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Derrière la collectivité européenne d’Alsace, l’échec déjà consommé des grandes régions voulues par François Hollande
©FREDERICK FLORIN / AFP

Territoires

La "collectivité européenne d'Alsace" sera lancée en 2021. Le projet de François Hollande de la nouvelle région Grand-Est est menacé.

Atlantico : La création d'une "collectivité européenne d'Alsace" qui doit voir le jour en 2021 semble remettre très rapidement en cause la nouvelle région Grand-Est conçue sous François Hollande pour optimiser l'influence des territoires. S'agit-il du signe d'un échec politique très net de la réforme des régions ?

Laurent Chalard : S’il est encore trop tôt pour dire que ce qui vient de se passer en Alsace constitue un échec politique de la réforme des régions, puisque, pour l’instant, l’appartenance de la « collectivité européenne d’Alsace » à la région Grand Est n’est pas remise en cause, il n’en demeure pas moins que c’est l’un des premiers signes d’un mécontentement de territoires vis-à-vis d’une réforme territoriale imposée d’en haut, en l’occurrence par le gouvernement de Manuel Valls à l’époque, sans aucune consultation de leurs populations et de leurs élites résidentes. En effet, passés les premiers mouvements de contestation sans suite, de nombreux dirigeants politiques hexagonaux avaient fait contre mauvaise fortune, bon cœur, se disant que les nouvelles entités administratives allaient peut-être effectivement permettre une meilleure gestion de leur territoire et de réaliser des économies d’échelle, arguments avancés pour faire passer la réforme. Or, après quelques années de fonctionnement, manifestement, ce n’est pas le cas, de nombreux élus se rendant compte que les grandes régions sont des méga-bureaucraties sans identité, qui ont du mal à gérer des territoires aussi grands aux intérêts, bien souvent, divergents, sans compter que lorsque les fusions sont déséquilibrées, l’ancienne région la plus puissante a tendance à damner le pion à celle qui l’est moins. Dans ce cadre, il n’apparaît guère surprenant que la remise en cause de la réforme territoriale parte de l’Alsace, ancienne région à l’identité marquée, qui s’était déjà fortement opposée à son regroupement avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne. L’obtention de la capitale régionale à Strasbourg n’a pas été suffisante pour faire disparaître l’attachement identitaire, d’autant que l’Alsace s’est vue adjoindre deux régions pauvres en crise, ce qui constituait plutôt un cadeau empoisonné. De par ses compétences très étendues, il est évident que la « collectivité européenne d’Alsace » va mettre à mal la cohésion de la région Grand Est.

D'autres réformes territoriales telles que celle de l'Alsace sont-elles à envisager ? Si oui, lesquelles ?

Si, pour l’instant, à notre connaissance, aucune autre démarche officielle n’a été engagée dans ce sens en-dehors du cas très particulier de la fusion envisagée entre les Yvelines et les Hauts-de-Seine qui relève d’un autre contexte, il est évident que l’expérience alsacienne va être suivie de prêt et va donner des idées à d’autres départements qui ne se sentent pas très bien dans leur nouvelle entité administrative. Dans la même région Grand Est, au périmètre bancal, on peut tout à fait imaginer, à son autre extrémité géographique, la constitution d’une collectivité de « Champagne », regroupant les départements de la Marne et de l’Aube, plus tournés vers l’Ile de France, et donc Paris, que vers Strasbourg. Ce mouvement pourrait aussi toucher d’autres régions comme par exemple les départements du Poitou (Deux-Sèvres et Vienne), dont l’intégration dans la région Nouvelle-Aquitaine est un non-sens géographique (le seuil du Poitou constitue la frontière entre bassins parisien et aquitain), étant globalement plus tournés vers le Val de Loire que vers l’Aquitaine. Il en va de même avec les anciens départements du Limousin, qui pourraient bien proposer de ne former qu’un département sur l’ancien périmètre de la région. Au-delà de la création d’une nouvelle collectivité issue de la fusion de plusieurs départements, on peut penser que certains départements vont envisager de rejoindre une autre région s’ils s’y sentent marginalisés, ce qui pourrait pleinement être le cas du Gard au sein de la région Occitanie, au caractère rhodanien affirmé, ou de l’Oise dans les Hauts-de-France, dont les problématiques quotidiennes relèvent du fonctionnement d’une métropole parisienne élargie et non de la métropole lilloise.

Pour quelles raisons ces grandes régions sont-elles considérées comme inadaptées ? Ces structures n'étaient-elles pas trop déconnectées de la façon dont les habitants se référaient à leurs territoires ? Qui pouvait croire que les Nîmois allait se rendre à Toulouse par exemple ?

La réponse est dans la question ! En effet, le principal reproche fait au périmètre des nouvelles régions est leur taille, beaucoup trop importante, ne correspondant, sauf exceptions (Normandie ou Bretagne), à aucune identité territoriale historique, comme en témoignent le nom de certaines qui n’évoque pas grand-chose (Hauts de France, Grand Est). Mise en place dans la précipitation, sans consultation au préalable d’experts, la réforme des régions n’a pas reposé sur un argument rationnel, mais sur la combinaison de critères variables selon les territoires : politiques (l’objectif était à l’époque de conserver le maximum de régions au parti socialiste, pari plutôt réussi d’ailleurs), économiques (des régions centrées autour d’une métropole phare), identitaires (recréation de la Normandie). Par ailleurs, le fait d’avoir regroupé les régions dans leur entier, sans envisager d’interchanger certains départements, était peut-être une solution de facilité (ne pas se fatiguer pour des élus aux connaissances limitées en géographie) mais s’avérait être une aberration totale !
A l’arrivée, si certaines régions ont des périmètres qui fonctionnent relativement bien (la Normandie), par contre, pour d’autres, il existe une déconnexion certaine par rapport au mode de fonctionnement de ces territoires, le Grand Est en constituant une caricature. En gros, c’est une région qui semble avoir été pensée comme si tout ce qui se situait à l’est de Paris était identique !
Le plus surprenant, finalement, n’est pas l’émergence d’un mécontentement aujourd’hui que l’absence de contestation plus massive au moment de la réforme, nos concitoyens ne semblant pas bien avoir pris la mesure des conséquences de ces regroupements territoriaux, ayant, il est vrai, d’autres préoccupations plus importantes, en particulier financières.

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