Sommes-nous capables de nous protéger contre ces super drones capables d’attaquer à des milliers de kilomètres de leur point de départ ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les drones iraniens Arash 2 ont une portée supérieure à 2 000 kilomètres.
Les drones iraniens Arash 2 ont une portée supérieure à 2 000 kilomètres.
©ATTA KENARE / AFP

Rôle clé

Les drones à longue portée permettent de frapper des cibles situées très loin derrière la ligne de front opposant deux armées.

Thierry Berthier

Thierry Berthier

Thierry Berthier est Maître de Conférences en mathématiques à l'Université de Limoges et enseigne dans un département informatique. Il est chercheur au sein de la Chaire de cybersécurité & cyberdéfense Saint-Cyr – Thales -Sogeti et est membre de l'Institut Fredrik Bull.

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Atlantico : Quelle est l’importance des drones de longue portée aujourd’hui ?

Thierry Berthier : Les drones à longue portée permettent de frapper des cibles situées très loin derrière la ligne de front opposant deux armées. Les frappes dans la profondeur peuvent s’effectuer à partir de salves de missiles, d’opérations aériennes classiques opérées par des avions de combat et désormais par des escadrilles de drones de longue portée. On parle ici de rayon d’action dépassant les 1000 km. Certains drones de longue élongation peuvent atteindre des cibles situées à plus de 3000 km du point de décollage. L’emplois de ces « super drones » offre plusieurs avantages opérationnels :

·       L’absence de pilote dans le drone qui permet d’économiser des vies humaines et de potentiels prisonniers en cas d’interception de l’aéronef ;

·       Le faible coût (relatif) du drone par rapport au coût d’un avion de combat classique ou d’un missile de croisière et par rapport au coût de la cible ;

·       La capacité de manœuvres complexes d’évitement ou de « standby » du drone par rapport à un missile qui poursuit sa trajectoire jusqu’à sa cible ;

·       La diversité des missions opérées par ce type de drones : renseignement, désignation d’objectifs et de cibles, traitement de cibles de haute valeur dans la profondeur ;

·       La facilité d’organisation d’opérations dans la durée, avec répétition de salves provenant de sites multiples ;

·       Le faible niveau de logistique d’accompagnement d’une mission de drones de longue élongation.

Dans le cadre du conflit russo-ukrainien, l’Ukraine achète et produit désormais des « super drones » offrant des élongations de 1000 km à 3000 km. Ces systèmes armés permettent à l’armée ukrainienne de frapper des cibles sur tout le territoire russe, en particulier des infrastructures critiques, des usines d’armement, des aéroports militaires, des raffineries, des ports, des ponts, des centrales électriques. Les drones ukrainiens longue portée rééquilibrent la confrontation face aux salves de missiles de croisière russes qui frappent durement l’Ukraine dans la profondeur, d’Est en Ouest. Avec ces « super drones » l’Ukraine envoie un message de réciprocité à l’adversaire russe.

L’Iran a utilisé un grand nombre de drones longue portée durant son attaque du 14 avril 2024 contre Israël, en particulier des drones longue portée SHAHED 136. La portée opérationnelle estimée du Shahed-136 varie, mais l'Iran affirme que son drone est capable de parcourir jusqu'à 2 500 kilomètres. L'armée israélienne a déclaré que l'Iran avait tiré environ 170 drones, qui ont tous été interceptés. Le Shahed-131, légèrement plus petit et plus ancien, a une portée estimée à 900 kilomètres. Lancé en 2021, le Shahed-136 peut voler à une vitesse maximale d'environ 185 kilomètres par heure seulement, ce qui le rend très vulnérable à l'interception. Sa capacité de charge utile – environ 50 kilogrammes – est également limitée mais permet de détruire des cibles dans la profondeur. En quelques années, l’Iran a su devenir un producteur majeur de drones aériens. Elle produit également des drones de combat plus avancés, notamment le Mohajer-6 ainsi que le Shahed-129 et le Shahed-191. Ces drones affichent des élongations importantes qui permettent à l’Iran d’opérer facilement en dehors de ses frontières :  Shahed-129 (1 700 km); Gaza (2 000 km); Mohajer (2 000 km); Arash-2 (2 000 km); Shahed-136 (2 500 km); Kaman-122 (3 000 km).

Drones iraniens SHAHED 136 dans la base de lancement

Anatomie du drone SHAHED-136 « Géran-2 »

Le drone iranien souffre de deux défauts majeurs : une absence de furtivité puisque son moteur thermique est très bruyant (Il est parfois comparé à un moteur de tondeuse à gazon). Le second défaut est sa faible vitesse de croisière et sa faible vitesse maximale de 185 Km/h. Cette lenteur le rend particulièrement vulnérable aux interceptions Air-Air, Sol-Air et à la détection précoce par les systèmes anti drones.

D’une façon générale, il faut souligner que l’élongation maximale n’est jamais le seul critère de qualité pour un drone d’attaque. Ainsi, l’acronyme VAMAFER résume bien la liste des qualités recherchées et des développements R&D actuels : VAMAFER signifie {Hyper Vélocité (V) ; Hyper Autonomie (A) ; Hyper Miniaturisation (M) ; Hyper Agressivité (A) ; Hyper Furtivité (F) ; Hyper Endurance (E) ; Hyper Résilience (R)}. Le plus souvent un drone aérien d’attaque ne présente que quelques-unes des qualités VAMAFER. Plus il en est doté, meilleur il se comportera sur le terrain, au combat et plus on pourra le qualifier de « Super drone ».

Sources : Thierry Berthier

Quels sont les pays qui ont une longueur d’avance avec ces super drones ?

