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Gauche au bord de la crise de nerfs : pourquoi le paquebot Hollande est en train de foncer sur l’iceberg du Congrès et de la réforme constitutionnelle (et il n’y aura pas de canots pour tout le monde)
©DR

Titanic ?

Alors que son contenu doit être connu en détail aujourd'hui, la révision constitutionnelle, qui avait symbolisé le sursaut de Hollande dans les sondages, pourrait ne pas lui être si favorable qu'imaginé. Le stratège politique a certainement encore plus d'un tour dans sa poche mais les dissensions à gauche sont de plus en plus nettes, même si une scission du groupe PS à l'Assemblée n'est pas à l'ordre du jour.

Michel  Urvoy

Michel Urvoy

Michel Urvoy est un éditorialiste politique, en poste chez Ouest France depuis 2007 et directeur de la rédaction du journal à Paris depuis 2009. 

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Jean-Jérôme Bertolus

Jean-Jérôme Bertolus

Jean-Jérôme Bertolus est un journaliste politique français. Spécialiste des questions de l'Elysée et du Gouvernement pour i-Télé, il a déjà publié divers ouvrages dont Tir à vue: La folle histoire des présidentielles, avec Frédérique Bredin, aux édtions Fayard, 2011 (disponible ici). 

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Laurent  Joffrin

Laurent Joffrin

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et licencié en sciences économiques, Laurent Joffrin est directeur de la publication du journal Libération.

Il est notamment l'auteur de Le Réveil français, chez Stock, 2015

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Atlantico : Compte tenu des tensions qui pèsent actuellement sur la majorité socialiste, François Hollande doit-il s'inquiéter de l'avenir de sa réforme constitutionnelle ? 

Laurent Joffrin : Au vu des tensions exercées par cette révision constitutionnelle sur les parlementaires PS, on peut s'attendre à vote négatif de la part d'une partie d'entre eux. François Hollande a mis cette question de la déchéance de la nationalité dans le discours du Congrès, juste après les attentats du 13 novembre, dans l'espoir de rallier à sa politique anti-terroriste l'ensemble du gouvernement dont la droite. Mais mesures qui ont été choisies heurtent la sensibilité d'une partie de la gauche qui considère que l'on ne doit pas faire de différence entre les étrangers et les autres. Et depuis, le Président n'arrive pas à s'en dépêtrer : s'il modifie trop profondément le texte, la droite ne la votera pas, et la réforme constitutionnelle sera un échec. Au contraire s'il ne la modifie pas du tout, il fait rentrer en dissidence toute une partie de la gauche.

Il y a une solution mais je ne vois pas comment il pourrait la mettre en place : il s'agirait de ne pas faire la distinction entre bi-nationaux et nationaux. D'aucun dira que la différence est symbolique, mais les symboles jouent un rôle, notamment à gauche. Le fait de dire que pour les mêmes faits, un binational est plus coupable aux yeux de la Constitution qu'un national est un problème. Pour autant je comprends le raisonnement initial consistant à dire que ces terroristes condamnés se sont retournés contre le pays qui les a accueillis, et qu'il n'y a donc pas de raison de leur laisser la nationalité française. Mais dans ce cas-là, les Français non plus ne devraient pas la garder, eux aussi se sont retournés contre leur pays. Bien entendu, comme cela se heurte à la question des apatrides, la question est délicate.

Je n'imagine pas les socialistes jeter de l'huile sur le feu, et ils voteront globalement le texte. On ne pourra pas en revanche penser que le problème est réglé, car ce vote recouvrira une fissure idéologique profonde. Il y a à gauche deux sensibilités qui s'éloignent de plus en plus : les uns estiment qu'il faut rester sur une ligne extrêmement laïque et ferme en matière de terrorisme, quitte à écorner un certain nombre de libertés individuelles, et les autres pensent que cette politique les éloigne trop de leurs valeurs. 

