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 A quel point le chaos social que semble prophétiser le FN menace-t-il le quinquennat Macron?
©Reuters

“Je suis la voix de la colère sociale”

"Je suis la voix de la colère sociale" déclarait Marine Le Pen la veille de sa défaite. La contestation gronde en France depuis le lendemain de l'élection d'Emmanuel Macron. Pour autant, Marine Le Pen n'est peut-être plus la mieux placée pour capter le vote contestataire aux élections législatives.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Xavier Crettiez

Xavier Crettiez

Xavier Crettiez est professeur de sciences politiques à l’université de Versailles Saint-Quentin. Spécialiste de la question de la violence politique en Corse, il a publié en 1999 La question Corse, puis en 2010 l'ouvrage Les violences politiques en Europe : un Etat des lieux, en collaboration avec Laurent Mucchielli.

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Pierre Bréchon

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon est professeur émérite de science politique à l’IEP de Grenoble, chercheur au laboratoire PACTE, directeur honoraire de l’IEP de Grenoble, et auteur notamment de Comportements et attitudes politiques aux Presses universitaires Grenoble. Il a également dirigé l'ouvrage Les élections présidentielles sous la Ve République (Documentation française). 

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Atlantico : "Je suis la voix de la colère sociale" a déclaré Marine Le Pen la veille de sa défaite au second tour de l'élection présidentielle. A quel point le chaos social que semble prophétiser le FN menace-t-il réellement le quinquennat Macron ? S'agit-il d'un fantasme ou existe-t-il des ferments au sein de la société qui vont dans le sens de l'analyse de la candidate frontiste ?

Pierre Bréchon : Marine Le Pen a déclaré avoir "été la voix du peuple de France qui n’en peut plus" et appelé ce peuple à exprimer son malaise social en votant pour elle. Les colères sociales sont évidemment multiples dans un pays qui connaît un chômage élevé depuis plusieurs décennies, chômage qui frappe particulièrement certaines régions et à l’intérieur de celles-ci, plus particulièrement les quartiers sensibles. Marine Le Pen n’est cependant pas la seule à incarner la colère sociale, celle-ci s’exprime aussi à travers la gauche radicale et l’extrême gauche, à travers également les syndicats et certains mouvements associatifs.

Bien sûr, la colère sociale menace le quinquennat Macron, tout comme les mouvements sociaux ont menacé tous les gouvernements. Chaque fois qu’une grande entreprise licencie, ferme ou délocalise, la colère sociale peut s’exprimer. Il en est de même lorsqu’un gouvernement s’en prend à des acquis sociaux comme les grandes manifestations sur les retraites ou plus récemment la loi El Khomry. Ou lorsque les agriculteurs doivent faire face à la chute des prix de leurs productions. Mais la colère ne débouche pas toujours sur des mouvements de grande ampleur.  Il faut un espoir de gagner une bataille pour laisser éclater une colère susceptible d’être efficace.

Il est clair que la réforme du code du travail que le nouveau président veut mettre très vite en œuvre, pour autant qu’il dispose d’une majorité parlementaire pour la confirmer après que les ordonnances ont  été prises, peut donner lieu à des conflits sociaux importants. On voit mal la CGT et FO accepter facilement des concessions en la matière. Le nouveau pouvoir devra en fait négocier avec les syndicats réformistes, particulièrement la CFDT.

Cela dit, les formes des luttes sociales ont évolué au cours du temps. Les grèves longues et dures sont devenues rares, les démonstrations de force se font plutôt à travers les grandes manifestations médiatisées. On ne semble pas à la veille d’une révolution prolétarienne !

Eddy Fougier :Il suffit de voir ce qu'il s'est passé à Nantes dès 20h30 avec les échauffourées. Il y a une société au bord de la crise de nerfs, de la colère sociale. On est pas du tout proche de la colère idéologique proche du FN on est plutôt proche de l'extrême  gauche. Aujourd'hui des manifestations de syndicat contre Emmanuel Macron alors qu'il n'est pas officiellement président. Il y a une colère sociale qui couve et le déclencheur qui semble évident c'est la décision par ordonnance (49-3 soft) aux yeux des mouvements sociaux sur la réforme du code du travail. Que le terrain soit effectivement propice à ces manifestations de colère sociale c'est évident.  Là où je ne suis pas d'accord avec Marine Le Pen c'est "je suis la voix de " cette expression de la colère sociale n'est pas nécessairement portée uniquement par MLP. Elle est aussi portée par JLM, des mouvements d'extrême gauche, des mouvements identitaires, des mouvements sociaux pas essentiellement politique, des zadistes… Elle s'exprime par une grande partie de la société et MLP s'arroge ce fait d'être le porte-parole de la colère sociale. Elle n'est pas seule. Concernant les causes : On ne pense au refus du libéralisme et son impact social, le rejet du système, la frustration de ceux qui n'ont pas réussi à porter leur contestation à l'Elysée… Il y a une colère face aux médias, les commentateurs, les éditocrates en tout genre qui sont sensés véhiculer "une pensée unique". Structurellement celle qui est la mieux placée pour capter ces voix de colère c'est Marine Le Pen qui bénéficie déjà d'une assise politique et a capté la voix de 11 millions d'électeurs au second tour.  En revanche la seule alternative crédible, c'est la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon si la dynamique se maintient.

