"Bananas (&Kings)" de Julie Timmerman au Théâtre de la Reine blanche : une pièce courageuse et engagée, qui nous adresse un avertissement sans frais<!-- --> | Atlantico.fr
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©bananas and kings

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La pièce "Bananas (&Kings)" de Julie Timmerman est à découvrir au Théâtre de la Reine blanche jusqu'au 1er novembre.

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

Voir la bio »

"Bananas (&Kings)" de Julie Timmerman

Mise en scène : Julie Timmerman
Avec Julie Timmerman, Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Jean-Baptiste Verquin

INFOS & RÉSERVATION
Théâtre de la Reine blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris
Tél. : 01 40 05 06 96
http://www.reineblanche.com/
Du 9 septembre au 1er novembre

RECOMMANDATION 

Bon

THEME
• On a oublié – et c’est dommage - ce qui se cachait « behind the blue sticker » apposé à ces régimes de bananes dont raffolaient les Américains dans la première moitié du XXe siècle : l’empire et l’emprise pratiquement sans équivalent d’une entreprise d’exploitation fruitière établie fin XIXeme en Amérique centrale, sous la houlette de Minor Cooper Keith, l’un de ces « barons voleurs » aussi audacieux que sans scrupules envers les hommes, les peuples et les terres ancestrales.

• Puissance foncière et économique aux ramifications tentaculaires, la United Fruit Company s’était implantée du Costa Rica à la Jamaïque, et du Panama à la Colombie. Partout, une exploitation impitoyable des peones, dont les terres sont rachetées (dans le meilleur des cas) et les révoltes matées (massacre de Santa Marta, 1928), alors que les procédés pour lutter contre les parasites menaçant les récoltes (la fameuse “bouillie bordelaise“ à base de sulfate de cuivre) déciment ceux qui sont chargés de la répandre sur les cultures. Cela ne vous rappelle rien ?

• Mais voilà qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le suffrage porte au pouvoir une nouvelle équipe dirigeante, d’où se détache bientôt le colonel Arbentz, un officier socialiste, c’est-à-dire communiste pour l’administration Eisenhower plongée dans la guerre froide. Arbentz entend imposer un code du travail respectueux d’une main d’œuvre surexploitée et sous-payée, et prétend soustraire à la multinationale une partie de son formidable parc foncier, pour le rendre aux petits exploitants. Comment la United Fruit - qui avait un temps pour avocats les frères Dulles, au cœur du pouvoir à Washington en 1954 – va t elle réagir ?

• Julie Timmerman prend le parti de traiter cette histoire en opéra-bouffe (chœur, distorsions des personnages, aspects grotesques suscitant le rire en dépit du tragique des situations montrées), tout en s’inspirant des codes du théâtre brechtien (place de la musique, segmentation des espaces par une séparation, décors fonctionnels et polysémiques).

POINTS FORTS 
 • L’histoire, tout à fait passionnante, est bien restituée avec une économie de moyens et de comédiens, puisqu’ils sont 4 sur scène pour 43 rôles, et se dépensent sans compter.

• Le dispositif installé est probant et, en dépit de la gravité des atteintes portées par la multinationale à l’Amérique latine dans son ensemble ; il y a quelques moments franchement comiques, et des clins d’œil certes un peu appuyés mais souvent pertinents.

• En effet, la saga de cette United Fruit se prête à des analogies avec les us et coutumes d’entreprises de même calibre contemporaines, des GAFA à Monsanto, en passant par les stratégies du Science Washing permettant d’écarter les interprétations scientifiques les plus solides au motif d’un doute prétendument “raisonnable“, et de les ensevelir sous des procédures longues, coûteuses et dissuasives pour qui n’en a pas les moyens...

POINTS FAIBLES
• L’indignation n’est pas toujours bonne conseillère au théâtre, notamment en matière d’expression : même si certaines actions et injustices s’y prêtent, on crie beaucoup et beaucoup trop parfois, la plupart du temps sans grande modulation dans la voix.

• Les effets comiques sont appuyés, et c’est de bonne guerre, car sans eux, on serait accablé par le réquisitoire de l’United Fruit ; en revanche, certains passages pêchent par un didactisme un peu appuyé. Il ne faudrait pas qu’on en vienne à soupçonner la patte de Fidel Castro ou du Che dans l’écriture de la pièce...

• On peut regretter une certaine disparité dans les prestations, même si la pièce se rode : aux extrêmes, si Mathieu Desfemmes est parfaitement à l’aise dans divers rôles et franchement comique en néo-Américain venu d’un shtetl russe, c’est paradoxalement l’autrice du texte et la metteuse en scène qui se révèle la moins subtile dans les divers personnages qu’elle endosse.

EN DEUX MOTS
• Une pièce courageuse et engagée, qui nous adresse un avertissement sans frais.

UN EXTRAIT
« Les terres appartiennent à ceux qui en tirent le maximum. » (Minor Cooper Keith, fondateur et premier dirigeant de la United Fruit, 1899-1928)

L'AUTEUR
• Julie Timmerman poursuit avec Bananas un projet théâtral explorant les clefs de compréhension de l’Occident contemporain. Le premier volet de son œuvre, Un Démocrate, auscultait ainsi les arcanes de la communication et de la manipulation politiques.

• Cette fois-ci, en retraçant la saga de l’United Fruit Company, elle s’attache à montrer comment une multinationale parvient en deux générations à dominer tout un subcontinent, en l’occurrence l’Amérique centrale.

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