Michel Urvoy : On peut le penser mais à court terme c'est impossible de prévoir ce qui va se passer aujourd'hui, ou encore le 5 février, jour du débat, et le 10 février, date du vote. Il suffit d'un mot ou de l'absence d'un mot pour tout faire basculer. Donc on ne peut répondre à cette question que de manière très théorique en expliquant oui il n'est pas acquis qu'il n'est pas acquis qu'il y ait une majorité des 3/5èmes au Congrès et qu'il est possible, à supposer qu'il y ait cette majorité, que grâce aux voix de droite pour compenser des désistements à gauche.

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Au-delà de cette réforme dont le destin n'est pas tranché. N'y a-t-il pas un risque de sécession au sein du groupe PS à l'Assemblée nationale ?

Michel Urvoy : A ce stade, je ne le crois pas parce que ceux qui siègent aujourd'hui auront besoin du label du parti qui représentera la gauche en 2017 s'ils veulent se représenter demain. C'est pourquoi parmi les frondeurs, un seul a quitté le groupe. Il s'agit de Philippe Noguès, député du Morbihan. C'est le seul à avoir eu le courage de franchir le pas. Il a essayé de constituer un groupe avec d'autres forces de gauche en désaccord avec la majorité mais cela n'a pas fonctionné. Le suicide en politique n'est pas une pratique très répandue…  

Laurent Joffrin : A mon avis il n'y en aura pas. Il y a tout de même un instinct de conservation au sein du PS, bien conscient du risque qu'il y aurait à rompre le parti en deux à un an d'une échéance électorale majeure. Il y aurait une gauche de centre-gauche, et une gauche qui affirmera incarner la vraie gauche, dans un mouvement de dérive des continents. Cette fracture se creuse au sein du PS, et elle structurera sans doute une partie de la présidentielle, en tout cas le premier tour car Manuel Valls comme François Hollande ne veulent pas faire de geste en direction de leur gauche. Une réconciliation ne les intéresse pas car ils estiment que l'élection se jouera au centre.

Jean-Jérôme Bertolus : Il y a effectivement des parlementaires qui ne se reconnaissent plus dans la ligne du PS. Il n'y a donc ici plus vraiment d'appartenance. Mais le seul problème, c'est que le cadre institutionnel et surtout le calendrier politique ne joue clairement pas en faveur d'une telle rupture. La présidentielle est un vrai frein à la constitution d'un nouveau groupe à l'Assemblée. Il ne peut pas émerger de l'intérieur du Partis socialiste une nouvelle formation. Les décisions actuelles laissent certains parlementaires dans un profond désarroi et une grande lassitude mais ce n'est pas là-dessus qu'on peut rompre et créer une nouvelle entité. Pour cela il faudrait une dynamique et celle qui s'impose naturellement aujourd'hui c'est l'élection présidentielle de 2017. Il est trop tard pour qu'un mouvement se créé. Je vois la rupture dans les têtes mais pas en termes politiques.

Les propos tenus par Bruno Le Roux sur Europe 1, appelant à ne pas faire appel à ce qu'il n'y ait "pas de référence à la question de la binationalité" dans le projet de révision de la constitution, met à jour des dissenssions de plus en plus grandes et visibles au sein du PS. Pourtant lors de l'annonce ce cette réforme, Hollande a bénéficié d'une forte remontée dans les sondages. Sa stratégie politique avait aussi été appréciée. Comment expliquer cette évolution ?

Jean-Jérôme Bertolus : Il est vrai qu'il y a eu un effet Hollande, perçu en majesté au Congrès de Versailles entouré de tous les parlementaires l'applaudissant debout. Au départ, il avait largement la main avec ce principe de révision constitutionnelle. Sa stratégie d'union nationale en préemptant une idée de droite à savoir la déchéance de nationalité lui donnait d'une certaine façon l'allure d'un capitaine qui tenait la barre du bateau.

Aujourd'hui c'est moins vrai, à une nuance importante près, à savoir que cette révision constitutionnelle est devenue une réelle bouteille à l'encre et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord le symbole s'est effrité. Certains disent que ça ne vaut même pas la peine d'avoir l'article 1 de la réforme constitutionnelle sur l'Etat d'urgence, alors je ne vous parle même pas de l'article 2… Hier, avant de se rendre chez Valls, il n'y avait pas un parlementaire à la Commission des lois qui disait la même chose sur ce que pourrait être l'article 2.

