Brexit : et si Theresa May était un génie méconnu<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Brexit : et si Theresa May était un génie méconnu
©Stefan Rousseau / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraëli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

Voir la bio »

Londres, 

Le 8 novembre 2018

Mon cher ami, 

Quel désaveu pour les libéraux de toute origine! Un siècle après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est le patriotisme des dirigeants qui explique largement où en sont nos nations. Comme la tendance à l’individualisme est universelle, c’est le patriotisme qui fait la différence. 

Macron, un président de plus en plus symbolique

Je n’aurai pas la cruauté d’insister sur la manière dont votre président, le dernier des mondialistes, découvre à son corps défendant, qu’il ne va pas de soi, quand on a passé son temps à faire l’éloge de l’Europe fédérale et de la mondialisation néolibérale, de trouver les mots qui conviennent pour parler du pays que l’on gouverne, de son passé et pour parler à la « France d’en bas ». En fait, Emmanuel Macron est de plus en plus symbolique. C’est de moins en moins sa personne qui doit nous intéresser que ce qu’il représente: le pari perdu des élites françaises, qui ont abandonné la nation pour l’Europe et qui ont de moins en moins de prise sur le pays. Votre héroïque pays a porté l’essentiel de l’effort militaire des Alliés durant la Première Guerre mondiale. Eh bien! Par manque de patriotisme, vos dirigeants dilapident cet héritage. Ils l’avaient déjà fait une première fois, par aboulie face à la montée du nazisme; mais l’Histoire est généreuse et elle vous a donné le Général de Gaulle. Loin de la remercier de ce cadeau, les héritiers de l’esprit vichyssois (de gauche comme de droite) ont recommencé à vouloir vendre le pays par appartement. Votre société est toujours héroïque par bien des aspects, elle subit avec stoïcisme les décisions ineptes que, par veulerie ou par arrogance, vos présidents successifs empilent les unes sur les autres depuis le milieu des années 1970. 

Les décideurs allemands compensent leur myopie par leur persévérance

Et regardez le contraste: on pourrait croire que c’est l’Allemagne qui a gagné la Première Guerre mondiale. Je ne serais pas anglais si je ne soulignais pas que le courage, en histoire, compte souvent plus que l’intelligence. Vous autres Français avez certainement les dirigeants les plus intelligents de la terre - je dirais même de la galaxie! - mais vous ne vous rendez pas compte que personne ne vous envie pour cela. L’histoire de l’Allemagne au XXè siècle est une suite de décisions à courte vue: déclenchement de la guerre en 1914, guerre sous-marine à outrance, poignard planté dans le dos de la République naissante en 1918, hyperinflation, installation d’Hitler au pouvoir, enthousiasme des militaires pour la guerre contre l’URSS en 1940-41, refus de la réunification proposée par Staline en 1952, cette même réunification menée en dépit du bon sens en 1990, refus d’accompagner le Général de Gaulle dans la création d’une « Europe européenne » etc.... Eh bien! Malgré cette accumulation de myopies, de Gaulle parlait du « grand peuple allemand », capable d’imposer, à force de persévérance et de patriotisme renouvelé, la prépondérance économique allemande sur l’Europe. Et lorsqu’Emmanuel Macron indique, par sa manière de commémorer la Première Guerre mondiale, qu’il s’entend en fait bien mieux avec l’Allemagne qu’avec les pays qui ont aidé la France à gagner la Première Guerre mondiale (Grande-Bretagne, Russie, Etats-Unis), il confond les apparences (les professions de foi internationalistes de Berlin) et la réalité (le patriotisme, qui n’est pas seulement économique) de la société d’outre-Rhin. 

Theresa May, un génie secret ? 

Je crois aussi que les dirigeants britanniques sont devenus trop cérébraux, aux dépens du caractère. C’est finalement ce que la soi-disant construction européenne nous aura apporté de plus néfaste. Theresa May n’en finit pas de multiplier les subtilités et de rendre illisible sa stratégie de négociation du Brexit. Le New York Times se demande si elle est un « génie secret ». Ah oui! Mais très secret, alors! Plus sérieusement, je regarde le contraste entre ces centaines de représentants de nos élites qui se lamentent sur le Brexit, qui réclament un second referendum au mépris de toute démocratie, qui prêtent aux négociateurs de l’Union Euopéenne toute sorte de vertus. C’est le propre des gens intelligents: ils créent volontiers des sociétés d’encensement mutuel. Et plus ils sont intelligents, plus ces sociétés sont larges et fortes. Souvent mes amis au sein du parti conservateur m’agacent avec leur obstination à défendre un Brexit hyper libre-échangiste. Ils ne se rendent pas compte comme ils sont loin des souffrances infligées par le néolibéralisme à la société britannique. Mais, au moins, ils ont le courage de défier l’establishment européen: ils votent comme le peuple britannique. On laissera d’ailleurs aux parlementaires conservateurs dans leur ensemble d’avoir jusqu’à maintenant respecté le vote populaire, d’avoir préféré, malgré bien des contorsions, le courage à l’intelligence. 

C’est le courage et l’amour du pays, non le QI, qui font la différence entre les dirigeants

Mon cher ami, je me réjouis que nous nous voyions cette fin de semaine puisque vous passez par Londres. Nous pourrons être mal-pensants comme nous aimons. Et si nous regardons ensemble les commémorations du 11 novembre, je vous promets que j’irai contre toutes les règles de la bien-pensance de mon pays en vous proposant un panégyrique de Vladimir Poutine et un plaidoyer en faveur de l’alliance anglo-russe! J’y mets une condition toutefois: que vous arriviez avec une ode à Donald Trump rédigée en alexandrins. En tout cas, ces deux-là aussi nous aideront à compléter l’éloge du courage en politique. Bien évidemment, le président russe est un stratège; mais la stratégie ne lui aurait été d’aucun secours s’il avait manqué de courage au moment de l’appliquer; et s’il avait manqué de soutiens dans les milieux dirigeants. On peut dire la même chose de Trump: en se dressant seul contre l’establishment libéral, il rend le courage, progressivement aux caciques du parti républicain. Mais ne npus y trompons pas: dirigeants américains comme russes, allemands comme, au bout du compte, britanniques, tous sont habités par un réel patriotisme. L’histoire nous enseigne - et la Première Guerre mondiale plus que tout autre événement - que le bon sens et les qualités d’anticipation sont la chose la moins répandue dans les élites, et en particulier dans la classe politique. Ce sont le courage et le patriotisme qui permettent de surmonter les erreurs que l’on fait, comme décideur et comme classe dirigeante. Je souhaite pour ma part de tout coeur que votre pays aussi retrouve des dirigeants couageux et qui aiment leur pays. 

Bien fidèlement à vous 

Benjamin Disraëli

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !