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Commémoration des attentats du 13 novembre 2015 : le traitement des stress post-traumatiques pas à la hauteur en France
©ERIKA SANTELICES / AFP

L'après

Les victimes du Bataclan ont connu des situations de guerre urbaine et certains témoignent sur les difficultés qu'ils ont à oublier. La prise en charge du stress post-traumatique est-elle efficace en France ?

François Lebigot

François Lebigot

François Lebigot est psychiatre des armées et professeur agrégé à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce.

Membre de l'association Otages du monde, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le traumatisme psychique (Fabert, 2011).

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Atlantico : Comment se manifeste le stress post-traumatique ?

François Lebigot : C'est assez simple. Le stress post-traumatique (ou plutôt névrose traumatique), c'est la répétition – mot important en psychiatrie – de ce qui s'est passé au moment du traumatisme. Ce traumatisme, c'est lorsque rentre à l'intérieur de l'appareil psychique le réel du déroulé du traumatisme. C'est toujours quelque chose qui a à voir avec la mort. D'un seul coup, le sujet a la révélation de ce qu'est la mort, ce que le citoyen ordinaire n'a jamais. Il en a eu l'idée, on lui en parle, on lui dit qu'il n'y a plus de pensée, de sujet. Le réel est à opposer à l'imaginaire et au symbolique. L'imaginaire est l'idée que ce l'on se fait autour d'un événement et le symbolique c'est comment on entre en contact avec la réalité. On peut vous parler de l'instant traumatique et vous aurez une réalité sur cet événement, mais vous n'avez pas le réel. Le contact avec le réel est exceptionnel, il se produit surtout avec le traumatisme. Les symptômes, ce sera la répétition de l'instant du traumatisme. Le sujet va revivre les attentats où il a cru qu'il allait mourir. Il s'est cru mort par anticipation, ou pas d'ailleurs. Il fait l'expérience de la mort anticipée.

Tous les gens qui étaient au Bataclan n'ont pas fait un traumatisme, ils ne se sont pas tous cru devant leur propre mort. Certains ont mis en marche leur appareil symbolique – fait de signifiants, de mots 'Je vais y rester' "Je me cache". Les autres ont été en sidération car ils ont vu leur propre anéantissement. Les attentats peuvent être assez courts, (explosion d'une bombe, irruption d'hommes armés au Bataclan). Parfois ça peut être assez long. Dans la reviviscence des traumatismes ce temps est retranscrit. Je suis un patient qui a été violé pendant une heure au moins. Quand il revit ce viol, vraiment, avec les sensations physiques, sensorielles – de l'ordre du réel – c'est l'horreur. Il le revit tel que cela s'est produit avec la sidération ressentie sur le moment: l'absence de tout sentiment, réaction.  Ça peut aussi être le spectacle de la mort d'un proche. Sa mort pour l'un de ceux autour de lui sera comme une anticipation de sa propre mort. Il va avoir cette sidération qui va être l'équivalent de sa propre mort.

Comment prendre en charge de tels états ?

J'ai entendu une émission scandaleuse à la radio, qui proposait des fausses pistes. Beaucoup étaient des victimes d'attentats, plus souvent indirectes. L'attentat a tué leur petit ami, leur frère. Ce qui va les marquer c'est le sentiment de la perte, pas la menace sur eux, pas l'anticipation ni leur mort. C'est la perte d'un être cher. Un deuil, qui peut être ingérable. Dans les mois ou les années qui suivent, ils vont être sous le coup de ce deuil. Il y a toujours quelqu'un qui manque autour d'eux. Une grande tristesse s'installe. Dans le stress post-traumatique il peut y avoir de la tristesse sous la forme de la dépression, mais ce n'est pas du tout la même expérience. Y a-t-il eu une confusion entre ces deux prises en charge après le 13 novembre ? C'est une très bonne question. La prise en charge n'est pas la même. Le dispositif reste le même. On va voir le patient en face de soi et il va parler de l'événement qu'il a vécu. Tout ce que cela suscite en lui sur le plan de la parole, du discours. Pour le deuil, on va l'orienter vers un discours où il va nous parler de la personne qu'il a perdue et des relations qu'il entretenait avec cette personne. On va avoir toute une tranche de la vie du sujet qui a un rapport avec le deuil, la personne perdue. Dans le traumatisme, la parole va être dirigée sur le sujet lui-même, ce que ça lui a fait, dans quel état il a été ou est encore. Qu'est-ce qu'il peut dire de cette mort anticipée ? Petit à petit on a une construction par la parole de la mort anticipée. Pour le traumatisme, cette expérience va susciter une parole particulière où le sujet va associer ce qu'il a vécu sur d'autres choses de sa vie. On va sortir du pur ressenti, éprouvé, pour arriver à un discours, une parole. Cela peut être long. Il vaut mieux suivre les sujets lorsqu'ils ont hospitalisés. Ils sont dans l'émotion, ils se confient à nous et essayent de trouver un sens à tout ça. Vous m'écoutez, c'est à vous que je confie tout ça pour que vous en fassiez quelque chose. On peut les voir tous les jours, aller assez vite. Alors que les gens ne sont pas hospitalisés, ils viennent une fois par semaine, c'est beaucoup moins rapide et efficace.

