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Hollandisation expresse ? Pourquoi la chute dans les sondages d’Emmanuel Macron ne produit pas (encore) le même enlisement politique
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Paradoxe politique

Emmanuel Macron est au plus bas selon un nouveau sondage IFOP, dépassant même François Hollande à la même époque... L'actuel chef de l'état dispose en revanche d'un soutien beaucoup plus important de son électorat que sous la présidence Hollande.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Dans un sondage IFOP de 2013 concernant la popularité de l'ancien président, seuls 32% des Français soutenaient l'action de François Hollande. Soit un point de plus qu'Emmanuel Macron. En revanche, alors que François Hollande bénéficiait du soutien de 73% des électeurs du parti Socialiste Emmanuel Macron comptabilise 94% de soutien auprès de l'électorat En Marche. Comment analysez-vous cette différence de popularité entre les deux présidents ? En bénéficiant d'une majorité toujours fidèle au poste, Emmanuel Macron est-il nécessairement dans une meilleure situation que son prédécesseur ?

Christophe Boutin : Plusieurs points sont à considérer pour apprécier les ressemblances et différences entre les popularités des deux hommes. Certes, le fait que nos chefs d’État connaissent une phase critique en termes de popularité un an après leur élection pourrait les rapprocher, mais les causes semblent être ici différentes. Si l’on s’en tient à ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, cette baisse était en effet largement due à la déception de nombre de leurs électeurs, qui s’estimaient trahis : Sarkozy, après avoir été élu sur un discours identitaire, ne faisait aucune réforme dans le domaine très sensible de l’immigration, enlisait le débat sur l’identité nationale, et collectionnait des ministres « d’ouverture » ; François Hollande, quoi qu’il prétende actuellement, ne multipliait pas les réformes « de gauche ». C’est ainsi que Sarkozy avait perdu au bout d’un an les anciens électeurs du RPR, partis un temps au Front, mais qu’il avait séduit en 2007, et que François Hollande, candidat surprise rappelons-le, décevait finalement non seulement les anti-sarkozystes d’extrême gauche qu’il avait ralliés au second tour, mais aussi certains des principaux courants qu’il avait fédérés, et, vous le signalez, perdait des soutiens jusque dans son parti. Et encore Hollande avait-il bénéficié de l’intervention de la France au Mali, l’opération Serval, ce qui lui valait d’apparaître comme un bon défenseur des intérêts de la France à l’étranger…
Avec Emmanuel Macron, les choses sont différentes. Si baisse de popularité il y a – avec dix points de moins entre juillet et août – c’est peut-être suite à la déception de ceux qui constatent, impôts après prélèvements, que le pouvoir d’achat des classes moyennes n’est pas la priorité du Président. Mais les électeurs d’En Marche conservent aussi l’impression de participer à une initiative résolument nouvelle et d’avoir permis de briser les tabous et les codes de la vieille politique, ce qui les fédère. De plus, quand bien même auraient-ils des doutes sur la personnalité de leur leader qu’ils n’auraient pas de possibilité de substitution. Les électeurs déçus de Sarkozy, à la droite de LR, n’avaient qu’un petit pas à faire pour retourner au Front National ; et les déçus de Hollande pouvaient se consoler, les uns chez Bayrou, les autres chez Mélenchon. Mais les électeurs déçus de Macron n’ont personne. Il n’y a en effet pas de centriste européiste et mondialiste, pas de jeune progressiste pour se substituer au maître des horloges : le centre de l’échiquier politique, c’est Macron, et Macron seulement. À gauche, Mélenchon est trop souverainiste pour les déçus du macronisme, à droite Wauquiez trop identitaire… et les politiques situés entre les deux sont inexistants. 
