut-il également différer ? A quoi les relations entre les différentes strates de la hiérarchie ressemblent-elles ?
Parler d'un management "made in China" me semble potentiellement réducteur et un peu risqué : il existe en Chine de très nombreuses cultures, avec des référentiels très différents et des comportements incompréhensibles pour nous. Donc autant de "styles de management". La seule chose certaine est que le positionnement individuel est premièrement collectif, par rapport à la société ou à la communauté ethnique, familiale, régionale...
D'où trois remarques importantes :
Là où nous mettons en avant la personne et la réussite individuelle, les Chinois comme les Africains (du nord aussi) privilégient le groupe, la famille, dans une solidarité très forte, irriguée de réseaux souvent invisibles ou indécelables. Cette dimension un peu sacrificielle - pour nous - de l'individu peut faire d'ailleurs le pont entre leurs deux cultures.
Il existe ensuite, dans ces deux cultures, un goût prononcé pour l'économie confidentielle ou souterraine, qui n'est pas nécessairement frauduleuse, à base de commissionnements et d'intermédiations, ce que nous jugeons mal parfois, sans rien en comprendre.
Enfin, le respect de l'autorité leur est commun : l'ancien ou le chef a raison, même si le plus jeune ou l'employé pense le contraire. Il ne s'agit pas nécessairement de peur, encore qu'il soit fréquent de l'observer.
L'organisation pyramidale et hiérarchique y est forte. Cela peut sembler rétrograde ou autoritariste. Mais c'est l'incarnation exacte de la hiérarchie (du grec hieros, sacré et de arkhê, pouvoir, commandement) : la sacralisation du commandement. La vertu n'est pas d'avoir raison, d'inventer ou de rationaliser, mais d'obéir avec empressement et efficacité. Dans un tel contexte, les grèves sont inenvisageables et apparaissent même décadentes et immorales. Et tout le reste en découle : nul, dans une entreprise chinoise, ne s'y pose vraiment les questions d'un inutile leadership, de charisme hypothétique ni d'une introuvable assertivité ! L'organisation économique, calque de la tradition sociale, y est d'une grande simplicité de fonctionnement et d'apparence. Cependant, si en Occident des oligarchies d'écoles ou corporatistes s'efforcent de prendre et de garder le pouvoir, l'entreprise chinoise est irriguée d'obédiences discrètes et puissamment solidaires. Il n'y a pas ces plafonds de verre, si caractéristiques des blocages de nos organisations. Une plus grande place y est donc accordée aux mérites réels de chacun.
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