Atlantico : Une étude britannique baptisée Life Project menée sur 6 générations et centrée sur plusieurs milliers d'enfants nés depuis 1946 dresse un constat accablant sur la mobilité sociale intergénérationnelle, indiquant que l’école et le travail comptent bien moins que le contexte familial pour améliorer sa situation personnelle. Un tel constat est-il transposable à la France ? Comment la mobilité sociale a-t-elle évolué depuis 1945 ?
Joël Hellier : Tout d’abord, l’origine familiale (éducation, revenus, position socio-professionnelle des parents) est dans tous les pays un facteur essentiel qui détermine la position sociale d’un individu.
Toutefois, l’impact des parents, et donc la mobilité sociale entre générations (plus la position des parents est déterminante, plus faible est la mobilité sociale intergénérationnelle), diffère très sensiblement d’un pays à l’autre. Schématiquement, le Royaume-Uni souffre d’une très forte immobilité sociale. Viennent ensuite l’Italie, les Etats-Unis et la France. Tous ces pays ont une faible mobilité sociale. En revanche, les pays scandinaves et le Canada bénéficient d’une mobilité sociale assez élevée. Pour donner une indication, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en France, une hausse de 10% du revenu des parents se traduit par une hausse de 5% du revenu des enfants une fois adultes, contre 1,3% au Danemark et 2,3% en Suède.
Un des constats importants de l’étude que vous mentionnez est qu’en Grande-Bretagne, l’impact de l’origine familiale est non seulement déterminant, mais il s’est accru dans les dernières décennies. Plusieurs études concluent pareillement à une réduction de la mobilité sociale aux Etats-Unis. Malheureusement, ce diagnostic s’applique également à la France. Un article récent (Ben-Halima B., N. Chusseau and J. Hellier. 2014. ‘Skill Premia and Intergenerational Education Mobility : The French Case’, in Economics of Education Review, 39, 50-64) montre clairement que la mobilité sociale en termes d’éducation a sensiblement diminué en France entre 1993 et 2003. Cette évolution défavorable n’est pas constatée dans les pays nordiques. En France, non seulement la position sociale d’un individu est largement déterminée par ses origines familiales, mais leur poids tend à augmenter dans les dernières années. On est bien loin du principe d’égalité des chances. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le travail de Lefranc (Lefranc, 2011. ‘Educational expansion, earnings compression and changes in intergenerational economic mobility : Evidence from French cohorts, 1931-1976’, Thema Working paper n°2011-11) montre que l’impact de l’origine familiale a diminué pour les générations nées entre 1930 et 1960, alors que le déterminisme familial s’accroît pour les générations suivantes.
Louis Maurin : Il y a malheureusement trop peu d'études de ce type en France, basées sur des cohortes, ce qui rend encore plus intéressants ces travaux de suivi des parcours sur une longue durée. On observe souvent des photographies, mais pas les parcours des individus. Il est difficile de transposer ces réalités en France, puisqu'il s'agit de contextes différents. Par ailleurs, le fait que le contexte familial joue plus au Royaume-Uni et aux Etats-Unis est en partie lié au fait que l'école coûte beaucoup plus cher là-bas. Ce que vous ne payez pas en impôts au Royaume-Uni, vous le payez dans l'école de vos enfants. C'est donc plus inégalitaire. Il y a, par exemple, un mythe de la mobilité sociale américaine qui n'est pas forcément justifié. Au passage, si les dépenses publiques sont plus élevées en France, le coût est le même pour un ménage moyen, que l'argent aille à l'école ou aux impôts.
Deuxièmement, les données montrent que si l'on étudie une longue période, la mobilité sociale a continué à augmenter jusqu'au milieu des années 1990, et stagne depuis cette période. Nous avons donc davantage une pause de l'ascenseur social qu'une panne, avec effectivement des phénomènes de déclassement que quelqu'un comme Camille Peugny a bien montrés, mais nous ne sommes pas dans l'absence totale de mobilité sociale. Nous sommes dans un pays qui continue à créer des emplois qualifiés, pas autant que l'offre de formation certes. Il continue d'y avoir des processus de mobilité, même si l'insertion des jeunes est beaucoup plus difficile aujourd'hui qu'auparavant. Le problème avec les données que l'on a, c'est qu'il faut attendre longtemps avant de pouvoir statuer. Nous ne connaissons donc pas très bien le sort des jeunes générations, même si nous pouvons soupçonner que pour les générations très récentes, en particulier dans les catégories populaires, les écarts se soient agrandis.
Comment peut-on l'expliquer ?
Louis Maurin : Ce que l'on peut supposer, du fait que le chômage touche bien davantage les jeunes non diplômés que les jeunes diplômés, c'est qu'il ait eu un effet inégalitaire. Sauf qu'on mesure la mobilité sociale par rapport à la situation de vos parents. Or, quand vos parents sont déjà tout en bas, vous ne pouvez pas descendre plus bas. Il y a donc pour ces catégories-là une insertion qui est extrêmement difficile avec du chômage et de la précarité, mais en terme de mobilité sociale, on ne voit pas de baisse puisqu'ils partaient déjà de bas. Alors que pour une minorité d'enfants plus favorisés, il y a effectivement des difficultés d'insertion sur le marché du travail qui conduisent à un vrai phénomène de déclassement par rapport à leurs parents.
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