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Vers une crise du dollar ?
©Reuters

Suspense

Le taux de change euro/dollar a connu une semaine financière chahutée.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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1,24 le 25 au matin, presque 1,26 le soir, retour à 1,24 en fin de semaine : le taux de change euro/dollar a connu une semaine financière chahutée, car politiquement mouvementée. Jeudi 25 janvier, pour calmer le jeu, le Président Trump dit à la CNBC qu’en fait « personne ne devrait parler du dollar » (de fait c’est un sujet de G7 ou de G20). « Il devrait être ce qu’il est » (It should be what it is), ce qui est une étrange proposition, mêlant conditionnel et indicatif présent ! Mais il ajoute, immédiatement après, que le dollar reflète l’économie. Et, comme « nous faisons si bien, notre pays redevient économiquement si fort… le dollar va devenir de plus en plus fort, et au fond je veux voir un dollar fort ». Ces remarques, dont la logique peut échapper, étaient une correction, « un remède », aux propos de Steven Mnuchin, le Secrétaire au Trésor.

Steven Mnuchin avait en effet déclaré quelques heures avant, le 24 janvier : « évidemment un dollar plus faible est bon pour nous, c'est bon car cela a à voir avec le commerce et les opportunités » (CNBC). Il revient plus tard sur ces déclarations, disant qu’elles avaient été sorties de leur contexte. Il ajoute, depuis Davos où tout ceci se passe, que le dollar « est où il est » en fonction des marchés, sachant que c’est l’actif le plus liquide de tous, qu’il avance sans intervention, et qu’ « un dollar fort à long terme est ce qu’il y a de mieux pour les Etats-Unis et une monnaie de réserve ».

N’empêche que Mario Draghi, sans nommer personne (!), le 25 janvier, indique qu’annoncer qu’un taux de change (faible) est bon « pour les exportateurs et l’économie », c’est avoir un objectif de change. Et ces propos ne correspondent pas à la charte du FMI, où il n’y a pas d’objectif de change des économies. Avoir un objectif de change, sans concertation, c’est ouvrir la « guerre des changes » entre économies, ce qui augmente la volatilité sur les marchés et réduit la croissance. On comprend en effet que si l’euro monte, et surtout vite, l’inflation en zone sera encore réduite, donc toute la stratégie de change de la BCE et de Mario Draghi… Ce qu’il peut ne pas apprécier.

Tempête dans un verre d’eau ? Propos inutiles ou partiels, peu appréciés par Mario Draghi et finalement corrigés par Donald Trump ? Tout est donc fini ? Non.

D’abord, l’analyse qu’un dollar faible aide l’export est triviale, mais surtout fausse. Certes, il facilite l’export, surtout si les acheteurs sont très sensibles au prix, notamment plus au prix qu’à la qualité du produit. Mais, pour Apple par exemple, il n’est pas sûr qu’une réduction de 1% du prix aurait beaucoup amplifié le désir d’acheter le dernier smartphone. En revanche, la baisse du dollar renchérit toujours l’import. Donc, si les exports n’avancent pas de beaucoup avec la baisse du dollar, et surtout si la structure des importations ne change pas, en allant vers moins d’import et plus de production domestique, cette baisse du dollar creuse le déficit commercial et alimente l’inflation à court terme. Donc Steven Mnuchin avait en tête autre chose que ces effets mécaniques, mais quoi ?

Ensuite, déprécier le dollar est très compliqué, au moment même où les Etats-Unis vont devoir vendre plus de bons du trésor : leur déficit commercial se creuse, plus leur déficit budgétaire. Donc Donald Trump devait dire qu’il voulait un dollar fort, avec une économie forte, mais à long terme. Dans ce contexte, les acheteurs de bons du trésor pouvaient penser que la baisse en cours était fortuite, anti-Trump, passagère, astucieuse, et ne durerait pas.

Mais il faut ajouter ici deux points. Le premier est que la baisse du dollar, donc surtout la hausse de l’euro, est alimentée par des mouvements de capitaux qui jouent plus la reprise européenne, en achetant des actions, que l’écart de taux d’intérêt, favorable au dollar, en achetant des bons du trésor. L’euro monte parce que la zone euro monte, et les bourses avec.

Le deuxième point, plus important, est que la baisse du dollar est bien au cœur de la stratégie Trump quand il demande des échanges mondiaux plus équilibrés, quand il surveille les manipulations de change, quand il critique les excédents chinois, allemands ou japonais… Comment donc les résorber : en faisant monter l’euro, le Yuan ou le Yen ! Et c’est ainsi que toutes les monnaies montent par rapport au dollar depuis le début de l’année, sauf le Peso argentin ! Ce sont +6% par rapport au dollar pour la Couronne norvégienne ou le Peso mexicain, +4% pour la livre, le Franc suisse et l’euro, +3% pour le Yen et +2% pour le Dollar canadien et le Won coréen. En quatre semaines !

Les marchés financiers ont compris le double message américain : un dollar plus faible à court terme, avec la promesse qu’il sera plus fort à long terme. Steven Mnuchin lance la boule, Donald Trump le couvre. Assez vite des entreprises viendront alors s’installer aux Etats-Unis : moins d’impôts, moins de règles, plus de taxes à l’importation et un dollar moins cher, c’est bien ainsi qu’il y aura plus de croissance à moyen terme.

Mais on ne peut pas penser à tout : le dollar plus faible fera rentrer de l’inflation, d’autant plus si les taxes à l’import s’en mêlent, le plein emploi fera monter les salaires, d’autant plus si la productivité ne suit pas. Alors la Fed devra monter ses taux, au risque d’affaiblir la croissance et d’augmenter encore le déficit budgétaire. Le risque est alors une remontée des taux longs américains : les investisseurs vendront leurs titres, moins d’acheteurs se présenteront. Le dollar faible conduit au krach obligataire.

Sans trop le dire, Donald Trump tire ainsi la corde du « privilège exorbitant du dollar », comme disait Jacques Rueff, parlant de son attrait mondial en dépit de son double déficit, extérieur et budgétaire. Il entend renforcer son économie dans des échanges, qu’il veut moins déséquilibrés. Il veut attirer plus de capitaux, il veut réduire les importations, puis exporter… Dans cette perspective, une autre monnaie de réserve, l’euro, monte au détriment de la croissance de la zone euro et une autre monnaie de réserve, le Yuan, renforce ses propres alliances et échanges dans sa monnaie avec de plus en plus de pays, conduisant aussi le Yuan à monter. A long terme, Donald Trump vise ainsi 3% de croissance avec 2,5% d’inflation, par rapport à une zone euro à 2% de croissance et d’inflation -  avec un change euro/dollar à 1,3, et à une Chine à 4% de croissance et 1% d’inflation. Crise de du dollar ? Pas seulement : nouvelle stratégie américaine.

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