Xavier Crettiez : La thématique de la colère sociale est un aliment du vote protestataire que ce soit le vote Mélenchon ou FN. Ces partis ont tout intérêt à mettre en avant la colère sociale. Il y a des problèmes et des attentes sociales fortes. Qu'il y ai des problèmes réels j'en doute pas. Nous sommes dans un pays étonnant qui se caractérise par rapport aux voisins par une haine du libéralisme avec cette idée que Macron représenterait une élite libérale et que à ce titre il ne serait fondamentalement pas légitime car porteur d'une étiquette libérale. Une partie de la population, notamment chez les mélenchonistes éprouve un rejet du libéralisme. L'arrivée de celui qui incarnerait cette image du libéralisme peut susciter une forme de colère sociale.

Ensuite ce qui joue beaucoup dans le sentiment de colère c'est le sentiment de relégation et la distance par rapport au service public. Je ne serais pas étonné qu'on trouve une corrélation forte entre les mouvements activistes et la disparition des services publics élémentaires, le recul de la démocratie locale et la présence de l'Etat. Le FN a d'ailleurs beaucoup plus joué sur l'idée que l'Etat devait réaffirmer sa présence dans cette élection. Il y aussi une misère sociale objective qui alimente évidemment un vote de rejet, de colère ou encore une colère identitaire qui peut s'exprimer de la part des "petits blancs" sur l'idée d'être abandonnée au profit des minorités visibles et vice et versa pour les minorités qui peuvent se sentir discriminées, pas suffisamment acceptées. La colère est alimentée par des crises sociales, économiques et aussi politiques. 

La superposition des clivages gauche-droite et patriotes-partisans de la mondialisation ne risque-t-elle pas de multiplier les tensions au sein de la société française ? 

Pierre Bréchon : Il y a de nombreux clivages dans toute société, il en existe autour des politiques migratoires, autour de l’Europe, autour des rapports entre patronat et salariés, entre les élites et le peuple, etc. Il semble en effet qu’un clivage important se soit développé progressivement entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Ces derniers sont tentés de remettre en question la construction européenne, avec ses politiques libérales, jugées peu protectrices pour les  salariés les plus faibles, comme les ouvriers britanniques d’origine étrangère ont souvent voté pour le Brexit, par colère envers les travailleurs provenant des pays d’Europe de l’Est. La mondialisation nourrit en fait le nationalisme et le protectionnisme économique, ainsi que le rejet des immigrés. La réponse proposée par les pays scandinaves à ce problème, proche de ce que propose Emmanuel Macron, consiste à faire de la flexisécurité, c'est-à-dire à prévoir des garanties sociales en même temps qu’on libéralise l’économie pour qu’elle soit plus compétitive dans la mondialisation.

Eddy Fougier : Le clivage patriote-mondialiste, ce sont les termes de Marine Le Pen, je préfère à titre personnel ce qui est définit par la science po comme le clivage ouverture/fermeture qui correspond plus à la réalité et est moins connoté. Dans le clivage de MLP on a l'impression que les mondialistes ne sont  pas patriotes…  C'est un clivage que l'on retrouve, il suffit de voir le résultat des enquêtes faites après le premier tour ou faites hier. Ce clivage recoupe un clivage social entre PCS+ et PCS- on retrouve ce clivage entre diplômés et non-diplômés mais aussi d'un point de vue géographique entre agglomérations et zones plus périphériques. C'est un clivage qui traverse la France avec une France qui va bien et l'autre qui se porte mal. Une France optimiste et l'autre pessimiste. La particularité de ce second tour a été le fait que pour la première fois le candidat qui représente le mieux ces idées d'ouverture a été opposé à la candidate qui représente le mieux la fermeture.

