Atlantico : Les négociations concernant le traité de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne commencent ce lundi en dépit des couacs provoqués par l'affaire d'espionnage par les Américains. Alors que la France souhaitait un arrêt des discussions suite à cette affaire, Angela Merkel s'est prononcée en faveur de la poursuite de celles-ci. Dans quel état l'Europe aborde-t-elle ces discussions ? Et avec quelles conséquences potentielles ? Comment les États-Unis pourraient-ils en tirer parti ?
Michel Fouquin : Les négociations sur le traité de libre-échange transatlantique commencent ce lundi malgré les révélations des opérations à grande échelle d’espionnage menées par la NSA contre notamment les Institutions européennes et de certaines ambassades européennes aux États-Unis. La Commission a obtenu en compensation la tenue en parallèle d’un groupe d’experts transatlantique pour discuter des pratiques américaines (notamment en matière de protection et de partage des données privées). C’est une concession faite par les Américains. Madame Merkel, la Commission et la plupart des pays membres voulaient absolument maintenir la date d’ouverture des négociations, les Français ne le voulaient pas, mais ils étaient isolés sur ce sujet et ont donc choisi d’accepter ce compromis. Sur le contenu des travaux de ce groupe d’experts on ne sait rien pour l’instant, mais il est clair que cela pourrait être un moyen de pression de l’Europe sur les États-Unis. Les Européens ont en vain essayé depuis deux ans d’obtenir l’accès aux données privées récoltées par les agences américaines et la réciprocité sur, par exemple, les informations sur les passagers utilisant les transports aériens.
Jacques Sapir : Dans la négociation qui commence les intérêts des uns et des autres sont très différents. Compte tenu de l’effondrement du marché dans la zone euro, l’Allemagne a besoin de s’ouvrir le marché des États-Unis. Par ailleurs, elle anticipe la probabilité d’une réévaluation de l’euro par rapport au dollar US. Les grandes entreprises allemandes, dont certaines produisent déjà aux État-Unis vont développer leur production locale. Pour toutes ces raisons l’accord de libre-échange transatlantique est une nécessité pour les entreprises allemandes. Même s’il détruit des emplois en Allemagne, la baisse de la population active que l’on connaît et qui va s’amplifier dans les dix ans à venir compensera cela. De ce point de vue Mme Merkel suit une politique parfaitement cohérente avec les intérêts des entreprises allemandes mais nullement avec ceux des travailleurs européens. Il est plus que regrettable, il est en fait condamnable, que la France n’ait pas bloqué la négociation.
Jean-Pierre Corniou : La division de l’Europe est une plaie structurelle qui pèse sur notre position mondiale dans tous les domaines qui impliquent des négociations. Face aux grands ensembles continentaux politiquement homogènes que sont les États-Unis, la Chine, le Brésil ou la Russie nous sommes certes un géant, qui constitue la première économie mondiale, mais composé de 28 entités distinctes et soucieuses de ne pas perdre leur souveraineté. De fait il y a une double négociation. Entre les 28 états membres d’abord, avec des jeux d’influence et d’alliances, puis avec l’extérieur. Les États-Unis sont mieux préparés, mieux organisés et beaucoup plus clairs que les Européens sur leurs objectifs. La dissymétrie tient au fait que l’Union européenne n’est pas un État, ses dirigeants ne sont pas responsables devant le suffrage universel, alors que Etats-Unis et pays européens ont chacun des leaders soucieux de leur électorat. Si une telle négociation implique une minutieuse préparation par les experts qui vont passer au crible les tarifs douaniers et ce qu’on appelle les obstacles non tarifaires, secteur par secteur, l’accord final se fera au niveau politique ce qui implique une solide capacité d’engagement. Evidemment les États-Unis exploiteront les moindres failles des positions européennes qui résulteront de compromis internes plus ou moins robustes.
Que contient cet accord ? Quels sont les points les plus sensibles d'un côte comme de l'autre ?
Michel Fouquin : Par définition – à moins d’être destinataire des mandats des négociateurs – on ne sait rien de précis. Le commissaire Barroso souhaitait avoir le mandat de négociation de la part des pays membres le plus large possible, la France s’y est opposée obtenant d’exclure l’industrie culturelle de la négociation. C’est la seule exception connue qui avait d’ailleurs mis en rage José Manuel Barroso. Le mandat est donc très large.
Pour l’Europe un des points importants de la négociation sera certainement la question de l’accès aux marchés publics : du coté européen on considère que 80% des marchés publics sont ouverts à la concurrence internationale contre un tiers seulement du coté américain. Les États américains sont particulièrement arc-boutés sur la défense de ces marchés qui ont sans doute une grande valeur électorale et industrielle pour défendre les PME américaines.
Sur les droits de douane, les gains attendus sont assez faibles – en moyenne ceux-ci sont inférieurs à 3% – mais il existe des secteurs sensibles du coté européens : les viandes notamment. Mais dans ce domaine les questions les plus importantes concernent les OGM et les certifications des contenus des conserves alimentaires. Autre sujet est celui des appellations d’origine dont les Américains ne veulent pas. D’une manière générale la question des normes sera centrale que ce soit en matière de sécurité des produits, de qualité sanitaire etc. La question n’est pas toujours source de conflits et permettrait au contraire aux occidentaux d’imposer leurs normes au reste du monde, c’est un des intérêts d stratégiques de ces négociations.
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