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Élections italiennes : au-delà de la crise des migrants, l'impressionnant décrochage économique du pays comparativement à ses pairs européens
©Reuters

Chute libre

Preuve de ce décrochage, les Italiens ne se sont pas enrichis en moyenne sur les deux dernières décennies d’union monétaire européenne.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Suite au bouleversement politique italien qui a vu l'effondrement des partis de gouvernement, Parti démocrate et Forza Italia, au profit de la Ligue et du mouvement M5S, de nombreuses analyses ont pu pointer la problématique migratoire comme en étant la cause principale. Cependant, en comparant l'Italie avec d'autres pays européens comme la France, l'Allemagne, le Royaume Uni ou l'Espagne, comment peut-on qualifier le développement économique italien depuis 1999 et la mise en place de l'euro ? 

Rémi Bourgeot : En remontant même au début des années 1990 et jusqu’à la crise financière mondiale l’Italie connait une croissance comparable à celle de l’Allemagne, c’est-à-dire relativement modérée, de l’ordre de 1,5% par an en moyenne mais assez continue. La France connait alors une dynamique de croissance significativement plus forte sur la période, mais globalement on observe une évolution à peu près comparable des trois principaux pays. L’Espagne est pour sa part sur cette même période toujours dans une dynamique de rattrapage économique. De 1999 à 2007, le PIB espagnol croît en termes réels d’environ 35%, soit environ 3,8% par an. Evidemment, sur la base du rattrapage important des années 80-90, c’est la bulle immobilière qui prend le relais en Espagne dans les années 2000, à l’image de ce qu’on voit aux Etats-Unis ou en Irlande : envolée des prix, des constructions de nouveaux logements et titrisation massive des prêts immobiliers. L’Italie ne connait pas cette évolution, ni en ce qui concerne la dynamique de rattrapage espagnol ni le type de bulle immobilière phénoménale que l’Espagne a connu.

Dans les années 1990, la compétitivité italienne avait été positivement influencée, à l’instar du Royaume-Uni, par la dépréciation de la lire après l’explosion du système monétaire européen (SME). On se souvient de la sortie sous la pression insoutenable des marchés de change du Royaume-Uni mais aussi des pays scandinaves qui ne voudront dès lors jamais rejoindre la zone euro. Si la France a, coûte que coûte, continué à appliquer une politique de franc fort dans les années 1990 dans la perspective de la consécration transcendantale que devait constituer la création de la monnaie unique, l’Italie a connu une forte dépréciation qui a amélioré la compétitivité de ses entreprises. A l’époque d’ailleurs, les entreprises allemandes se plaignaient des importations à bas coût venues d’Italie et de l’excédent bilatéral italien qui ne faisait que croître. Dans le même temps, la dette a connu son ascension initiée dans les années 1980 par la politique de taux d’intérêt très élevés (notamment en termes réels) qui visait à stabiliser le taux de change de la lire par rapport au mark dans le cadre du serpent puis du SME. L’Italie a par ailleurs fait un effort de réformes structurelles très conséquent dans la première moitié de la décennie 90, mais les efforts d’économie ont eu tendance à être engloutis par l’impact des taux sur la dynamique de la dette. On peut dire que, si le niveau de croissance reste à peu près stable après l’introduction de l’euro, les conditions sous-jacentes changent assez radicalement avec une dégradation continue et importante de la compétitivité en particulier par rapport à l’Allemagne qui jouit d’une inflation plus basse (ce qui équivaut à une dépréciation réelle) et qui s’engage dans la voie de la compression des coûts salariaux voulue par le chancelier social-démocrate Schröder.

En faisant un point d'étape sur l'année 2008, comment l'Italie s'est-elle comportée par rapport à ses partenaires européens ? Quelles sont les caractéristiques de l'Italie post-crise de la zone euro ? 

La crise mondiale et la crise de l’euro marquent un véritable décrochage de l’économie italienne, de façon tout à fait impressionnante. Le pays en est ainsi que très récemment revenu à son niveau de PIB par habitant de 1999 ! Les Italiens ne se sont pas enrichis en moyenne sur les deux dernières décennies d’union monétaire européenne. De 2007 à 2014, le PIB par habitant chute d’environ 13%. C’est à peu près du même ordre de la chute que connait l’Espagne, à ceci près que ce dernier pays connait par la suite un rebond important. Le rebond espagnol repose notamment sur la croissance des exportations liées à la compression des coûts salariaux permis par un chômage abominablement élevé, alors supérieur à 20%. L’Italie, qui n’a pas connu la même déflagration financière que l’Espagne, ne s’engage pas sur la même voie et connait cependant un glissement continu qui n’aboutit qu’à un rebond limité lors de la reprise européenne et mondiale. Le PIB par habitant est en Italie aujourd’hui un peu moins de 10% moins élevé qu’en 2008. Par ailleurs, le pays connait à partir de la crise de l’euro une crise bancaire latente, avec l’envolée des prêts non performants sous le coup de la détérioration de la conjoncture et de la solvabilité des emprunteurs. Cette crise, qui a été l’objet d’un long déni, n’a jamais été véritablement réglée, qui plus est dans le cadre impraticable des règles de l’union bancaire, bien que le rebond conjoncturel actuel apaise la situation.

Derrière ces statistiques générales, on voit naturellement une grave détérioration des conditions d’emploi, après presque dix ans de compression de la demande, de perte de compétitivité par rapport aux pays comme l’Espagne (qui ont joué la carte de la compression de façon plus poussée) et de contraction du crédit aux entreprises. Pour une partie importante de la population italienne et en particulier des jeunes, les conditions économiques ne sont plus celles d’un pays développé ; situation qui se retrouve de façon quelque peu moins marquée mais tout aussi préoccupante en France. L’emploi, à savoir travailler quelques semaines pour un employeur entre deux périodes d’exclusion, ne correspond plus à ce que désignait ce mot il y a encore une décennie. Le discours sur le caractère prétendument impressionnant de la reprise européenne fait l’impasse sur ce changement structurel qui touche une génération sacrifiée sur l’autel de la réponse décalée (dans les deux sens du terme) que l’Europe a apportée à la crise financière mondiale et à la crise de l’euro.

Quelles sont désormais les forces et faiblesses du pays ? Comment imaginer un véritable retour de prospérité dans le pays ? 

L’Italie continue à jouir d’un niveau éducatif élevé et les jeunes Italiens n’ont pas grande difficulté à trouver un bon emploi lorsqu’ils émigrent vers ces pays qui n’ont pas encore culturellement sombré dans le nihilisme en termes de rapport à l’emploi, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Par ailleurs, le nord du pays en particulier abrite un réseau d’entreprises notamment moyennes et familiales performantes, capables d’innovation sur le plan technologique, et de reconversion. Les entrepreneurs italiens n’ont besoin de recevoir aucune leçon de capitalisme de la part des grandes bureaucraties. Les faiblesses de l’Italie, en plus de son système bancaire labyrinthique, résident dans ce problème de compétitivité dont le pays ne sort tardivement qu’en suivant la voie du nivellement par le bas européen, en abaissant les coûts salariaux plutôt qu’à force de gains de compétitivité. On constate donc une désorganisation importante du tissu économique et industriel italien nourri par les néfastes recettes de « gestion de crise ». Pourtant le pays aurait les moyens, sur la base de son niveau éducatif et de son tissu d’entreprises efficaces, de renouer avec une véritable croissance, à base technologique notamment, à l’écart du recours obsessionnel à la compression tous azimuts.

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