Mais pourquoi l'univers tech et geek est-il obsédé par le chiffre 42 ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le nombre 42 serait intrinsèque à la culture geek.
Le nombre 42 serait intrinsèque à la culture geek.
©http://www.materiel.net

Culture geek

La deuxième promo de "l'école 42" de Xavier Niel effectue sa rentrée ces jours-ci... 42, un nombre qui n'est pas inconnu du monde de la culture geek, mais dont les origines se confondent et dont la signification est des plus surprenante.

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France, encore en exercice.

Il est un des pionniers d'Internet en France.

 

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David Peyron

David Peyron

David Peyron est Docteur en sciences de l’information et de la communication à l'université Lyon 3 et titulaire d’un master en sociologie. Il travaille sur la culture geek, les fans, la culture populaire et en particulier sur les liens entre identité et fiction.

Il est l’auteur d’une thèse puis d’un livre portant sur l’émergence d'un mouvement geek revendiqué et ses enjeux identitaires : Culture Geek, aux éditions FYP.

Son éditeur: http://www.fypeditions.com/culture-geek/

 

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Atlantico : La deuxième promotion de l'école d'informatique lancée par le patron de Free, Xavier Niel, "l'école 42", a effectué sa rentrée. Le nombre 42 serait par ailleurs intrinsèque à la culture geek... Quelle est la signification ? Comment est-ce devenu une référence du monde geek ?

David Peyron : Il faut tout d’abord savoir que ce que l’on appelle culture geek réunit en fait deux choses qui sont très liées, un goût pour des mondes fantastiques immersifs et denses (Star Wars, le Seigneur des anneaux, les jeux vidéo, etc.) et pour les sciences avec un accent particulier sur l’informatique et tout ce qui en découle. Cela est dû aux liens historiques entre ces deux domaines.

Les premiers hackers des années 1970 étaient de gros lecteurs de science-fiction et de fantasy, le jeu de rôles où il s’agit de se plonger dans un autre univers avec des règles précises, s’est inspiré de la culture très mathématique de l’informatique et en retour l’imaginaire de cette nouvelle technologie s’est basé sur l’idée très fictionnelle et ludique d’un monde virtuel et immense que l’on peut explorer (des films comme Matrix et Tron reprennent cette idée, tout comme la métaphore des "autoroutes de l’information" utilisée au début d’Internet).

Le chiffre 42 symbolise ces liens. Il est issu du livre de Douglas Adams (qui a aussi travaillé comme scénariste pour la série Dr Who et à écrit des jeux vidéo), Le Guide du Voyageur Galactique, une série de romans de science-fiction parodique à l’humour très anglais. Dans ce livre, le chiffre 42 est la réponse à la grande question sur la vie l’univers et le reste, le sens de la vie comme diraient les Monty Python, calculée par un immense ordinateur pendant des millions d’années. Il n’a d’autre sens que son aspect absurde et bien sûr cela plonge les personnages dans une grande perplexité. Le fait que ce chiffre vienne d’un roman de science-fiction très populaire, qu’il soit simple à partager, à échanger et qu’il reste une référence obscure pour beaucoup (et donc renforce le sentiment de communauté de ceux qui savent), ajouté à son lien avec un ordinateur en a fait un marqueur identitaire fort pour la culture geek.

De ce fait, il a été caché dans un grand nombre de fictions populaires, comics, films, jeux, séries, mais aussi dans des logiciels et outils informatiques (La page Wikipédia consacrée au sujet en recense certaines). L’exemple typique étant le moteur Google qui répond 42 lorsque l’on demande (en anglais) quelle est la réponse à la grande question sur la vie l’univers et le reste. C’est une blague, un clin d’œil et un exemple du culte de la petite référence qui fait le "happy few" typique des fans et des geeks et qui participe à la construction d’un sentiment d’appartenance. Tout ceux qui se revendiquent geek ne sont pas informaticiens ou n’ont pas lu dix fois Le Seigneur des anneaux, mais connaître le sens d’une telle référence affichée sur un poster, un tee-shirt, dans l’écran de chargement d’un jeu vidéo, permet de contribuer au sentiment qu’il y a quelque chose de commun.

Benjamin Bayart : C'est un élément récurrent de la culture geek. Dans le livre de science-fiction de Douglas Adams, Le guide du voyageur galactique, le nombre 42 se trouve être la réponse à "la grande question sur la vie, l'univers et le reste". Problème : on ignore la nature de cette question. Cet univers (appelé H2G2, en référence au titre anglais, The Hitchhiker's Guide to the Galaxy, ndlr) est né à la fin des années 70, soit en même temps qu'internet. C'est l'époque des pionniers d'internet, c'est-à-dire du milieu des années 70 à la fin des années 80, voire début 90.

Qu'ils soient universitaires ou bricoleurs au fond d'un garage, tous ces pionniers sont des technophiles dans l'âme, sensibles à la littérature de science-fiction. C'est tout naturellement qu'on a retrouvé dans leurs références récurrentes le "42" de Douglas Adams que le "Gandalf" de Tolkien ou encore le Star Wars de George Lucas. Il est impressionnant de voir le nombre d'ordinateurs baptisés "Arrakis", du nom de la planète au centre de l'action dans le roman et film "Dune". "42" présente l'avantage d'être numérique, ce qui fait qu'il est employable partout : adresses IP, programmes, etc.

Pas de signification ou d'explication strictement mathématique, au même titre que le nombre d'or (Phi) ?

David Peyron : Pas à ma connaissance, mais l’avantage avec quelque chose aussi simple que ce nombre est qu’on peut lui faire dire ce que l’on veut et jouer avec à l’infini, c’est d’ailleurs tout son intérêt, tel un mème, ces images simples et faciles à partager que chacun peut détourner pour leur donner un sens, on peut investir le nombre de ce que l’on veut et pourquoi pas jouer avec les mathématiques. Par contre en binaire, le langage de base de tout dispositif informatique, le chiffre 42 donne une chose assez élégante : 101010. Cela fait qu’on peut aussi le retrouver parfois sous cette forme et que j’ai pu voir sur des forums geeks des individus fêter le nombre 42 le 10 octobre 2010 (10/10/10).

42 serait la réponse à la grande question sur la vie, l'univers et le reste... Vraiment ???

David Peyron : C’est le sens qui lui est donné par Douglas Adams qui a avoué d’ailleurs l’avoir choisi au hasard. Peut-être qu’on peut alors avec le langage des geeks et de la culture Internet, qualifier l’auteur de troll, une personne qui lance un élément dans le social qui va provoquer du trouble et il est vrai que beaucoup se sont creusés pour essayer de comprends ce qu’Adams avait voulu dire par là. Son statut de réponse universelle permet ensuite au chiffre 42 de devenir une réponse toute prête lorsque l’on ne sait pas répondre à une question.

De nombreuses légendes urbaines circulent dans la communauté geek à propos de lycéens qui auraient répondu 42 sur une copie de philosophie ce qui aurait plu à un professeur qui connaissait. De plus il est courant dans une discussion quotidienne où sur des forums de répondre 42 quand une question est posée et que personne n’en connaît la réponse. Le 42 devient alors un élément de vocabulaire et il est plus rapide et amusant d’écrire cela que "je ne sais pas".

Benjamin Bayart : Dans l'histoire de Douglas Adams, il s'agit initialement d'un trait d'humour, typiquement britannique : une race extraterrestre a construit un ordinateur extraordinairement compliqué, lui a demandé quelle était la réponse à "la grande question sur la vie, l'univers et le reste", et après 7,5 millions d'années de calcul, il la donne : "42", prenant le soin de préciser "j'ai vérifié très soigneusement, et c'est incontestablement la réponse exacte. Je crois que le problème, pour être tout à fait franc avec vous, est que vous n'avez jamais vraiment bien saisi la question"… Un humour digne des Monty Python !

Justement, cet engouement autour de 42 masque-t-il en réalité la croyance dissimulée qu'un simple nombre, une loi, pourrait être LA réponse à LA question, celle du but de l'univers, l'alpha et l'oméga ?

David Peyron : Oui, il peut y avoir de cela, dans le sens ou les fans et les geeks ont toujours eu un goût très particulier pour analyser leur objet de passion en détail, pour trouver ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et aller toujours plus loin pour comprendre ce qu’il y a derrière. On retrouve ici un lien entre fiction et informatique, une approche ludique qui consiste à tester la cohérence ; de nombreux geek que j’ai interviewés ont rapproché par exemple le fait de savoir trouver l’erreur dans des milliers de lignes de code et l’incohérence dans un monde de science-fiction, dans les deux cas c’est ce qui distingue ce qui marche de ce qui ne marche pas et cela invite chacun à réparer la chose.

Dans le domaine fictionnel cela peut être le fait d’écrire sa fanfiction et dans l’informatique cela peut être de participer soi-même à l’élaboration d’un projet (comme c’est le cas dans le domaine du logiciel libre). Tout cela nécessite une grande expertise, un ensemble de compétence acquises collectivement et la volonté de ne pas s’arrêter à la première couche mais de découvrir ce qui est derrière, comment les choses sont structurées et font sens. Par contre, n’y a pas forcément une métaphysique derrière ni un but ultime, mais le 42 symbolise bien cette idée d’aller plus loin et la culture populaire comme les objets technologiques qui ont tendance à effacer les traces de leur élaboration tout en laissant des portes d’entrée pour ceux qui veulent s’y plonger sont de bon supports de cette recherche sans fin de plus de profondeur. L’absurdité du 42 dit bien que l’important n’est pas de trouver la réponse mais de continuer à chercher ensemble.

Un dernier argument à destination des geekophobes ou parents qui seraient encore réticents ?

David Peyron : Le seul argument possible est intéressez-vous ! Généralement les critiques ne connaissent en fait pas ce monde et n’en voient que des aspects très superficiels qui du coup semblent très étranges et peuvent désarçonner. Cependant, si vous n’avez jamais assisté à une partie de football de votre vie, la subtilité des commentaires des passionnés va aussi vous déstabiliser, c’est la même chose pour le monde geek.

Mais une fois que vous avez écouté votre adolescent vous raconter en détail la richesse par exemple de sa partie de jeu vidéo en ligne, tout ce qu’il y a appris sur l’histoire, sur la technique ou sur la manière de fonctionner en équipe, vous verrez qu’il se passe en réalité beaucoup de choses et qu’on trouve même des détails cachés et une véritable culture qui mérite de la reconnaissance !

Benjamin Bayart : D'un côté, il y a la signification initiale de "42", c'est-à-dire pour ceux qui ont lu Douglas Adams, ou ceux qui ont vu le film. Au passage je recommande l'adaptation télévisée de la BBC, qui est bien plus proche de l'œuvre originale que ne l'est le film. Beaucoup de gamins qui aujourd'hui utilisent le chiffre 42 ne savent pas d'où celui-ci est tiré. Ceux qui utilisent internet depuis 30 ans le savent ; c'est devenu en quelque sorte un savoir d'initiés.

C'est le principe même d'une référence, comme lorsque des personnes utilisent le terme "mulot" pour désigner la souris d'ordinateur sans savoir que c'est un sketch des Guignols moquant l'ignorance de Jacques Chirac en matière d'informatique. Pour remonter plus loin, on peut aussi déplorer que plus grand monde ne sache d'où vient le mot "poubelle", du nom du préfet de Paris qui a instauré le ramassage des ordures dans des bacs...

Propos recueillis par Gilles Boutin et Franck Michel

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