Donc il est vrai que ce sujet est devenu la bouteille à l'encre. Et François Hollande a eu beau dire qu'il prenait sa responsabilité et qu'il était maintenant venu aux parlementaires de prendre la leur, on a assisté lors du dernier mois à des débats qui ont déchiré la gauche. D'ailleurs ce ne sera pas possible pour certains réparer cette brisure. Ce sera sans doute pour une partie un motif de rupture au moins dans les esprits.

Je pense que la gauche n'a plus beaucoup de signes identitaires. Tout est remis en cause, notamment parce qu'elle n'arrive pas à sortir la France de la crise. Ses structures en matière de valeurs sociales se voient érodées paroles après paroles de Macron. Les caisses sont vides et il est donc difficile de mener une politique de gauche. Et les socialistes ont de plus en plus de mal à dire ce que c'est véritablement que d'être de gauche en France en 2016.

Mais il restait quelques principes fondamentaux et le droit du sol en est encore un. C'est une idée qui transcende la gauche et qui fait partie intégrante de l'héritage de la Révolution. La déchéance de nationalité a profondément heurté des frondeurs qui avaient disparu corps et biens ces derniers temps. Cette après-midi, un parlementaire m'a dit : "Moi je suis vraiment le godillot de chez godillot mais ça jamais !" Il est donc évident que c'est un débat qui symbolisait la ligne rouge à ne pas franchir et qui finalement a été franchie.

Et donc aujourd'hui, il peut être curieux de voir comment le chef de l'Etat va se sortir de ce débat délétère en ce sens que ce n'est pas sur ce sujet que l'on va refonder la gauche. Il est possible d'envisager des débats violents mais sur lequel il sera possible à terme de reconstruire un projet. Mais ce n'est pas avec la déchéance de nationalité que la gauche va se remuscler et rebâtir un socle solide. Elle n'a pas grand-chose à y gagner en réalité et elle y a finalement beaucoup perdu. Maintenant, on ne verra pas le François Hollande visionnaire politique mais il va falloir observer s'il parvient à rester ce tacticien qu'il a été cers derniers mois. Et il peut encore nous surprendre à ce niveau. Tout reste possible.

Il faudrait néanmoins éviter que cette réforme constitutionnelle qui devait être la matérialisation d'une France unie ne se transforme finalement qu'en une énième révision de la Constitution, comme celles qui ont été instituées par des Président qui souhaitait avoir la leur. Il serait malheureux dans ce cas de se dire qu'il y avait bien d'autres d'domaines qui méritaient peut-être davantage ce genre de décision politique.  

Michel Urvoy : Je pense que François Hollande a voulu réussir une opération politique décidée à chaud. Mais plus le temps passe et plus cette opération politique devient problématique. De fait, une partie de son électorat ne l'a pas élu pour mener une politique sécuritaire. Or cette thématique prend de plus en plus de place dans le débat public. Cela est vrai au sein du Parti socialiste mais aussi chez certains de chez alliés, notamment chez les écologistes. D'autre part, les choses évoluent puisqu'il a fait ses annonces sur la réforme constitutionnelle dans des délais très courts avec une certaine impréparation. Cela a empêché de réfléchir à la faisabilité juridique d'une constitutionnalisation de l'Etat d'urgence.

Michel Urvoy : Il y a plusieurs fondements au désaccord au sein de la gauche. Mais il y a notamment la question des libertés. La dureté des mots et des idées développées par Hollande à ce sujet a eu un effet révélateur. Le clivage s'opère avec cette partie de la gauche respectueuse des libertés à laquelle appartient Christiane Taubira. Ce mouvement traverse le PS mais aussi le gouvernement lui-même. Donc François Hollande a pensé qu'en faisant vite dans l'ambiance émotionnelle qui a accompagné les attentats, il était possible de faire une sorte d'union nationale. Mais cette dernière s'est vite effritée et aujourd'hui il n'est plus tout à fait sûr qu'il ait une majorité suffisante au sein du groupe PS pour voter la réforme constitutionnelle et donc notamment la déchéance de nationalité.

