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Nicolas Hulot ou le révélateur des étranges talents de prestidigitateur d’Emmanuel Macron
©Thibault Camus / POOL / AFP

La séduction ne fait pas tout

La démission de Nicolas Hulot représente une sérieuse difficulté pour le président ainsi que pour la communication et l'action du gouvernement en matière d'environnement. Le ministre, plongé dans une situation impossible, est resté fidèle à ses principes et à ses engagements.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Comment la démission de Nicolas Hulot peut-elle illustrer, au moins en partie, les faiblesses d'un macronisme qui semble s'être beaucoup reposé sur l'attrait personnel que pouvait représenter le chef de l'Etat auprès de personnalités politiques, plutôt que sur de "solides" engagements politiques ? De Robert Hue à Edouard Philippe, en passant par François Bayrou et Nicolas Hulot, l'absence apparente de cohérence idéologique peut-elle illustrer cette situation relevant plus du rapport de séduction ? 

Vincent Tournier :Il est inexact de dire que le macronisme se réduit à une affaire de séduction personnelle. Si tel était le cas, il serait assez facile au président de garder son ministre. La victoire électorale de 2017 a des causes plus profondes qu’une simple question d’attrait personnel. Elle s’explique d’abord par la capacité d’Emmanuel Macron à agréger, autour notamment de la question européenne, les électorats de centre-gauche et de centre-droit. Fort de cette base électorale, le macronisme dispose d’une certaine cohérence idéologique, et c’est justement cette cohérence qui constitue la cause principale du départ de Nicolas Hulot. Le problème est en effet que le socle programmatique de l’actuelle majorité, sans être indifférent aux enjeux environnementaux, laisse peu de place à l’écologie. La priorité du gouvernement est de soutenir la croissance, de flexibiliser le marché du travail, d’alléger le modèle social. Il vise aussi à éviter l’éclatement de l’Europe, ce qui implique de renforcer le marché commun, de faciliter la circulation des biens et des services, d’accroître les échanges intérieurs aussi bien que le commerce international, donc de faciliter le jeu des acteurs économiques, autant d’objectifs qui s’accordent mal avec les exigences de l’écologie. 

Cela dit, il ne s’agit pas de jeter la pierre à l’actuelle majorité. Le problème se poserait sans doute dans les mêmes termes pour d’autres gouvernements : est-il possible aujourd’hui de faire de l’écologie l’axe principal de l’action politique ? Les militants écologistes en sont persuadés, mais cela n’a rien d’évident. On le voit au fait que, malgré toute la sympathie qu’éprouvent les Français pour la cause environnementale, rares sont les électeurs qui votent pour des candidats ou des partis écologistes. Ce n’est pas un hasard. Nos sociétés modernes, basées sur la production et la consommation, ne sont pas disposées à accepter les sacrifices et les mutations qu’implique le projet écologique. Qui est prêt à renoncer à sa voiture, au chauffage, aux vacances, aux courses au supermarché ? Il est facile d’incriminer les lobbies, mais les lobbies n’ont du pouvoir que parce qu’ils sont soutenus par des consommateurs et des usagers qui trouvent leur compte dans le monde actuel.  

Comment comparer cette stratégie de "séduction" avec celle de ses prédécesseurs comme Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy  ? D'un rapport de séduction "caméléon" d'Emmanuel Macron à une stratégie relevant plus du rapport de force pour Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy ? 

La composition d’un gouvernement a toujours été une question très politique. Le choix des ministres relève d’un délicat exercice d’équilibrisme entre les diverses factions qui composent la majorité. C’est aussi, évidemment, un exercice de communication politique. Par exemple, lorsque le général de Gaulle a nommé André Malraux au poste de ministre des affaires culturelles, il visait à s’attirer les bonnes grâces des artistes tout en coupant l’herbe sous les pieds des communistes. 
En recrutant des personnalités populaires, des consciences morales, tous les présidents poursuivent les mêmes objectifs. Dans le cas de Nicolas Hulot, le problème est que celui-ci est prisonnier de sa propre image car il a fondé sa légitimité sur un critère : l’intégrité de son engagement, la fidélité à ses principes. Sans doute est-il sincère dans ses convictions, mais en fixant la barre très haut, il s’est lui-même placé dans une situation impossible. S’est-il surestimé ? A-t-il mal analysé la situation politique et surestimé ses potentielles marges de manœuvre ? A-t-il été trop naïf ou bien a-t-il au contraire des ambitions pour la suite, cherchant justement à conforter son image d’homme à principe ? 
Quoiqu’il en soit, il ne fallait pas être bien futé pour comprendre que la posture du justicier pur et dur ne pouvait pas durer très longtemps. Au fil des mois, le décalage n’a cessé de devenir plus flagrant entre son image et son action. Depuis le début, Nicolas Hulot donne l’impression d’être spectateur. A aucun moment, on ne l’a vu occuper le terrain, prononcer un discours marquant, prendre des positions claires et fortes, imposer ses arbitrages, voire donner des leçons à d’autres membres du gouvernement. Il a même reçu une immense claque récemment lorsqu’un tribunal américain a infligé une forte sanction financière à l’entreprise Monsanto au sujet du Roundup, montrant qu’un modeste tribunal du fin-fond du pays de l’ultra-libéralisme était bien plus efficace que lui pour s’attaquer au problème du glyphosate. 
Au fond, c’est tout le problème d’une personnalité qui a certes des qualités, mais qui n’a à sa disposition que son modeste capital médiatique : peut-on vraiment compter en politique sans avoir un véritable capital politique, sans avoir fait ses preuves dans la compétition électorale, sans disposer d’un parti ou d’un fiel ? Contrairement à ce que beaucoup d’électeurs pensent, il n’est pas facile de devenir un responsable politique de premier plan ; c’est un travail de longue haleine qui suppose des qualités spécifiques et qui n’est pas à la portée de tout le monde. 

En quoi cette personnalité de "caméléon" est-elle aujourdhui un handicap, et une fragilité pour Emmanuel Macron ? 

Nicolas Hulot a été une belle prise de guerre pour Emmanuel Macron, et son départ à quelques jours de la rentrée constitue une sérieuse difficulté pour le président, à un moment où la popularité de ce dernier connaît un nouveau décrochage. 
Cette démission a peut-être des causes que personne ne connaît, mais dans l’immédiat, elle a des effets désastreux parce qu’elle incite à penser que le président de la République ne respecte pas ses engagements, qu’il abuse des gens honnêtes, qu’il est manipulateur et insincère. La présence de Nicolas Hulot au gouvernement avait pour principale fonction d’interdire ce genre de critiques. Avec son départ, c’est donc tout un pan de la communication gouvernementale qui s’effondre. Tout est à refaire, en sachant que les prochaines échéances électorales se rapprochent à grands pas. 
On peut cependant penser qu’un plan de secours est dans les cartons car l’hypothèse d’une démission de Nicolas Hulot était dans l’air depuis longtemps, probablement dès son entrée au gouvernement. Les conseillers du président ont donc eu le temps de s’y préparer, même si son annonce a visiblement surpris tout le monde. Quelle va être la réaction ? S’agira-t-il de la nomination d’une autre grande figure morale issue de la société civile (mais en dehors de Jean-Jacques Goldman ou de Yannick Noah, on ne voit pas bien qui a l’envergure pour succéder avantageusement à Nicolas Hulot) ? S’agira-t-il de la formation d’un nouveau gouvernement ? De la nomination d’un autre premier ministre ? Le gouvernement va-t-il annoncer le lancement d’un programme de réformes original et ambitieux ? 

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