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+ 3.3 points de PIB ? Pourquoi les prévisions du Trésor concernant l’impact des réformes structurelles d'Emmanuel Macron sont largement surestimées
©MARTIN BUREAU / AFP

Réelle embellie ?

Selon la direction générale du Trésor, les réformes fiscales menées par le gouvernement seraient susceptibles de "rehausser l'activité de 3.3 points de PIB à long terme, pour 440 000 emplois créés". En théorie...

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Selon un document annexé au PLF 2019, la direction du Trésor indique que les réformes fiscales prévues durant le quinquennat Macron "pourraient rehausser l'activité de 3.3 points de PIB à long terme, pour 440 000 emplois créés, avec une montée en puissance progressive et des effets attendues à +1.6 point de PIB et 260 000 emplois à l'horizon 2025". Ces prévisions sont-elles simplement crédibles ?

Alexandre Delaigue Ce type de prévisions provient de modélisations qui sont faites par le modèle Mésange qui s'appuie beaucoup sur les effets des réformes sur la demande. En l'espèce, on considère que l'environnement économique va rester inchangé au cours des prochaines années (ce qui est donc relativement favorable ) et on base l'estimation sur les effets espérés les plus favorables possibles des différentes mesures qui ont été mises en place. En imaginant que cela va fortement relancer l'investissement des entreprises, qu'il y aura un très fort effet sur le nombre d'heures travaillées, et que cela entraînera une forte réduction du chômage. Avec de telles hypothèses, on obtient ce type de résultat.
Ce n'est pas la première fois que l'on voit ce genre d'évaluations sur l'impact de différentes mesures mais en général ce n'est pas quelque chose qui se réalise. Parce qu'il y a plusieurs problèmes. D'abord c'est une promesse qu'il est très facile de faire parce qu'elle est impossible à vérifier. Il sera impossible de savoir ce qu'aurait été la croissance future en l'absence de ces mesures, il n'est donc pas très difficile de faire ce genre de prévisions. Et si quelqu'un venait à poser la question de la non réalisation de ces prévisions il est toujours possible de dire que c'est l'environnement économique a évolué.
Il y a un deuxième problème qui est plus profond, qui est l'impact des réformes sur la croissance économique, avec un effet d'affichage qui confond le niveau du PIB avec la croissance. On nous dit par exemple "ces mesures pourraient aboutir à ce que le PIB français augmente globalement de 3.3% de PIB de plus que ce qu'il aurait déjà fait". Sur cette base, on a tendance à dire que l'on va avoir une croissance d'autant, mais en réalité, ce que l'on va avoir, ce sont quelques dixièmes de points de croissance en plus dans les prochaines années. Sans discuter la valeur de ce qui est annoncé ici, on raisonne en termes de niveaux en oubliant que la vitesse à laquelle on atteint ce niveau, c’est-à-dire l'impact sur le taux de croissance, peut être relativement lent.
Il est dit ici que les réformes pourraient générer 3.3 points de PIB, mais en général, on ne rattrape cette prévision que sur un rythme de 2% par an. C'est ce que l'on constate en général. Du coup, si on veut faire des calculs plausibles sur ce que cela pourrait générer, indépendamment de l'impact que cela peut avoir sur la demande globale, l'effet est extrêmement faible. En réalité, c'est de l'ordre du centième de point. C’est-à-dire qu'au lieu d'avoir 1.70% de croissance, nous aurons peut être 1.71%. Ce sont donc des effets qui sont vraiment imperceptibles.

Qu'est ce qui pourrait empêcher la réalisation de telles prévisions ?

Les effets sur la demande qui sont anticipés reposent sur des hypothèses qui n'ont que très peu de chances de se réaliser parce qu'elles considèrent que le contexte va rester le même tout en étant optimiste. Or, les choses ne restent jamais véritablement en l'état, il y a toujours beaucoup de choses qui changent dans tous les sens. Ici, dans les choses qui pourraient avoir beaucoup d'effets, la question centrale qui se pose est celle de la stabilité de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Ou alors la perspective d'une crise économique qui surviendrait ailleurs. Dans ce cas-là, l'intégralité des paramètres que l'on a utilisés cessent d'être pertinents. On pourrait rajouter l'impact du prix du pétrole qui n'est pas pris en compte. La simple hausse du prix du baril à laquelle on assiste aujourd'hui  est un facteur qui réduit considérablement le pouvoir d'achat des ménages et qui par conséquent réduit la demande, ce qui pourrait annuler totalement le genre de prévision qui a été faite ici.  
C'est pour cela qu'il faut être très prudent avec ce genre de prévisions qui sont surtout de l'affichage politique.  

Au-delà de ce type de réformes fiscales, que peut-on attendre en termes de gains de croissance et d'emplois des différentes "réformes structurelles" ?