Cette baisse est sans doute plus due à une suite de bourdes médiatiques qu’à des fautes politiques – même si, de nos jours, politique et médiatique peuvent difficilement être distingués. De l’affaire Benalla à la piscine de Brégançon, en passant par les sorties sur les Gaulois, l’impression donnée est celle d’un enfant gâté passablement déconnecté de ce que les vieux politiques nommaient les réalités du terrain. Encore faudrait-il se poser la question de savoir pourquoi tout cela a été repris en boucle dans des médias jusqu’alors d’une révérence absolue à l’égard du jeune prodige, mais, il est certain que les petites foucades qui semblaient un temps pour prouver l’allant et le dynamisme du Chef de l’État – ce qui changeait certes les Français du visage consterné d’un Hollande immobile sous une pluie battante -, passent maintenant pour le mépris et la suffisance du nanti. Et dans une république comme la nôtre, où, depuis 1789, l’égalitarisme a trop souvent été le seul visage de l’égalité, cela suffit sans doute à expliquer une telle baisse… 
Jean PETAUX : Pour faire simple on pourrait dire que cette différence de 21 points entre les deux chiffres que vous présentez (73% de soutien chez ses électeurs pour Hollande en 2013 et 94% de soutien pour Macron en 2018) font toute la différence entre les deux présidents à cinq de distance. Bien évidemment Emmanuel Macron fort d’un tel niveau de soutien dans son propre électorat dispose ainsi d’un socle solide propice à toute reconquête. En politique il est tout à fait commun d’agréger, quand on est au pouvoir et en charge des responsabilités, toutes les oppositions contre soit, même les plus antagonistes et concurrentiels entre elles. C’est non seulement la règle c’est aussi une forme de nécessité parce que dans le cas contraire on peut être carrément victime d’un « mirage » et confondre neutralité par exemple avec adhésion. En revanche ce qui est très dangereux, voire mortel, c’est la perte de soutien dans son propre camp. Le poison de la trahison est bien plus radical que celui de l’offensive frontal d’une opposition identifiée voire, avec un peu de subtilité politique, « cantonnée » et contenue.  La démobilisation prélude à la franche désapprobation, sont autant de configurations complexes qui fonctionnent comme autant de pièges parfois inextricables car s’en prendre à une partie de son propre camp pourtant potentiellement coupable d’abandon en rase campagne voire de trahison en bonne et due forme c’est risquer de s’aliéner ceux qui n’ont pas encore trahi et qui ne supporteront pas de voir ainsi certains de leurs amis (dont ils ne partageaient pourtant pas les critiques) maltraités et sanctionnés. Comme par un effet mécanique (ou magnétique) ceux-là, (les « tièdes » ou les « attentistes ») rejoindront les frondeurs autant par compassion que par adhésion. C’est ainsi que le politique qui veut combattre les sécessions dans son propre camp en suscite de nouvelles en croyant réduire le noyau qui le critiquait. C’est ainsi que les conjurations se forment. La situation d’Emmanuel Macron est plutôt comparable à celle d’un Sarkozy à mi-parcours de son quinquennat qui avait su conserver malgré toutes les critiques qui s’accumulaient sur lui un noyau dur et fort de soutiens au sein de l’UMP de l’époque qui lui a permis de se représenter d’une part et de venir faire presque jeu égal avec François Hollande au soir du 2nd tour au terme d’une spectaculaire et remarquable « remontada » entre les  deux tours de la présidentielle de 2012. A l’inverse François Hollande s’est retrouvé tellement lâché par les siens qu’il n’a même pas été en mesure de s’aligner sur la ligne de départ de son éventuelle réélection. Il dit partout aujourd’hui, au rythme de son « Dédicaces’ Tour » qu’il n’a pas été battu… C’est à la fois de l’humour hollandais et d’une mauvaise foi radicale : il n’a pas été battu parce qu’il a été dans l’impossibilité de se présenter.. C’est un peu comme ce boxeur qui ne parvient pas à sortir de son vestiaire (enfermé par ses « amis ») pour engager le combat où il remet son titre en jeu et qui est battu par forfait… Ce n’est pas glorieux, même si cela lui permet de sauver son arcade sourcilière et ses cloisons nasales…

De la tentative de conciliation à la recherche du clivage, l'approche politique des deux hommes diffère également. Si François Hollande tentait de composer avec une majorité disparate, Emmanuel Macron n'a jamais refusé de cliver. Qu'est ce ces différences d'approche peuvent révéler de la capacité d'Emmanuel Macron de conserver une base plus solide que celle de François Hollande ? 

