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L’agriculture au cœur de la démission de Nicolas Hulot
©ALAIN JOCARD / AFP

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Nicolas Hulot a annoncé ce mardi 28 août sur France Inter qu'il quittait le gouvernement. Les explications qu'il a données sont directement liées à sa vision de l'agriculture. Décryptage.

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Il est facile de constater que les trois arguments donnés sont directement liés à l'agriculture : il évoque 1. la réduction de l'utilisation des pesticides, 2. la lutte contre la perte de la biodiversité, et 3. l'arrêt de l'artificialisation des sols. Autant de domaines dans lesquels, selon lui, l'action gouvernementale n'a pas avancé d'un iota.

Son intervention précise encore qu'il ne veut pas, par sa seule présence, laisser croire que ces dossiers avancent dans le bon sens (dans le sens que lui estime être le bon).

Focus sur l'environnement et l'agriculture

Prenons un par un les arguments donnés par Nicolas Hulot.

La réduction des pesticides en agriculture. Un produit a fait particulièrement débat, le glyphosate. Controversé, ce produit proposé par Monsanto a fait des victimes, on le sait, en Amérique du Sud où les agriculteurs l'utilisaient sans protections. Plus récemment un jardinier américain a gagné un procès retentissant. Pour autant, en Europe et plus particulièrement en France, le glyphosate est, "globalement", apprécié. Les agriculteurs estiment même que son utilisation les aide non seulement en termes de rendements, mais aussi pour faire vivre la terre avec toutes ses matières organiques, ravies de profiter des décompositions (accélérées par le glyphosate) des cultures intermédiaires. Cette opinion est la plus répandue parmi les agriculteurs en France, même s'il existe aussi, bien sûr, des détracteurs, et même des victimes : des procès sont toujours en cours, des condamnations de Monsanto ont même été obtenues. Dans un premier temps, Nicolas Hulot a reçu le soutien direct d'Emmanuel Macron, qui a déclaré vouloir arrêter le glyphosate en France dans les 3 ans. Problème : l'Europe venait d'affirmer qu'elle le ferait, mais en 5 ans. Cette distorsion de concurrence interne à l'Europe annoncée est directement à l'origine de la polémique qui ne cesse depuis, polémique telle que ceux qui ne veulent pas abandonner le glyphosate espèrent poursuivre son utilisation bien au-delà des 3 ans, et même des 5 ans. Aujourd'hui, le moins que l'on puisse écrire est que la situation manque singulièrement de clarté sur le sujet, et que tous les rebondissements semblent toujours possibles.

Deuxième argument avancé par Nicolas Hulot, la lutte contre la perte de la biodiversité. Là encore, l'agriculture est concernée au premier chef. Le 4 juillet 2018, il y a moins de deux mois, Nicolas Hulot présentait son plan en faveur de la biodiversité. Une partie concerne les océans, une autre la pollution par les plastiques, etc. Je passe rapidement sur le "non agricole", même si bien sûr ça a son importance dans la décision de l'ancien ministre. Dans la partie agricole, on retrouve la réduction des pesticides (décidément), le développement du bio (notamment en surfaces), l'intégration de critères environnementaux dans les différents labels, la protection des pollinisateurs, l'incitation à augmenter les surfaces en prairies permanentes. Outre ce plan biodiversité, on peut aussi mettre dans cette case la volonté d'accroitre le nombre d'ours dans les Pyrénées. Or l'arrivée annoncée d'ourses pleines dans le Béarn rencontre pour le moins une opposition d'un art de vivre pourtant fondé sur l'harmonie avec la nature, le pastoralisme.

Troisième argument, l'artificialisation des terres. Celles-ci représentent tant les espaces naturels que les terres agricoles. Dans son document expliquant le plan biodiversité, le ministère de la Transition écologique et solidaire chiffre à 65 000 hectares par an les terres ainsi artificialisées. Et effectivement, à ce jour, cette artificialisation se poursuit, inexorablement, malgré des efforts évidents : en tant que conseiller municipal dans une petite commune rurale, je sais qu'il existe une recherche y compris à ce niveau pour construire les nouveaux habitats dans ce que l'on appelle les "dents creuses", c'est-à-dire les espaces libres à l'intérieur des bourgs.

Les contradictions de Nicolas Hulot

Ce que l'on a du mal à comprendre dans la décision de Nicolas Hulot, c'est qu'elle intervient alors que son plan biodiversité vient à peine d'être officiellement lancé, et qu'il ne peut donc obtenir des résultats en 6 semaines de vie en plein été... Concernant le combat qu'il mène contre l'utilisation des pesticides, pense-t-il être plus efficace en la matière en dehors du gouvernement ? Concernant l'ours et les Pyrénées, il semble que Nicolas Hulot avait prévu une visite dans le Béarn demain, ce mercredi 29 août, pour donner de vive voix son point de vue sur la question aux populations locales... En d'autres termes, il quitte le navire alors que beaucoup de dossiers sont en cours, et cela parait étrange.

