Atlantico : La montée des populismes, en Europe, est régulièrement associée à la crise migratoire et à la crise économique. Or, la situation autrichienne semble différente dans un pays connaissant de bonnes conditions économiques et une forte implantation du FPO, bien avant la crise des migrants. En quoi cette poussée populiste européenne peut-elle également s'expliquer par une défaillance politique, entre absence de vision et faible capacité de réaction face aux événements ? En quoi cette situation est-elle anxiogène pour les populations ?
Christophe Bouillaud : Pour le cas autrichien, il faut bien préciser qu’il s’agit de voter pour un président de la République aux fonctions essentiellement honorifiques. Les électeurs autrichiens se sont sentis sans doute plus libres d’aller chercher d’autres solutions que celles offertes par les habituels partis de gouvernement, socialistes et conservateurs. Il reste toutefois que cette volonté largement majoritaire des électeurs autrichiens de voter pour des candidats ne provenant pas de ces partis tient au fait que les partis de gouvernement subissent à la fois l’usure du pouvoir et ne semblent plus en mesure de proposer une vision claire de l’avenir. A force de tergiverser, d’osciller entre l’accueil des réfugiés et la fermeture des frontières, les électeurs qui voudraient ou l’une ou l’autre des solutions finissent par se lasser et votent pour des candidats incarnant des options claires. Comme disait le poète Musset, "il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée". Le vote autrichien montre aussi que les électeurs veulent savoir où les dirigeants pressentis entendent les amener, et s’ils privilégient des visions cohérentes et tranchées. Un second tour d’élection présidentielle entre un écologiste et un nationaliste met effectivement les électeurs devant un vrai "choix de société".
Plus généralement, l’ensemble des dirigeants européens ont semblé complètement surpris par les événements des dernières années, en particulier par la crise des réfugiés. Or il suffisait de suivre ce qui se passait aux frontières de l’Union européenne depuis 2011 pour savoir qu’une telle situation où des réfugiés viendraient en masse du Moyen-Orient vers l’Europe allait exister. Le règlement de Dublin était par ailleurs déjà considéré comme incohérent bien avant 2015, bien avant que Madame Merkel décide de l’achever en passant outre à l’automne 2015. On pourrait faire la même remarque pour le fonctionnement de l’Euro : il y avait des signes avant-coureurs de ce qui a fini par se passer depuis 2010. Du coup, c’est bien sûr anxiogène pour les populations de s’apercevoir que ceux qui ont toute latitude pour prévoir, ne serait-ce que parce qu’ils ont des services dédiés à leur disposition pour le faire, semblent à chaque fois dépassés par les événements, et qu’ils n’ont pas de stratégie bien arrêtée face aux événements. L’impression de cabotage, de "pushing the can down the road" comme on dit en anglais, que donnent les dirigeants européens dans de nombreux domaines depuis 2008-2010 ne peut qu’avoir à terme un effet délétère sur la confiance des populations. Du coup, effectivement, les partis politiques périphériques, qui n’ont pas exercé le pouvoir, peuvent faire valoir qu’ils ont eu des solutions et qu’ils ne se débrouilleraient pas plus mal que les habituels partis de gouvernement.
Gilles Lipovetsky : L'euroscepticisme tient à la difficulté de notre continent à mener une politique de croissance, et par là même d'offrir une visibilité en ce qui concerne le futur. Les échecs en matière de chômage et la crise des migrants contribuent à tenir l'Europe comme une entité qui perd son capital attractif. Longtemps, l'Europe a été un idéal capable de nous protéger et par conséquent de nous préparer à affronter l'avenir. Or, depuis 2008 et la crise des subprimes, l'Europe n'a plus su nous protéger. D'autre part, le chômage gagne le sud et les vagues d'immigration arrivées depuis peu touchent à la question de l'identité. Face à cela, nos gouvernements n'ont manifestement pas de réponse. Il me semble que c'est pour cette raison qu'une fraction de plus en plus importante de la population rejette la construction européenne. Ce pan de la population voit dans l'Europe un élément qui vient menacer leur identité, alors que sa fonction première était de la protéger. L'Europe-bouclier a cédé le pas à l'Europe-menace.
Il est probable que dans des périodes de haute-idéologie les choses auraient été différentes. Mais le fait est qu'aujourd'hui nous n'avons plus de réponses clef-en-main à opposer à ces problèmes. De là naît le sentiment que les pays sont livrés à une mondialisation aveugle et quasi-automatique. D'où une rétraction sur la nation, perçue comme un rempart capable de protéger les populations les plus faibles. Auparavant, à l'époque de la Guerre froide, se jouait le match des espérances révolutionnaires. Depuis les années 1980 en revanche, le politique a perdu de son lustre. Les grands mythes politiques ont disparu, remplacés chez les élites par un discours technocratique qui apparaît comme une somme d'ajustements, de réactions, de mesures, mais incapable de faire rêver. La politique a longtemps fait rêver, confrontant différentes idéologies (progrès, nation, révolution, etc.). Cette mythologie politique portait plusieurs promesses. L'Europe, dans sa construction, en a d'ailleurs été le prolongement. Même cela a disparu. Ce désenchantement politique se nourrit d'une part de l'absence de mythes, mais aussi d'échecs factuels et historiques. C'est à la fois la panne du politique et la panne objective qui engendre l'euroscepticisme, qui propulse la nation (à rebours du passé) comme un pavois susceptible de protéger les gens.
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