Christophe Boutin : Il ne faut pas sous-estimer la différence de psychologie entre les deux hommes : on imagine mal Emmanuel Macron capable de diriger pendant des années un PS en composant entre les hommes et les courants. François Hollande est conciliateur par nature – ce qui ne l’empêche nullement de faire ce qu’il veut ensuite – quand Emmanuel Macron aime trancher, quitte à brusquer.
Mais il y a bien d’autres causes à ces différences. C’est ainsi, par exemple, que la majorité de François Hollande existait par elle-même, quand celle d’Emmanuel Macron n’existe que grâce à lui. C’est parce qu’ils étaient associés au nouveau président que les députés LaREM ont été élus, quand les élus PS ne devaient souvent rien, ou fort peu, à Hollande – si ce n’est que, l’élection présidentielle ayant un effet d’entraînement aux législatives qui la suivent, son élection avait globalement favorisé la leur. Ils étaient souvent déjà des élus locaux, des suppléants de parlementaires, des cadres du parti, ce que n’étaient par définition que les transfuges passés à LaREM et quelques vagues « sans étiquette ». Ce premier élément explique que Macron puisse être plus facilement clivant, sans risque de voir survenir une fronde ou des scissions chez des gens qui lui doivent leur élection… et attendent de lui leur réélection.
Second élément, la place d’Emmanuel Macron sur l’échiquier politique, au centre et cherchant à élargir ce dernier, le conduit à être plus facilement clivant : il doit agréger au moins autant en marginalisant aux extrêmes qu’en convaincant sur sa politique. Pour le dire autrement, on reste macroniste pour n’être ni mélenchoniste ni wauquièiste, parce que, grâce à ces clivages, Macron repousse l’un et l’autre, et pas seulement parce que l’on reste séduit par le projet macronien. 
Jean PETAUX : L’exemple de Nicolas Sarkozy est tout à fait pertinent pour comprendre l’importance du clivage dans le débat politique et surtout, en quelque sorte, sa plus-value. Difficile de trouver une personnalité politique (avant Emmanuel Macron) autre que Nicolas Sarkozy qui n’a eu de cesse de rechercher des points de fracture au sein de l’opinion publique, considérant que dresser une partie des Français contre les autres était une manière de créer de la dynamique et de toujours garder, ainsi, le contrôle et l’initiative de l’agenda politique. Cela ne lui a pas  porté préjudice. En dépit du nombre considérable d’affaires qui lui ont été reprochées, d’au moins trois promesses de mises en examen quand il allait quitter l’Elysée (il s’en bien rajouté trois ou quatre depuis 2012…) Sarkozy a gardé une très forte cote chez ses électeurs dont le noyau dur de fidèles a été sans cesse renforcé et remobilisé par les polémiques et les clivages produits par le même Sarkozy dont la science pour se faire passer pour Saint-Sébastien, transpercé par les flèches injustes de ses détracteurs (et surtout des juges…) était infinie… En revanche une posture consensuelle, « normale » en quelque sorte, dans laquelle l’acteur prend des coups mais ne les rend pas par exemple est rapidement porteuse de désintérêt et de détournement… « Pourquoi se battrait-on pour ce type qui a l’air de s’en foutre lui-même alors qu’il est trainé dans la boue ? ». Cela a été le principal souci de François Hollande pendant son quinquennat. On peut aussi illustrer cela par ce qui est arrivé à VGE à la fin de son septennat. Valéry Giscard d’Estaing, dont la gestion de l’affaire dite des « Diamants de Bokassa » à l’automne 1979 devrait être enseignée comme le contre-modèle absolu et l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire en matière de communication politique dans la réponse aux attaques, a ainsi perdu beaucoup de soutiens qui ont considéré que sa riposte le 27 novembre 1979 : « j'oppose un démenti catégorique et, j'ajoute, méprisant », de sa voix chuintante, était vraiment peu crédible et pouvait même passer pour un « souverain aveu »..  

Comment analyser le remaniement ministériel intervenu ce 4 septembre à l'aune de ce sondage ? En choisissant François de Rugy, et sans "surprise" ou "prise de guerre", Emmanuel Macron n'est-il pas confronté à un coup d'arrêt dans sa tentative d'expansion territoriale sur le spectre politique ? 