Les réformes structurelles sont extrêmement surévaluées en termes d'impact sur la croissance. Cela est également le cas avec les différents accords de libre échange dont on nous annonce qu'ils vont générer des milliards d'euros de gains. Ici encore, on confond les niveaux de PIB avec les taux de croissance. Mais si on imagine qu'une réforme pourrait augmenter le PIB de 1%, l'impact sur notre croissance annuelle sera en réalité pratiquement imperceptible (soit 0.02%). C'est ce que l'on sait de ce type de réformes. Ce sont des croissances dites de transition qui caractérisent une économie qui se rapproche de son potentiel maximum au regard de ses caractéristiques technologiques, de la quantité de travail dont elle dispose etc… C'est donc un mouvement qui se fait extrêmement lentement. Cela n'a donc pas d'effet véritable sur le taux de croissance et imperceptible en pratique sur la conjoncture.
Bien sûr, ce sont des choses qui peuvent avoir un impact sur le long terme, mais cela est uniquement sur le long terme. Cependant, en annonçant des effets très importants et en oubliant que l'effet immédiat est très faible, on créé un certain cynisme au sein de la population, parce que les gens constatent que l'on avait promis énormément pour obtenir peu de résultats. De manière générale, si l'on veut résumer, les réformes structurelles et leur impact sur la croissance est extrêmement surévalué. Lorsque vous entendez l'annonce d'un plan de réformes et son impact sur le PIB, la meilleure estimation que vous pouvez en faire est que cet effet sera de 0.

Comment expliquer ce surinvestissement politique sur ce type de réformes ?

On sur-investit politiquement sur ces réformes parce que cela concerne directement les gens. Les réformes de la fiscalité ont un effet distributif immédiat. Le fait de réformer le marché du travail a aussi des effets directs sur la situation au travail des gens, sur la capacité des employeurs à pouvoir ou non licencier leur personnel, et toutes ces choses ont des effets importants sur la vie de tous les jours, sur la distribution des richesses, sur les inégalités etc..  Et puisque c'est cela qui constitue l'essentiel de ce pourquoi on fait des élections, on a alors tendance à dire que cela va générer énormément de croissance, que "c'est bon pour l'économie". Ce qui est un argument largement imprécis, ce qui conduit à vouloir présenter des chiffres qui donnent l'impression que nous sommes dans une évaluation parfaitement scientifique. Mais dans la pratique, les actions de politiques économiques sont bien souvent un jeu à somme nulle. Il s'agit d'avantager certaines catégories par rapport à d'autres. Cela peut se justifier dans certaines situations mais il est discutable de prétendre que "cela est bon pour l'économie".

Ne peut-on pas considérer que ce surinvestissement se fait au détriment des enjeux macroéconomiques ? 

Effectivement les vrais enjeux pour la croissance sont à chercher au niveau macroéconomique. Ce qui va déterminer la croissance future en France, c'est globalement ce que sera la politique macroéconomique. Le problème ici c'est que nous avons décidé en France que l'on ne pouvait pas avoir de débat sur ce sujet. Il ne peut pas il y avoir de débat sur la politique monétaire puisque celle-ci est menée par la BCE et que cette dernière mène sa politique d'une manière - qui n'est pas dépourvue de qualités -  mais qui est de fait instrumentalisée pour imposer un certain nombre de politiques aux différents pays européens. On le voit ici avec l'Italie ou en fonction de la réaction de la BCE au budget de l'État italien, celui-ci pourrait se retrouver bloqué ou pas. Donc la BCE exerce quand même un pouvoir significatif. La politique monétaire n'est pas utilisée comme elle pourrait l'être dans d'autres pays pour améliorer la situation économique ou pour atteindre le plein emploi, mais elle est utilisée en vue de favoriser un ensemble de politiques liées à l'intégration économique européenne. Et cela est quelque chose sur lequel on ne veut pas débattre parce que l'on se retrouverait très vite dans des débats un peu embêtants dans lesquels on serait obligé d'admettre que l'on a perdu des éléments de souveraineté et que les arguments de ceux qui prônent parfois la sortie de l'euro ne sont pas entièrement dépourvus de pertinence. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu'il faille le faire, mais qu'un débat pourrait avoir lieu.
L'autre débat que l'on ne veut pas avoir c'est celui sur le déficit public. En ce moment, aux Etats-Unis, on nous annonce que le déficit public américain pourrait atteindre 1000 milliards de dollars l'année prochaine. Personne ne s'en inquiète parce que la FED sera toujours là pour fournir des dollars. C'est comme si l'intégralité du budget de l'État et de la sécurité sociale en France était empruntée, ou comme si la France décidait de ne prélever aucun impôt et se financerait uniquement par l'endettement. Ici encore, on peut discuter pour savoir si cela est bien ou mal, mais en Europe, nous sommes dans l'impossibilité pratique de faire ce genre de choses parce que l'on a intégré l'austérité budgétaire et la limitation des déficits dans les traités européens. Cela est aussi quelque chose dont on ne veut pas discuter.
Nous sommes donc dans une situation ou la politique macroéconomique échappe à toute possibilité d'action et le seul débat que nous pouvons avoir repose sur ces réformes structurelles qui n'ont en pratique pas d'effet global sur l'activité économique. C'est une forme de diversion parce qu'il faut bien discuter de quelque chose quand on ne discute pas de ce qui est l'essentiel. 

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