Quoiqu'il en soit, il faut bien préciser qu'il ne s'agit pas d'une question légère. L'application de la réforme constitutionnelle va faire l'objet de lois votées à la majorité mais telle loi peut tout de même être changée par n'importe quelle majorité. Donc ce qui est acceptable dans un moment où on peut considérer que le gouvernement a des intentions louables pourrait devenir très dangereux à un moment où un autre pouvoir aurait des intentions moins avouables. Cette réforme est sans doute nécessaire sur le plan symbolique mais dangereuse dans l'utilisation qui peut en être faite.

Hollande a effectué un certain nombre de recadrages vis-à-vis de la gauche de la gauche sur cette question de la réforme constitutionnelle, comme cela a été le cas avec Taubira. Cette attitude intransigeante, voire directe, a-t-elle renforcé l'opposition d'une partie des frondeurs ?

Michel Urvoy : La liberté prise par Christiane Taubira de dire à un moment ce qu'elle pensait de cette réforme a certainement renforcé certains socialistes à se démarquer. S'il n'y a pas de solidarité gouvernementale, la majorité devient, comme le disait François Bayrou, une "volonté de grenouille". Donc c'est assez logique qu'une discorde à ce niveau-là du gouvernement soit perçue comme une autorisation à exprimer son désaccord au sein de la majorité.

Par rapport à la droite, si la gauche s'enlise quelque peu, n'est-ce pas la droite qui va en sortir sinon vainqueur tout du moins mieux qu'elle n'était partie ?

Jean-Jérôme Bertolus : Ce qui a permis à la droite de s'en sortir plus ou moins bien de ce piège, c'est qu'elle a parlé d'une seule voix pratiquement dès le début, à savoir UDI et LR. Cette unité s'est encore matérialisée mercredi dernier dans la cour de l'Elysée. Maintenant, si François Hollande réussit son coup, cela peut se faire au détriment de la droite. A ce stade, c'était l'hypothèse qui circulait à gauche. La formulation trouvée sera-t-elle un piège pour la droite ? Il est encore difficile de répondre à cette question et de savoir qui en sortira gagnant. C'est d'ailleurs en partie le problème de cette révision constitutionnelle. Tout d'abord parce que c'est un sujet qui n'intéresse pas les Français. Ceux-ci se sont prononcés ultra majoritairement en faveur de la déchéance. Ils préféreraient que la gauche surtout, mais la droite aussi, songent aux questions d'emplois qui les touchent prioritairement dans leur quotidien plutôt que sur ce sujet de révision constitutionnelle dont ils n'ont absolument rien à faire ! Pour l'instant, c'est un débat qui témoigne surtout d'un certain malaise et plus précisément une dichotomie entre la classe politique et, je le pense, les préoccupations réelles des Français.

Si le paquebot est Hollande et l'iceberg est le Congrès et ce vote sur la réforme constitutionnelle, quel est le risque ? Est-il sérieux et peut-on évoquer un risque possible de naufrage ?

Jean-Jérôme Bertolus : En tout cas, ce qui est clair, c'est qu'à partir du moment où le chef de l'Etat a eu ce succès passé devant le Congrès et ce plébiscite réaffirmé de la part des Français dans les sondages, il aurait fallu que son succès soit à la hauteur. Et si par malheur pour lui, la révision constitutionnelle ne passait pas, soit parce que le Congrès en décide autrement, soit parce qu'il y a des navettes incessantes, alors ce serait un échec qui ne serait certes pas titanesque (ou Titanic serais-je tenté de répondre à votre question) mais à quelques mois de la présidentielle, ce ne serait clairement pas à son crédit, d'autant plus qu'en parallèle le chômage ne recule pas. Il faudra pour lui tout de même un succès quelque part. S'il rate celui de la révision constitutionnelle, les Français n'en voudront pas à Hollande sur le fond mais sur la forme. Cela montrerait qu'il n'y a pas de capitaine à la barre. Et dans ce cas-là, un échec serait problématique pour le chef de l'Etat.        

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