Atlantico : C'est aujourd'hui, le 18 mars, l'anniversaire des Accords d'Evian et François Hollande participera demain 19 mars à une commémoration du cessez-le-feu. Plus d'un demi-siècle après la fin de la guerre d'Algérie, et alors que la France et l'Algérie coopèrent efficacement dans de nombreux domaines, comment expliquer que la question coloniale soit encore un sujet si brûlant entre les deux pays ?
Pierre Vermeren : Les raisons ne sont pas les mêmes selon qu'on se place du point de vue algérien ou du point de vue français. En Algérie, la question coloniale reste brûlante car elle est encore dans les têtes, elle n'a jamais été oubliée. Par ailleurs, il s'agit d'une rente politique et symbolique pour le pouvoir en place.
Le président de la République Abdelaziz Bouteflika est un ancien combattant politique de la guerre d'Algérie et ce statut lui confère sa légitimité pour gouverner le pays. L'histoire de l'indépendance de l'Algérie est aussi sa propre histoire, et c'est sur cette histoire qu'est bâti le régime algérien.
Du côté français, les raisons sont évidemment très différentes. Plusieurs partis politiques, notamment à gauche, veulent se faire pardonner leur rôle pendant la guerre d'Algérie. Ils maintiennent jusqu'à nos jours une position a posteriori favorable à l'indépendance. La deuxième raison c'est que la guerre d'Algérie reste encore en France un capital politique auprès de différentes catégories de la population. A droite comme à gauche, il existe des clientèles électorales qui restent sensibles à la question de la colonisation et de cette guerre tragique (ce qui n'est absolument pas le cas pour l'Indochine). On pourrait résumer la situation par l'existence d'un vivier électoral constitué d'un côté par les pro-Algérie française et leurs familles, et de l'autre par les anti-Algérie française et leurs descendants. Tant qu'il y aura des gens qui se sentiront directement concernés par ce qui s'est passé dans les années 50-60 en Algérie, il y aura une instrumentalisation politique de ce pan d'histoire.
Roland Lombardi : Un demi siècle après la fin de la guerre d’Algérie, la question coloniale reste encore un sujet brûlant entre les deux pays pour la bonne et simple raison que cette guerre a été vécue comme une véritable guerre civile et une tragédie pour nombre de Français et d’Algériens. Malheureusement, il n’y a jamais eu, de la part de la France comme de l’Algérie, une volonté pour engager un vrai travail de réconciliation entre les deux peuples et les deux nations comme cela a été fait au Liban après la guerre civile de 1975. Il aurait été souhaitable, "à chaud" et dès la fin du conflit en 1962, que soit instaurée par exemple une date "neutre" pour célébrer une véritable Réconciliation basée sur le pardon réciproque, et je mets l’accent sur ce dernier mot. On aurait pu aussi, pourquoi pas, ériger un grand monument symbolique et complètement dépolitisé en France ou en Algérie afin de rendre hommage aux morts des deux côtés, un peu à l’image de la Valle de los Caídos en Espagne, qui, à partir de 1958, fut considérée comme un mausolée dédié à l'ensemble des combattants morts de la guerre civile espagnole y compris les combattants républicains. Même si un tel projet peut paraître utopique, méditerranéen moi-même, je connais la force des symboles dans cette partie du monde... Je pense qu’avec un peu de volonté et de courage, surtout du côté français, cela aurait été possible, surtout sous Ben Bella. Par contre, à partir de 1965, avec Boumédiène, c’était déjà trop tard…
Au lieu de cela, les autorités algériennes se sont emparées de la question coloniale et ont entretenu un sentiment anti-français afin d’en faire une arme politique interne. En effet, ces sujets furent pendant des décennies un moyen efficace pour fédérer la population algérienne et surtout la détourner des réels problèmes socio-économiques auxquels elle était confrontée.
Du côté français, dès la fin de la guerre d’Algérie, et ce pour des raisons bassement commerciales - déjà ! - et en vue d’une nouvelle "politique arabe" plus qu’hasardeuse, Paris ne cherchera absolument pas à faire respecter les engagements pris à Evian. Le gouvernement français de l’époque (comme ceux qui suivront d’ailleurs), fermera les yeux sur la plupart des différentes initiatives unilatérales des Algériens qui les videront totalement de leur contenu et qui infligeront une série d’humiliations à la France.
Enfin, en France, nous avons laissé s’abattre une véritable chape de plomb idéologique et de partis pris (Tiers-mondisme, anticolonialisme puis un gauchisme résolument anti-occidental) sur la recherche historique. On ne compte plus les écrivains, les intellectuels, les chercheurs ou les historiens français qui dépeignent ce passé colonial comme faisant partie des "heures les plus sombres de l’histoire française". Par conséquent, "la domination impitoyable" ou, à l’inverse, la "faiblesse" de la France n’ont fait que ternir son image.
Quel est l'intérêt des Algériens de continuer à exiger des gages de repentance et pourquoi les dirigeants français acceptent ces exigences ?
Roland Lombardi : Les responsables algériens sont loin d’être stupides et ils connaissent parfaitement la mentalité française (alors que nos responsables, eux, ne connaissent rien des mentalités de ce côté-là de la Méditerranée). De leur point de vue, ils ont raisons. Pourquoi nous respecteraient-ils alors que nous ne nous respectons pas nous-même ? Ils jouent avec cette corde sensible car ils nous savent complexés par notre histoire, notre "mauvaise conscience" et notre sentiment de culpabilité. Mon ami Alexandre Del Valle a très bien décrit tout cela dans son ouvrage Le complexe occidental : Petit traité de déculpabilisation.
Les Algériens savent aussi que pour quelques contrats commerciaux, comme nous l’avons vu ces dernières années avec les pays du Golfe, les dirigeants et les diplomates français sont prêts à toutes les concessions et les reniements.
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