Atlantico : Selon une étude réalisée par le professeur de théologie Stephen Bullivant, de l'Université St Mary de Londres, une majorité des 16-29 ans de 12 pays européens s’identifieraient comme non religieux, dont la France (64%). Quelle a été l'évolution de cette tendance européenne, quelles en sont les causes principales ?
Olivier Roy : La déchristianisation de l’Europe est une tendance lourde de long terme (remontant au XVIIIème siècle), qui est longtemps passé inaperçue parce que la culture dominante restait une culture chrétienne sécularisée. Le petit livre de l’Abbé Godin, publié en 1943, « France, Pays de mission ? » a soudainement lancé l’alarme, au sujet de la déchristianisation de la classe ouvrière française. Depuis le phénomène s’est étendu à l’ensemble de la société et à l’ensemble de l’Europe. Le fait qu’il soit particulièrement fort chez les jeunes montre tout simplement que la tendance s’accentue.
Mais il ne s’agit pas seulement d’un abandon de la pratique et d’une perte de la foi. Il s’agit aussi de la progression de l’inculture religieuse ; les premières générations d’incroyants ou d’agnostiques (comme celle des promoteurs de la laïcité à la fin du XIXème siècle) avaient été élevées dans une culture chrétienne (Emile Combes, le chef de gouvernement le plus anti clérical de la Troisième république, était un ancien séminariste). Ils pouvaient être agressivement antireligieux, mais ils connaissaient leur catéchisme. Aujourd’hui les jeunes ne sont pas particulièrement anticléricaux, ni antireligieux (ils sont même souvent plus tolérants que leurs aînés) ; ils sont surtout indifférents et ignorants. La grande leçon (que Benoît XVI avait bien saisie) est que la culture dominante n’est plus chrétienne, au sens où elle n’est même plus l’expression séculière d’une culture chrétienne millénaire.
Les causes sont d’abord culturelles et sociologiques : la religion cesse d’être au centre de l’explication du monde, le lien social repose sur l’immanence du contrat social et non plus sur la transcendance du pouvoir (ce qui se traduit aussi par une dilution de la sacralité de l’Etat nation). En ce sens la révolution culturelle des années 1960, en proclamant de nouvelles valeurs explicitement non-religieuses, a parachevé un processus entamé depuis longtemps.
Quelles sont les dynamiques en place en France concernant les jeunes et la religion ? La perte d'intérêt des 16-29 ans est-elle généralisée à toutes les religions ? Ne peut-on voir ici une forme paradoxe avec l'idée d'un "retour du religieux" ?
La dynamique chez les jeunes est la même que chez les adultes : ce qui disparaît c’est l’entre-deux entre foi et athéisme, toute la panoplie bien balisée par les sociologues de la religion entre pratiquants réguliers, irréguliers, occasionnels, agnostiques et athées ; bref le champ commun culturel que pratiquants assidus, chrétiens sociologiques et agnostiques pouvaient partager a disparu.
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