Il est très probable que le film de Spielberg connaisse un grand succès en France. D’abord parce que c’est Spielberg, et qu'il excelle à mettre des épopées en ordre de marche comme un vieux général ses troupes.
Mais le sujet ? Lincoln ?
Que connaît-on en France d’Abraham Lincoln, seizième président des Etats-Unis ? Rien ou presque. Il avait un faciès d’homme de Néanderthal, une barbe et un haut de forme. Et il a été assassiné, non ?
Il a libéré les esclaves ; il a battu les Confédérés pendant la guerre de Sécession - on ne dit pas la guerre civile ? Et c’était quand, déjà ? On ne sait pas, on ne sait plus.
Lincoln est si indéfectiblement ancré dans l’histoire intime des Etats-Unis, ses démêlés, blessures et contradictions internes qu’on peut légitimement se demander comment il se fait que ce personnage si américano-américain ait trouvé le chemin de nos écrans et, plus encore, puisse intéresser les français.
Certes, Lincoln est raisonnablement fascinant en lui-même.
Né en 1809, la même année que Darwin, le jeune Lincoln est exploité par son père qui loue ses services aux voisins. Il n'en peut plus de la campagne et des travaux manuels : il lui faut attraper le train de l'industrie, du capitalisme et du XIXe siècle bondissant. Il devient avocat. Le droit, oui, explique Allen Guelzo, auteur de Abraham Lincoln : Redeemer President. Mais comme un moyen de faire de la politique. Ce qu'il y a d'hallucinant chez lui, c'est sa capacité de convaincre, sa logique, son sens de l'anecdote et son don pour s'adresser à l'homme de la rue (le « common man » plein de « common sense » cher au philosophe Thomas Paine). L’avocat de campagne mal dégrossi représente et incarne le rêve américain d’une possibilité d'ascension sociale. Mais il y a plus.
Il a la lucidité de soutenir, contre ceux qui considèrent qu'après tout les Etats peuvent bien être « Unis » et faire chacun ce qui lui plait (l’esclavage est une prérogative des états et non de l’Etat fédéral), qu'une « maison divisée en son sein ne peut que s'écrouler ». Son mantra : « l’Union doit être préservée ».
Hanté par le souvenir de sa femme Ann et de son propre fils tué par le typhus, écrasé sous le poids des responsabilités de la guerre et le nombre de morts qui enfle, il masque sa mélancolie privée par de l’humour en public. Comme Job, il est un héros accablé qui accède à une compréhension du monde supérieur.
Lincoln, au fil du temps, a fait l’objet d’une mythification considérable.
L’irlandais Daniel Day-Lewis, qui interprète Lincoln dans le film, lui-même le reconnaît : « au début, je ne savais rien de lui, je n'en avais que l'image mythologique que nous avons tous ».
Lincoln, comme le dit McPherson, « ne pouvait se douter de la vénération qu'on lui porterait plus tard » et de l’intérêt historique qu’il susciterait, lui qui « n'eut que moins d'un an de scolarité, et aucun cours d'histoire ». En fait d’histoire, Lincoln ne lut, seul, que la biographie romancée de George Washington, dans la version mythologique pour enfant de Parson Weems (The Life of Washington, 1800). Le récit touchant de sa mort montrait le premier président des Etats-Unis généreux et équitable avec ses héritiers et même, « en pur républicain, ordonnant de libérer tous ses esclaves »[1]. L’hagiographe allait jusqu’à comparer Washington à un dieu, à Jupiter ! Comment Lincoln eût-il pu se douter qu’il connaîtrait le même destin que son illustre prédécesseur ?
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