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Mathieu Laine : « Ça n’est qu’avec une alliance des progressistes non socialistes, des libéraux et des conservateurs non réactionnaires que nous sauverons le monde libre »
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Liberté chérie

Dans son essai "Il faut sauver le monde libre" publié aux éditions Plon, Mathieu Laine appelle le lecteur à prendre conscience que la fragilité des libertés que nous avons. Entretien.

Mathieu Laine

Mathieu Laine

Mathieu Laine dirige le cabinet de conseil Altermind.

Essayiste, il a publié entre autres le Dictionnaire du Libéralisme (Larousse, Avril 2012), ainsi que le Dictionnaire amoureux de la liberté (Plon, Janvier 2016).

Il est aussi l'un des actionnaires d'Atlantico.

Transformer la France - Mathieu Laine & Jean-Philippe Feldman

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Atlantico : Dans votre essai "Il faut sauver le monde libre" (Plon), vous décrivez le monde libre comme un ensemble de "principes essentiels passés au tamis de l'Histoire et structurant notre destinée" : "liberté, propriété, responsabilité, protection de la personne, séparation des pouvoirs, sécurité juridique, démocratie, pluralisme". Selon vous, ces principes seraient aujourd'hui menacés. Le "monde libre" a aussi des failles et subit le poids des tentations populistes ou autoritaires. Pourquoi aujourd'hui ces forces "libérales" ne semblent-elles plus à même de progresser ?

Mathieu Laine : Ces valeurs essentielles qui ont fait le succès de l’Ouest et qui, une fois que certaines d’entre elles ont gagné le Reste du monde, ont permis à ces pays autrefois à la traine de rattraper l’avance prise par l’Occident, nous avons fini, chez nous, par oublier leur essentialité. Ce monde de paix et de prospérité qui a tant contribué à l’amélioration de nos vies, nous avons fini par ne plus y prêter attention. Comme l’air que l’on respire, comme l’eau que l’on boit. C’est en cela que nous sommes devenus, sans pour autant nier les difficultés concrètes auxquelles doivent faire face beaucoup d’entre nous, des citoyens assoupis, des êtres aigris, peureux, envieux,et parfois même des enfants gâtés d’un temps où l’on ne se soucie plus suffisamment des grands principes pour lesquels nos aïeux ont fait couler jusqu’à leur sang. Comme s’ils étaient éternels oupas si importants que cela. C’est là quelque chose d’extrêmement préoccupant. Quand j’étais plus jeune, je ne me souciais pasde la défense du « libéralisme politique ». C’était acquis et les partis dits « de gouvernement » alternaient. Que nous en soyons heureux ou tristes, le soir de l’élection, nous ne risquions pas de basculer collectivement dans tout autre chose. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sans culpabiliser, ni minimiser les failles réelles de notre monde, sans davantage rejoindre la cohorte de ceux qui, pensant bien faire, se vautrent dans une morgue moralisatrice et attisent de leurs doctes leçons un feu qu’ils croyaient contenir, il m’a paru fondamental de revenir aux racines de ce qui a fondé notre développement pour mieux saisir ce que nous devions à ce monde et ce que nous pourrions perdre si nous lui tournions définitivement le dos.

A l'élection qui s’est tenu dimanche, il est marquant de voir que seulement trois listes françaises se disaient libérales, signe d'une forme d'impopularité du libéralisme. On y voit la guerre du tous contre tous, le manque de solidarité, un dogmatisme... Pourquoi la critique ambiante du libéralisme est-elle, comme vous l'affirmez, infondée ?

Le libéralisme est exagérément caricaturé depuis des décennies. On le confond souvent avec ce qu’il n’est absolument pas : le capitalisme de connivence, la préservation des rentes, les puissants entre eux, le royaume de la finance et un club de grands patrons inhumains toisant le monde en riant tout en tenant de leurs  dents perlées de sang ouvrier un gros cigare fumant. Les politiques, qui agissent ou rêvent d’agir grâce aux outils de l’État, n’aiment par ailleurs pas que le libéralisme propose de réduire les pouvoirs de contrainte de la sphère publique au profit d’une redistribution de ce pouvoir aux personnes elles-mêmes. Ils sont, en l’espèce, en plein conflit d’intérêts. Vous trouverez dans mon livre une longue explication de la nécessité, surtout dans un monde aussi complexe que le nôtre, de ne pas ambitionner de changer l’homme pour le mouler dans un schéma mental préétabli mais de le respecter. C’est tout ce qui fait la différence entre l’ordre artificiel et l’ordre spontané. Et il y a encore beaucoup à faire pour délivrer la pensée de liberté de la charge de caricatures qu’on lui a imposée.

A rebours, vous rappelez que le monde libre a connu d'importants succès. Quels sont les plus importants selon vous ?

La paix, l’allongement de la vie, le recul des maladies, la maitrise des famines, le développement de l’éducation et la réduction considérable de la pauvreté dans le monde. Elle frappait 90% de la population mondiale, nous sommes désormais à 9%. J’ai fait la synthèse des travaux de Pinker, Norberg et autres chercheurs sur le sujet. Cela tord le cou à de nombreuses idées reçues.

Le libéralisme ne subit-il pas aujourd'hui le contre-coup de son succès de 1988, en ce que sa réussite, et  alors lui a peut-être fait oublier l'importance du doute ?

Je ne le pense pas. Il paye essentiellement sa difficulté à faire la pédagogie de ses vertus face à la facilité de conviction des propositions étatistes, qui frisent toujours avec la démagogie volontariste. Le discours « Dormez bien, l’État s’occupe de tout » est d’une efficacité redoutable en terme de conviction politique. Nous gagnerions, clairement, au réveil de l’esprit critique et de la rationalité. 

Aron disait des libéraux qu'ils ont oublié la vertu. N'y a-t-il pas là l'effet d'une forme de déracinement du libéralisme, notamment parce qu'il est devenu progressiste ?

Je ne résume pas le libéralisme à sa déclinaisons progressiste. Il y a dans le progressisme à la fois la très belle idée du progrès des hommes au moyen de l’innovation et au service de l’émancipation et de l’égalités des chances. Mais on y perçoit aussi une part de constructivisme socialiste qui est l’ennemi du libéralisme. A l’inverse, il existe, dans le conservatisme non réactionnaire, une lecture libérale trop souvent ignorée. J’y consacre là encore de longs développements dans mon livre. Nous touchons là au fondement même de ce que j’ai cherché à porter dans cet essai.

Le libéralisme en tant que doctrine politique a particulièrement connu de grandes heures quand il était allié au conservatisme - pensons à l'expansion du marché britannique sous Disraeli au XIXe siècle. Une telle alliance n'est-elle pas souhaitable ?

Dans mon livre, je propose l’alliance des progressistes non socialistes, des libéraux et des conservateurs non réactionnaires contre les dérives autocratiques. Car ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous désunit. Ce n’est qu’ainsi que nous sauverons le monde libre.

A lire aussi sur Atlantico, deux extraits du livre :
Les bénéfices immenses d’un monde fondé sur la liberté face à la radicalisation d’une partie de l’opinion
La nouvelle fièvre protectionniste, cette vieille rengaine dont seuls les citoyens feront les frais

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