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Macron, l’hommage à Pétain et les ravages du « en même temps »
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Contradictions

A l’occasion des commémorations du centenaire de l’Armistice de 1918, un hommage sera rendu aux Maréchaux de la Grande Guerre. Philippe Pétain sera célébré aux côtés de sept autres Maréchaux de France. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a justifié son choix en rappelant que Pétain avait joué un rôle majeur durant la Première Guerre mondiale.

Adrien Dubrasquet

Adrien Dubrasquet

Ancien élève de l'ENS, directeur du cabinet du maire de Sens.

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En rappelant que le Maréchal Pétain avait été en même temps un grand soldat de la Première Guerre mondiale et l’homme de choix funestes durant la Seconde Guerre mondiale, le Président de la République a fait à la fois un travail d’historien et un travail de mémoire. L’un et l’autre sans véritablement convaincre.

D’un strict point de vue historique, il est important de ne pas occulter le rôle de Pétain dans la Première Guerre mondiale. Les faits sont là : il fut un grand meneur d’hommes dont le rôle fut décisif dans l’issue du conflit, durant l’entre-deux-guerres il était aux yeux des Français « le vainqueur de Verdun ». Pour autant, l’historiographie a énormément progressé depuis un siècle. Si Pétain a contribué à l’amélioration du quotidien des Poilus et a fait preuve d’une grande proximité avec ses hommes, on ne peut désormais plus ignorer qu’il fit fusiller les mutins de 17 ou que les méthodes et stratégies militaires dont il a usé ne changeaient guère de celles des autres chefs militaires français : Pétain a aussi sa part de responsabilité dans l’absurdité, la cruauté et la violence de ce conflit.

Mais du point de vue de la mémoire collective, le Président Macron en rendant hommage à Pétain commet plusieurs fautes. D’une part, parce que la personne de Pétain – à l’inverse de celle d’un Joffre ou d’un Foch pour ne citer qu’eux – dépasse largement le cadre du conflit de 14-18. Désormais, avant d’être le vainqueur de Verdun dans la mémoire collective, Pétain est l’homme de Vichy, de la collaboration, de la déportation. D’autre part, s’il peut être louable de distinguer le chef de guerre de 14-18 du chef d’Etat de 39-45 de la part du Président, force est de constater qu’il s’y prend de la plus mauvaise manière. Pétain n’était qu’un général durant la guerre, il ne deviendra maréchal qu’au lendemain de l’armistice, en décembre 1918. Or en l’associant aux autres maréchaux de la Grande Guerre, le Président Macron fait entrer en collusion deux périodes de la vie du Maréchal qu’il entendait distinguer. 

Plus largement, les crispations que suscite cette commémoration aux Invalides dans l’opinion publique cristallisent les difficultés éprouvées par le Président à trouver le ton juste durant son « itinérance mémorielle ». Emmanuel Macron hésite entre deux discours mémoriels, le discours patriotique ou le discours pacifique. Il cherche à rendre hommage aux Poilus qui sont morts par centaines de milliers pour mettre un frein à l’impérialisme allemande de Guillaume II qui menaçait l’équilibre européen et surtout pour prendre leur revanche sur la défaite de 1870 et récupérer les provinces perdues d’Alsace et de Lorraine. Mais en même temps, il essaye de tenir un discours consensuel qui assure la promotion de la paix, de l’Europe et des relations franco-allemande, étant ainsi contraint de passer sous silence que le Première Guerre mondiale ne fut pas « la der des ders », que la construction de l’Europe dut attendre l’éradication du nazisme et que le sentier de douleurs fut long avant que l’on puisse parler d’amitié franco-allemande.

Cette volonté de tenir les deux bouts de la chaîne mémorielle et la collusion de différents régimes de temporalité aboutissent à des propos maladroits. Le refus d’organiser un défilé militaire sur les Champs-Elysées le 11 novembre afin de ne pas froisser une amitié franco-allemande retrouvée depuis un demi-siècle a suscité l’incompréhension sinon la polémique. La célébration au cours de l’itinérance mémorielle du « Grand Est de la croissance », au nom de la modernité et du dynamisme économique actuel de part et d’autre du Rhin, conduit à occulter la restitution par l’Allemagne de l’Alsace-Lorraine qui fut l’enjeu majeur de ces quatre années de conflit. Le projet d’une armée européenne vient percuter de plein fouet cette période d’hommages et d’honneurs à l’armée française. Mais en même temps, jamais aucun Président n’aura consacré autant de temps à la commémoration de ce conflit ni visité autant de lieux emblématiques de la Grande Guerre au cours d’une même séquence.

A la décharge du Président actuel, l’exercice de la commémoration de l’armistice de 1918 est rendu beaucoup plus compliqué depuis le choix effectué par Nicolas Sarkozy de commémorer à cette occasion non plus seulement la fin de la Grande Guerre mais tous les soldats français tombés en opération. Cette évolution témoigne de la difficulté, un siècle après, de tenir un discours mémoriel spécifique sur la Première Guerre mondiale qui fut tout autant l’apogée de l’élan patriotique que le point de naissance du pacifisme, une victoire militaire qu’une hécatombe humaine. 

A l’heure actuelle, force est de constater que ni le choix opéré par Nicolas Sarkozy d’englober tous les soldats français tombés au champ d’honneur dans la commémoration du 11 novembre, ni celui adopté par Emmanuel Macron de penser cette célébration à l’aune du « en même temps » ne convainquent pleinement. Parce que la Première Guerre mondiale fut un évènement qui a profondément changé, métamorphosé et transformé le visage de l’Europe et qu’elle ne saurait en cela se confondre avec d’autres opérations militaires plus contemporaines. Parce que le discours mémoriel, de par sa nature même, ne saurait être un discours historique qui admet de la nuance, du balancement et du contrepoint. La mémoire collective ne souffre pas du régime du « en même temps » : c’est un discours d’unité qui suppose une unité de discours. 

Comme ses prédécesseurs immédiats, Emmanuel Macron est confronté à la difficulté de penser la mémoire de la Première Guerre mondiale, aujourd’hui, à un moment où plus aucun Français vivant n’a connu les tranchées. Son évocation se fait à l’ombre de la Seconde Guerre mondiale et à la lumière de la construction européenne contemporaine. Le Général de Gaulle avait bien mesuré la difficulté qui allait se présenter à ses successeurs désireux de concilier la célébration d’une grande date de notre roman national avec l’écriture du roman européen. C’est pourquoi il parlait d’une nouvelle Guerre de Trente Ans, débutée en 1914 et achevée en 1945. Si ce changement de focale résout bien des difficultés mémorielles, il conduit à faire du 11 novembre non pas une commémoration de dimension européenne mais principalement française. La fin de la Guerre de 1918 marque d’abord l’unité retrouvée de la République, prémisse nécessaire à la construction européenne et à l’amitié franco-allemande futures. 

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