Sous Nicolas Sarkozy Hollande c'était plus compliqué. Nicolas Sarkozy était plus libéral économiquement et moins culturellement et vice et versa pour François Hollande. Ce n'était pas blanc ou noir c'était gris clair et gris foncé. Est-ce que c'est parce que le clivage s'est aggravé ou alors le simple résultat de la sélection des candidats qui aurait pu être tout autre, je n'ai pas la réponse. Ce second tour a été révélateur de l'existence de ce clivage nouveau qui ne détruit pas le clivage droite gauche mais se superpose à ce dernier. Il rend encore plus complexe la compréhension de la société pour ceux qui l'analysent et celles et ceux qui essayent de répondre d'un point de vue politique aux préoccupations des uns et des autres. Ca va être compliqué pour Macron  de répondre par du libéralisme économique et culturel aux préoccupations de populations qui sont opposées à ce libéralisme

Xavier Crettiez : Ça peut les multiplier car ça vient bousculer le clivage gauche-droite. Ce dernier avait une dimension rassurante, les choses étaient claires. Depuis cette élection mais évidemment avant aussi, ce clivage a explosé. Cette montée en puissance du Front de Gauche et du FN a fait exploser ce clivage puisqu'on a là des gens qui sont  sur l'axe gauche droite complètement opposés, de l'extrême gauche à l'extrême droite mais qui se rejoignent sur le clivage patriote souverainiste contre mondialistes libéraux car les deux se disent "patriotes souverainistes". Le temps que s'installe ces nouvelles oppositions on est dans le flou en matière de clivage et ce flou cristallise les tensions. Lorsqu'il n'y a plus de clivage chacun va avoir tendance à se positionner le plus clairement sur le nouveau clivage à venir et donc avoir tendance à radicaliser sa position pour en avoir une extrêmement visible. 

Emmanuel Macron peut-il rassembler autant qu'il l'annonce pour éviter de voir la colère des perdants qui ont malgré tout dit non à son élection (Frontistes ou Abstentionnistes) ?

Pierre Bréchon : Le résultat des élections législatives diront si Emmanuel Macron a réussi à rassembler suffisamment pour disposer d’une majorité de gouvernement, seul ou en coalition avec d’autres forces politiques. C’est d’ailleurs la condition sine qua non pour qu’il puisse  essayer de mettre en œuvre son programme. Si la droite remporte les élections législatives, ce qui est une hypothèse tout à fait possible, c’est le programme de la droite qui s’appliquera et non celui du président, comme toujours en situation de cohabitation sous la Vème République.

Cela dit, il est beaucoup trop simpliste d’identifier les perdants de la mondialisation avec le vote frontiste et avec les abstentionnistes. Le FN est beaucoup plus composite que cela, ses électeurs sont loin d’être tous des perdants, à commencer par Marine Le Pen elle-même ! Les abstentionnistes sont aussi très divers, entre ceux qui ne s’intéressent pas à la politique, ceux qui se sont abstenus par rejet de l’offre électorale, ne trouvant pas de raison de choisir entre deux candidats qu’ils réprouvent, et ceux qui sont en effet en colère, estimant que les hommes politiques ne s’occupent pas de leurs difficultés.

Eddy Fougier : Les résultats de l'Ifop sur les votes en faveur de Macron au deuxième tour. Il y avait  à peu près 20% de son électorat qui était socialiste, 20% républicains, 16% en Marche, 6% MODEM, 5% UDI, 10% Front de Gauche… Je dirais qu'il y a une bonne base pour s'opposer aux idées FN et une volonté nette de renouveler la classe politique et la manière de faire de la politique ainsi que de la nécessité de mettre en place des réformes pour qu'il y ai un sursaut dans le pays. Une grande partie de la population se retrouve dans ces idées. Néanmoins ce n'est pas nécessairement ça qui va permettre de répondre aux préoccupations de celles et ceux qui se sentent délaissés et tentés par un cri de colère qui pourrait être récupéré par celles et ceux qui se définissent comme les porte-paroles de cette colère.

Il y aura un test, cette réforme du travail par la voix des ordonnances. S'il n'y a pas de réponses apportées par le nouveau président à cette soif de changer les choses, cette colère sociale ne fera que gronder et celles et ceux qui exploitent cette colère sociale ne feront que grandir.

Xavier Crettiez : Il va avoir du mal. Il ne réussira jamais à attirer les plus extrêmes et radicaux. L'objectif est de construire à partir du centre qu'il occupe relativement bien une grande coalition centre droit, centre gauche qui peut tirer jusqu'à la droite et gauche républicaine. S'il arrive à concrétiser ce grand rassemblement il aura une vraie chance de stabilisation car il se trouvera face à deux mouvements contestataires mais qui sont incapables de s'unir du fait de leurs positions respectives. Pour récolter les raisins de la colère les deux sont bien placés mais Jean-Luc Mélenchon a la chance de ne pas avoir à subir de divisions au sein de son mouvement contrairement au Front National.

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