Une rumeur fait également état que la rencontre entre des représentants syndicaux agricoles (Christiane Lambert, présidente de la Fnsea, notamment) et Emmanuel Macron serait à l'origine de ce départ précipité. Question (si cette rumeur devait être vérifiée, ce n'est pas le cas pour l'instant) : mais qu'a donc bien pu dire le Président de la République à la présidente de la Fnsea qui soit à ce point en décalage avec les opinions de Nicolas Hulot ?

Pourquoi les agriculteurs français accueillent-ils, dans leur majorité, favorablement le départ de Nicolas Hulot

Contrairement à des idées reçues, non les agriculteurs ne sont pas "anti environnementaux". En revanche, ils ont besoin de règles claires, établies dans la durée, qui soient cohérentes avec leurs impératifs, notamment économiques. Et c'est là que le bât blesse avec l'actuel gouvernement.

Prenons un exemple. Quand le diméthoate est interdit en France sans réelle solution de remplacement ce qui autorise le moustique Suzukii, à ravager des vergers entiers de cerisiers, cela passe mal... Mais devient carrément insensé quand parallèlement la France décide d'importer des cerises de Turquie, utilisatrice du produit controversé : ce n'est donc pas par protection du consommateur que l'on a interdit le diméthoate, et en plus de poser un problème de production en France, on institue une concurrence déloyale au regard des règles suivies dans l'un et l'autre pays. Et cet exemple marquant de la cerise est loin d'être le seul.

Plus célèbre encore, le glyphosate. L'Europe s'apprête à le retirer en 5 ans, la France force le pas en décidant 3 ans... Mais pourquoi ne pas imposer à l'Europe, dont nous faisons partie et où nous avons un pouvoir décisionnel, d'arrêter en 3 ans s'il existe une telle urgence ?

En d'autres termes, nombre de mesures dites environnementales sont prises en dépit du respect économique des exploitations agricoles françaises. Il est clair qu'il manque un dialogue construit entre tous les acteurs d'une part, et une politique cohérente entre les enjeux environnementaux la non mise en danger des entreprises agricoles d'autre part.

A tort ou à raison, peut-être en raison de sa célébrité, Nicolas Hulot a focalisé sur son nom l'ensemble de ces problèmes liés à l'environnement... Alors que visiblement certaines des prises n'étaient pas de son fait.

Quels sont les autres dossiers de l'agriculture qui n'ont pas avancé depuis l'arrivée du gouvernement Macron-Philippe ?

Nicolas Hulot estime donc que l'agriculture n'a pas fait un pas en direction d'une nouvelle dimension environnementale qu'il aurait donc souhaitée. Mais à y regarder de plus près, dans quels domaines l'agriculture française a-t-elle avancé depuis mai 2017 ? Les états généraux de l'alimentation n'ont eu pour effet visible que de retarder la prise de décision. Aujourd'hui, pas plus qu'hier, le problème des marges entre le producteur et le consommateur n'est réglé, alors qu'il était, au départ, au centre des préoccupations des états généraux de l'agriculture.

Par ailleurs, le besoin d'une vision à terme pour les chefs d'entreprise que sont les agriculteurs n'a pas non plus réellement évolué. L'agriculture européenne dans son ensemble reste soumise au risque de devenir une monnaie d'échange dans les accords de libre-échange avec l'une ou l'autre partie du monde, comme on l'a constaté à plusieurs reprises, et cela avec le consentement de l'Etat français.

L'incompréhension dans les campagnes par rapport aux évolutions de l'agriculture continue de pousser à toutes les extrémités : au mieux, des paysans deviennent des RJ, comprenez qu'ils sont en redressement judiciaire, au pire, ils sont pris par toutes les formes de dépression ou autres burn-out et vont jusqu'au suicide : rien ne change à ce niveau là.

Il manque indéniablement l'ambition d'une véritable politique de l'alimentation avec l'agriculture comme activité principale, ou encore d'une véritable politique de l'énergie et de l'environnement où l'agriculture aurait droit de citer parmi les principaux acteurs.

Et puis, puisqu'il est ici principalement question de l'environnement, qu'est devenu ce concept prometteur de croissance verte, visant à rémunérer les efforts environnementaux ? Quand l'écologie est une charge, elle n'a aucune chance d'aboutir...

Article publié initialement sur WikiAgri 

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