Chacun le sait, Internet, c’est la fin de la vie privée. Dans la société contemporaine, marquée par ce que le philosophe Richard Sennett décrivait en son temps comme une "tyrannie de l’intimité" qui conduit à une survalorisation du "moi", du personnel et de l’authentique, cette agression est évidemment particulièrement grave.
Il suffit d’ouvrir la presse ces derniers jours pour constater que le climat est anxiogène. En début de semaine, Le Figaro posait la question ouvertement : "faut-il avoir peur du big data ?". Il y a quelques jours, c’était Le Monde qui affichait à sa une un titre à peine racoleur ("Comment notre ordinateur nous manipule"), et relatait comment en trois clics sur Priceminister, vous récoltez plus 100 cookies… En mars, Les Echos appelaient à se "réapproprier nos données".
La crainte n’est pas que française. Les révélations sur l’espionnage à grande échelle par les agences américaines ont jeté le trouble partout dans le monde. Aux Etats-Unis, le débat est vif également et alimente des controverses fournies et de haut niveau (dont cet article d’Evgeny Morozov dans la MIT Tech Review).
Les solutions ne sont pas si évidentes.
Le régulateur peut, évidemment, tenter d’intervenir. En Californie, la loi permet ainsi aux mineurs de faire disparaître certains éléments de leur vie numérique. Mais en Europe, le sujet avance difficilement : sans surprise, la piste de la régulation étatique a le vent en poupe. Il serait cependant un peu contradictoire de confier la charge de protéger les données personnelles à des Etats qui violent allègrement l’intimité de leurs citoyens.
Contrairement à ce qu’on allègue ici ou là un peu trop facilement, les "géants" d’Internet, les fameux "GAFAM" (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), ont bien conscience des risques que cela fait peser sur leurs business : en décembre dernier, plusieurs d’entre eux se sont mobilisés pour dénoncer les actions de Washington (voir leur site Reform Government Surveillance). Ils savent que les consommateurs sont de plus en plus inquiets et vigilants.
Des pistes de solutions pourraient venir, une fois de plus, du marché.
L’avantage avec l’économie de marché, c’est que si les consommateurs cherchent un produit ou un service et le valorisent, il y a fort à parier que quelqu’un le leur fournira. Aujourd’hui, la protection des données personnelles devient un sujet majeur, des entreprises se chargent donc de vendre des prestations permettant de répondre à la nouvelle demande : la confiance a un prix. La protection des données personnelles, la "privacy", pourrait bien être ainsi le prochain avantage comparatif sur internet.
Comme l’écrit David Hoffman d’Intel dans la Harvard Business Review cette semaine, "privacy is a business opportunity" et un champ d’investigation immense et intense pour le marketing et l’innovation. Des start-ups fleurissent : PrivacyFix, par exemple, signale aux internautes toutes les informations auxquels les sites accèdent ; Digital Shadow (qui fait la promotion d’un film) vous permet de savoir tout ce que Facebook sait sur vous. Phil Zimmerman a annoncé la mise en vente d’un "blackphone" pour l’été : l’appareil sera protégé et assurera la confidentialité à ses propriétaires.
Bien sûr, on peut considérer, comme le faisait l’expert en sécurité informatique Jon Callas dans New Republic en octobre 2013, que la protection des données sera réservée aux plus riches. Mais les évolutions technologiques tendent à montrer que la concurrence favorise la démocratisation rapide des innovations les plus récentes. D’ici peu, des solutions abordables devraient apparaître et permettre une confidentialité pour tous. Pendant ce temps-là, les autorités de régulation seront probablement encore en train de réfléchir à ce qu’il faut faire…
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