Christophe Boutin : Emmanuel Macron a tenté un coup médiatique pur – la nomination de Daniel Cohn-Bendit - pour se raviser ensuite. Placer « Dany le rouge » - devenu « Dany le vert » - au gouvernement était en effet une tentative pour se concilier la gauche de la gauche, mais l’icône a bien vieillie et ses préoccupations semblent dater un peu. Un européiste favorable à une immigration massive est-il un bon produit d’appel quand les électeurs de Mélenchon ne jurent que par le souverainisme et pensent qu’il vaudrait mieux aider les migrants chez eux que les faire venir chez nous ? Emmanuel Macron a compris qu’il ne gagnerait rien à faire plaisir aux quelques éditorialistes qui rêvent sans fin de rejouer mai 68. De plus, surmédiatisé, intouchable, incontrôlable, Dany risquait fort, ou d’attirer à lui une lumière qui ne saurait se porter que sur l’hôte de l’Élysée, ou de devenir rapidement le trublion qu’il aime par trop à incarner.
Revenu d’une hypothèse qui avait surtout pour but de faire parler, Macron s’est tourné vers un fidèle pour contrôler un domaine où il sent bien que les éléments de contestation à sa politique sont légions, tant le poids des lobbies paraît jouer un rôle important dans les choix – ou les non-choix – qui sont faits. C’est d’ailleurs courageux de la part de l’hôte de l’hôtel de Lassay, résidence qui a son charme – et il sera d’ailleurs très intéressant de voir qui en goûtera les douceurs républicaines -, que d’en quitter les ors pour aller ferrailler sur le terrain ministériel.
Il n’y a donc pas « expansion », pas de « prise de guerre », mais une consolidation des positions. Et alors que s’annonce l’année cruciale des élections européennes, et qu’il faudra savoir rester ferme sur ses appuis, c’est sans doute judicieux.
Jean PETAUX : Plus il se trouvera en difficulté et plus Emmanuel Macron aura tendance à ne pas rechercher une vague position de repli consensuelle et minimaliste. Toute sa (courte) carrière politique est fondée sur la rupture, il aura donc tendance à essayer de trouver des positions fortes sur lesquelles il pourra s’appuyer pour lancer des opérations de reconquête de l’opinion. D’une certaine manière le choix de François de Rugy pour succéder à Nicolas Hulot correspond à cette configuration. De Rugy, très mal perçu par les différentes tendances de la galaxie écologique, assez globalement considéré comme un traitre (voir la réaction par exemple de Marlyse Lebranchu – PS – contre sa nomination, y voyant une reconnaissance de la traitrise…) est une personnalité, de fait, très clivante pour le (petit) monde de l’écologie. En le nommant numéro 2 du gouvernement, Emmanuel Macron choisit en quelque sorte un « anti-Hulot » à ce poste (cela aurait été  tout différent avec un Pascal Canfin par exemple). Le Président de la République montre une nouvelle fois que l’affrontement ne lui fait pas peur et, qu’au contraire, il l’envisage comme une ressource en soit. A la manière d’un joueur de judo, Macron compte sur la force de ses opposants pour générer sa propre force… C’est risqué, c’est un contre-modèle par rapport à Hollande, mais c’est bien plus proche d’une manière de faire de la politique d’un François Mitterrand par exemple, maitre expert dans l’art du contre-pied et de la contre-attaque.
Il ne faut donc pas voir le choix de François de Rugy comme le signe de l’abandon de la stratégie macronienne de continuer à détruire « l’ancien monde » en faisant de la politique à l’ancienne... Bien au contraire. Nommer de Rugy boulevard Saint-Germain c’est clairement indiquer que le « pragmatisme écologique » remplace « l’idéalisme écolo ». Cela accentue davantage encore le contentieux avec la sensibilité la plus à gauche de l’écologie qui observait à l’égard de Nicolas Hulot une forme de « paix armée » et retenait manifestement ses critiques et ses coups à l’égard de l’ancienne star de la télé. Mais Emmanuel Macron n’en a cure de cette frange gauchisante écologiste. Ce n’est pas cette fraction-là qui l’intéresse, c’est la partie de l’électorat de droite qui refuse le dogmatisme écolo et salue l’arrivée au ministère de la Transition écologique du député nantais comme elle a salué la démission de Hulot. C’est, par exemple, la Fédération française des chasseurs… Ces mêmes-chasseurs n’oublieront pas qu’ils ont eu, en quelque sorte, le scalp de l’écologiste préféré des Français et qu’Emmanuel Macron leur a fourni les cartouches de chevrotine pour le descendre… Ou, en tout état de cause, qu’il les a laissé tirer.  En matière d’expansion du spectre, sinon politique, du moins purement électoral, on conviendra que pour Macron ce n’est pas si mal joué que cela… En clair, pendant le remaniement la chasse aux électeurs continue…

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