Depuis quand s'intéresse-t-on au stress post-traumatique ?

J'ai été élevé dans la tradition des psychiatres militaires. Le traumatisme psychique est plutôt fréquent dans les armées. Les Américains ont commencé à s'y intéresser lorsqu'ils ont envoyé des troupes en Arabie saoudite, dans le Golfe,…Ils ont écrit là-dessus. Leurs écrits n'étaient pas aussi senties, proches du réel, que ce qu'avait dit Freud. Les psychiatres militaires français ont décidé de faire une version française. Ils ont commencé à publier dans des revues civiles des cas et des récits de traitement. A partir de là, en 1995, un certain nombre de civils ont compris de quoi il retournait. Ils ont commencé eux aussi à écrire des choses sur ces questions. Malheureusement, beaucoup n'ont rien compris. Ils ont très mal interprété tout cela.

Beaucoup sont comme ça. Ils traitent le traumatisme comme un deuil. Ce n'est pas du tout ça. Cela donne des articles stupéfiants, ou des émissions radio stupéfiantes. Je suis tombé sur une émission sur France Culture à propos des attentats où la plupart des intervenants parlaient de deuil traumatique. Ils parlaient de copains, de gens de leur famille qui avaient eu un stress post traumatique soi-disant. En fait, il s'agissait d'un deuil compliqué, irréparable. C’est-à-dire un deuil dont ils n'arrivent pas à sortir souvent en raison de la relation qu'ils ont avec la personne qu'ils ont perdue.

Est-ce que cet état disparaît un jour ?

Dans mon expérience, la plupart des gens si on s'en occupe bien en sortent. Si on les voit peu de temps après le trauma, quand ils sont "frais" et que l'état d'angoisse dans lequel ils sont les poussent à beaucoup parler. Ils nous installent comme ceux qui peuvent les guérir et ils jouent le jeu, ils vont parler beaucoup. Chaque fois qu'on les voit ils peuvent parler. On a inventé à l'époque avec le ministère de la Santé les cellules d'urgence médico-psychologiques, c’est-à-dire composé d'un psychiatre, un psychologue et un infirmier psy qui vont sur le terrain et qui voient les gens immédiatement et instaurent avec eux une relation de soins. On les revoit rapidement à défaut de pouvoir toujours les hospitaliser. Au bout de deux ou trois semaines, l'affaire est réglée, pour les militaires par exemple.

Quand cela dure trop, ou qu'ils sont mal soignés, ils vont retirer du revécu de l'événement une "jouissance". Entendons-nous bien. Il s'agit l'appareil psychique qui se remplit de quelque chose. Alors qu'on est tous confrontés au manque qui nous fait désirer généralement. On recherche l'objet du désir. On ne sait pas notre désir mais on le recherche. Là, c'est l'inverse. L'esprit est plein de quelque chose, il va devenir l'objet du désir et donc l'objet de jouissance. On voit des gens qui toute leur vie ont des résurgences de l'instant traumatique – la nuit dans les cauchemars, le jour lorsque quelque chose ressemble à l'événement qu'ils ont vécu. Par exemple dans les accidents de voiture, les conducteurs peuvent revivre le traumatisme. Quelque chose qui dans le réel rappelle le trauma va déclencher le revécu. Dans les mauvaises prises en charge, le traum n'est pas atteint. Les gens vont s'habituer à vivre avec leur trauma et ils vont s'habituer à la jouissance qu'il leur procure. Si on les prend en charge lus tard, on va avoir un obstacle constituée par cette jouissance du traumatisme.

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