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Les gilets jaunes ou le conflit social ingérable
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Atlantico Business

Le mouvement des gilets jaunes s’annonce puissant, mais comme il n’est ni organisé, ni structuré, il va être ingérable.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le général De Gaulle aurait dit « c’est la chienlit». Le mouvement des gilets jaunes s’annonce très puissant, et très soutenu par l’opinion publique, puisqu’a priori, 80% des Français se déclarent favorables à un mouvement de protestation contre l’accumulation des taxes et des « emmerdes de toutes sorte ».
Le mouvement des gilets jaunes rappelle bien sur la révolte des bonnets rouges, mais surtout il se développe un peu comme le tout début des évènements de mai 1968. Des évènements qui ont débouché sur une immense "chienlit sociale" pour reprendre l'expression fameuse du général De Gaulle. 

Ce mouvement des gilets jaunes est né spontanément sans aucune organisation, sans doctrine particulière, avec des revendications axées sur les excès de taxes sur le carburant, mais il a agrégé un tas de mécontentements à l’encontre de la gouvernance Macron. 
Ce mouvement est parti des « vrais gens », de la province profonde, celle qui doit utiliser sa voiture pour aller travailler, parce que le travail s’est éloigné de l’habitation. Ce mouvement est parti des terres françaises abîmées par la crise économique. 
Ce mouvement ne véhicule pas une demande précise mais plutôt une mauvaise humeur, un sentiment mélangé d’agacement, de déception, d’inquiétude. En bref, contre « Macron, tout est bon. »  Faute de revendications précises, ce mouvement va se traduire par un mouvement anti-Macron sans pour autant suggérer une solution alternative. 
Et pour cause, les syndicats, les partis politiques n’ont pas vu cette vague monter, ils sont donc débordés et incapables de l’accompagner, de la réguler éventuellement. 
Ni la CGT, ni FO, ni même la CFDT, ou Sud, les plus conservateurs comme les plus réactionnaires n’ont jamais mis les pieds chez les gilets jaunes. 
Du côté politique, ni à droite, ni à gauche, on a compris ce qu’il se passait et surtout, personne n’est en mesure d’expliquer ni de proposer. Ou même de préparer une négociation. 
Si négociation il devait y avoir, on ne sait même pas sur quoi on pourrait négocier : un abaissement des taxes, oui bien sur, mais également une diminution de la circulation pour sauver la planète, évidemment. 
En 2013, au moment des Bonnets rouges, le gouvernement a su très vite déverrouiller le conflit. L’opération a couté très cher à la collectivité, mais le calme est revenu très vite. 
Avec les gilets jaunes, tout est tellement confus que personne ne sait par quel bout prendre le problème. 
Et pour cause, il n’y a personne avec qui négocier ou parler. Ce mouvement des gilets jaunes signe la disparition des corps intermédiaires dans la vie sociale et politique. Il marque un peu l’uberisation de la société. Les mouvements protestants ont marqué leur opposition à la hiérarchie catholique en offrant aux fidèles la possibilité de s’adresser à Dieu directement sans passer par l’intermédiaire d’un homme d’église. C’était déjà Uber mais en religion. 
Emmanuel Macron est arrivé à l’Elysée comme « un protestant huguenot » en éliminant les corps intermédiaires. Les partis politiques ont explosé et les syndicats, déjà peu représentatifs, ont encore reculé dans le dialogue social. 
Alors cette forme d’uberisation appliquée à la vie politique et sociale correspond certes à un besoin de réformer vite une société sclérosée face aux mutations, elle correspond aussi à une nécessité de faire vivre une forme de démocratie directe. Mais comme la société est très complexe, dès qu’il y a une crise, ça bloque. Et « si ça bloque, ça débloque grave », ça peut être violent et dangereux. 
Qu’on le veuille ou non, la société démocratique ne peut pas se gérer avec une culture du conflit ou de l’affrontement, sinon on retombe dans les horreurs de la révolution française à l’époque de la terreur. 
La société démocratique ne peut se gérer que dans la culture du compromis. Et cette culture du compromis a besoin d’outils et de moyens très simples qu’on a laissé s’abimer. 
Le premier outil, c’est l‘état de droit. Depuis Moise, on sait bien que les rapports sociaux sont régis par la loi. Encore faut-il que l’appareil juridique soit simple (il est horriblement compliqué et administratif), qu’il soit indépendant du pouvoir exécutif et qu’il soit cohérent avec les accords internationaux (l’Union européenne). 
Le deuxième outil, c’est la responsabilité et le respect des engagement pris. On ne peut pas vivre dans une société qui remettrait en cause les principes et les accords qu’elle signe. La signature est sacrée tant que l’éco système ne change pas. 
Le troisième outil, c’est l'existence de corps intermédiaires représentatifs dans la sphère politique (les partis), dans la sphère sociale (les syndicats) et même dans la vie économique (les lobbies, les associations de clients, consommateurs, actionnaires ou les ONG). 
De ces trois outils, le troisième est très certainement le plus abimé. Le fonctionnement formidablement dynamique des réseaux sociaux a pris la place des corps intermédiaires. Mais les réseaux sociaux sont aux rapports sociaux ce que les applications digitales sont à Uber. Ils drainent le trafic, l’oriente, l’amplifie mais ne le régule pas. 
Les réseaux sociaux ont une obligation de moyens, c’est à dire qu’ils doivent être capables de gérer le trafic. 
Les corps intermédiaires (partis politiques, syndicats) ont des obligations de résultats, c’est à dire des obligations d’accoucher des décisions. Leur fonction est donc de négocier un compromis. 
La démocratie moderne ne souffre pas de déficit, elle souffre de la disparition de cette culture du compromis qui permet d’avancer sans drame, ni violence. 
Le compromis, c’est l’antidote à la chienlit. 

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