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Pourquoi nous nous aveuglons sur les causes réelles de la faiblesse de l’industrie française
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Conseil national de l’industrie

Edouard Philippe devrait tenir ce lundi un discours devant le Conseil national de l'industrie à Bobigny où il devrait expliquer l'ambition du gouvernement en matière de politique industrielle.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Edouard Philippe préside ce lundi le Conseil national de l’industrie et devrait présenter les ambitions du Gouvernement en matière de politique industrielle. Les dernières années ont été celles de la dislocation de l'industrie française. Quelles sont les urgences aujourd'hui que connait cette dernière ? Quel rôle doit tenir l'Etat ?

Jean-Yves Archer : Depuis la fin des Trente Glorieuses en 1975, l'industrie française ne cesse de péricliter. On peut le déplorer mais c'est bien la réalité et notre échec national. L'industrie s'est effondrée tant au niveau de ses effectifs qu'au niveau de sa part dans le PIB de notre pays. A ce jour, le secteur industriel ne pèse plus que 12% du PIB contre 23% en Allemagne.

Lors des Assises de l'industrie tenues le 16 novembre 1982, le ministre Chevènement avait fait remarquer que plus de 500.000 emplois industriels avaient été détruits pendant le septennat de Valéry Giscard d'Estaing.

Depuis la tendance récessive s'est inexorablement maintenue.

Les nationalisations de 1982 ont présenté un bilan fort contrasté, elles ont à la fois permis d'épauler en fonds propres certains groupes ( via l'impôt… ) mais dans d'autres cas, elles ont accéléré leur déclin voire leur disparition.

Pressés par des analystes financiers au front bas, on a ouvert la chasse aux conglomérats et ainsi anéanti des groupes comme la Compagnie Générale d'Electricité qui regroupait Alstom, Alcatel, l'actuel Vinci et les Chantiers de Saint-Nazaire.

On a surdimensionné la quête des " pure players " qui peuvent se retrouver en tigres de papier si la conjoncturelle sectorielle s'inverse durablement.

A l'orée de 2020, l'industrie française est face au défi de sa modernisation, c'est-à-dire qu'elle doit accepter la révolution digitale et les fameux déploiements de robots. Une récente étude de BPI France " Créativité déroutée ou augmentée " a montré que la plupart des chefs d'entreprise abordaient cette question à reculons . Des prises d'opinion au sein de La Fabrique de l'Industrie militent pour une politique industrielle à l'échelle européenne sans passer assez de temps à identifier nos pertes de spécialisation internationale.

Il ne faudrait pas que notre pays rate la digitalisation comme il a raté le cap de la machine-outil dans les années 1970 habitué qu'était un certain patronat à importer de la main d'œuvre bon marché au détriment de la modernisation de l'appareil productif.

La question est donc bien d'intensifier la proportion du capital dans la fonction de production tout en formant aux techniques sophistiquées un facteur travail qui est pour l'instant en déroute face à l'avenir.

A quoi faut-il s'attendre de la part du Gouvernement ?

L'idéal serait qu'un ministère de l'Industrie digne du Miti japonais soit créé et qu'un homme de la trempe de feu André Giraud  en soit l'animateur respecté.

Il est tout de même surprenant de voir que seul Bruno Le Maire serait supposé porter la compétence de l'Etat. Pour ne pas dire plus.

L'industrie ce n'est pas aller chez Angélina prendre un chocolat chaud, c'est du concret. Un exemple ? Depuis que Siemens sait qu'il va être allié à Alstom, il vient d'annoncer 6.000 suppressions d'emplois pour rationaliser le format de son futur outil industriel.

L'industrie, comme l'a écrit Antoine Riboud dans " Modernisation, mode d'emploi  " : "c'est de moins en moins la main de l'ouvrier mais de plus en plus l'œil de l'opérateur " de machines automatisées.

C'est cette révolution du travail industriel qu'il faut que le Gouvernement parvienne à insuffler au moyen des 15 milliards additionnels qu'il a dédiés à la formation.

Parallèlement, je voudrais souligner deux points. L'investissement est reparti à la hausse du fait de la possibilité comptable et fiscale du suramortissement. Cette faculté s'est éteinte en avril 2017 : il serait opportun de la remettre sur les rails tout en élargissant les possibilités du CIR : crédit impôt recherche qui est un outil très performant.

Deuxième point, du fait de la démographie des chefs d'entreprise, d'ici à 10 ans, 600.000 entreprises dont nombre de belles PME vont changer de mains. Il est donc urgent de simplifier la transmission d'entreprise et de veiller à un meilleur accompagnement des cédants.

Défendre l'industrie, c'est inciter à la création sans pour autant négliger la reprise et la sauvegarde du vivier existant.

La question industrielle est une question éminemment territoriale, tant elle concerne des "bassins" plus qu'un secteur en particulier. Faut-il envisager d'introduire la question industrielle dans un cadre plus vaste de relance des territoires ? Ou le risque d'une telle manœuvre n'est-elle pas d'être trop politique et pas assez économiquement viable ?

" Il n'y a pas de secteurs condamnés, il n'y a que des technologies dépassées ". Cette phrase de Michel Rocard extraite du Plan intérimaire de 1982 n'a pas pris une ride. Elle est confirmée par des spots ponctuels de réindustrialisation effectivement croisés avec la notion de bassin industriel.

Jacques Chérèque, père de feu François Chérèque, avait été chargé d'identifier et de gérer les conditions de reconversion de la Lorraine. L'Etat connait donc fort bien les liens qui existent entre l'industrie et les territoires.

Le Premier ministre devrait avoir à ses côtés un responsable du niveau de Philippe Lamour ( un des gestionnaires des fonds du plan Marshall ) à qui l'aménagement du territoire doit tant, particulièrement dans le sud du pays.

Pour moi, les questions sont liées. En économie, les études sur les externalités positives ont démontré que le positionnement géographique d'une entité industrielle doit avoir un sens par rapport à son secteur d'appartenance.

Hélas, nous sommes bien obligés de constater que l'économie sectorielle (dite méso-économie) est peu en vogue dans les cabinets ministériels.

C'est dommage car elle permet de mieux sourcer les travaux sur les chaînes de valeur qui sont la clef de tout.

A partir du moment où la France assemble bien davantage qu'elle ne produit, on se retrouve – par exemple – avec des automobiles dont les composants sont de plus en plus étrangers.

La parts des intrants de l'extérieur rognent nos marges sans même évoquer certaines batailles perdues en matière de qualité des produits finis.

Je forme le vœu que le Premier ministre ait en tête l'ampleur de notre déficit commercial qui est passé de 48 mds en 2016 à plus de 64 mds en 2017

Mais comme aimait à nous le dire un certain élu de Tulle : " Cà va mieux "...

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