De nombreux pays ont parfaitement mesuré l’intérêt stratégique de développer leur propre filière industrielle de drones aériens, terrestres, naval de surface et sous-marins. Presque tous les pays du monde possèdent des constructeurs ou assembleurs de drones sur leur territoire. Les cas d’usages peuvent relever du domaine militaire comme du domaine civil, industriel, agricole, transports, logistique, sécurité, construction BTP, etc… Le secteur de la robotique est totalement dual « civil-militaire ». C’est ce qui rend son « ticket à l’entrée » relativement faible et ce qui accélère fortement l’innovation. Les transferts technologiques se font en boucle courte dans les deux sens, du militaire vers le secteur civil et réciproquement. Il est par exemple très simple de transformer un drone aérien agricole de pulvérisation de traitement phytosanitaire et un drone militaire porteur de charge ou de grenades. La concurrence est donc rude et mondiale ! On retrouve les poids lourds industriels chinois, américains et russes en haut du classement des « puissances drones » mais également un second cercle de pays producteurs, très proches du trio de tête :  L’Iran, la Turquie, Israël, L’Inde, Les deux Corées, la Biélorussie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Estonie, la Pologne, et l’Ukraine. L’un des effets collatéraux du conflit russo-ukrainien est la montée en puissance rapide de l’Ukraine dans la liste du top10 des pays producteurs de drones aéroterrestres et navals. Lorsque la guerre prendra fin, le premier pays européen producteur de drones sera l’Ukraine, loin devant la concurrence (!).

La France occupe une position particulière dans le paysage mondial de la robotique aéroterrestre avec des champions de niveau mondial qui, et il faut le souligner, n’ont jamais bénéficier de soutien local… En robotique terrestre, SHARK est le leader mondial des robots pompiers et de la robotique en milieux extrêmes. Pour le secteur aérien, le groupe PARROT (français) est le numéro deux mondial des mini drones quadcoptères, derrière le leader chinois DJI. En tant que leader européen, PARROT a su créer une dynamique au sein de la base industrielle de robotique. De nouveaux champions émergent en France comme la société EOS TECHNOLOGIE qui est, de très loin, le constructeur français de drones aériens de longue endurance le plus innovant. EOS communique peu et concentre ses efforts sur l’innovation. On pourra d’ailleurs assister à une « Première mondiale » en juin prochain lors du salon international EUROSATORY avec la présentation officielle d’un nouveau type de drone aérien Hyper Véloce développé par EOS TECHNOLOGIE. Ce drone, totalement disruptif, peut être qualifié de « Super Drone » et ce drone est français (!). Dans beaucoup d’autres domaines technologiques, la France à raté des trains et perdu des batailles face aux écrasantes concurrences américaines et asiatiques. Il se trouve que la compétition de la robotique mobile et des drones reste ouverte à de nouveaux compétiteurs et que l’industrie française y figure en très bonne position avec les champions cités auquel il faut ajouter la douzaine de droniste aériens français qui réalisent des performances au niveau international.

Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse grand public depuis quelques mois, notre base industrielle des drones aériens est bien constituée de cette douzaine de constructeurs dronistes français qui innovent régulièrement et n’est en aucun cas réduite à un seul droniste, fusse-t-il très bon en communication. 

Quels sont les moyens défensifs pour se protéger de ces drones ? 

La Lutte Anti Drones (LAD) est, par définition, une activité très complexe. Physiquement et algorithmiquement, il est plus facile de mener une attaque par un groupe de drones kamikazes ou munitions téléopérées (MTO) que de contrer cette attaque. L’avantage est à l’attaquant. Il existe plusieurs techniques de LAD Sol-Air à partir de canon laser, de canons à impulsions électromagnétiques ou de canon mitrailleurs classiques. Ces méthodes de LAD s’appuient sur des systèmes de détection radar et de suivi sophistiquées, qui fonctionnent avec différents niveaux d’efficacité en fonction du contexte et des caractéristiques du drone attaquant. Concrètement, un drone hypervéloce de nouvelle génération (cf. EOS TECHNOLOGIE) qui vole très vite, potentiellement à très basse altitude sera plus difficile à intercepter qu’un SHAHED 136, lent, bruyant, audible et visible. Quand il s’agit de mini drones, tout dépend de leurs niveaux de furtivité, de leurs vitesses et accélérations maximales et de leurs niveaux d’autonomie et d’IA embarquées. Plusieurs paramètres interviennent dans le calcul de la probabilité d’interception du drone par un système de LAD. Si l’attaque est produite par une escadrille comportant de nombreux drones ou par un essaim de drones s’appuyant sur des algorithmes essaims pour déterminer la trajectoire des vecteurs, alors l’attaque devient très vite saturante pour les systèmes de défense. Une attaque saturante est difficile, voire impossible, à contrer par les systèmes actuels. Une escadrille constituée de 50 drones porteurs de charges explosives peut être considérée aujourd’hui comme saturante. Certains drones seront neutralisés durant l’attaque par les systèmes de LAD mais certainement pas la totalité du groupe. Les drones rescapés convergeront et atteindront leur cible. Afin de compléter les moyens terrestres de LAD, nous travaillons sur le concept de drone aérien intercepteur de drone en imitant ce qu’a été le début du combat aériens durant la première guerre mondiale. Il s’agit de réinventer ce combat avec des aéronefs miniaturisés, accélérant rapidement, volant très bas et manœuvrant dans toutes les directions. Les premiers drones intercepteurs ont été produits notamment par le leader américain du domaine (ANDURIL, ANVIL). La France n’est pas en reste puisque le constructeur français AERBORNE a produit et testé un premier drone intercepteur et poursuit son développement d’un drone Racer Intercepteur capable de poursuivre un drone hostile, de le rattraper comme un missile et de rentrer en collision à grande vitesse pour le neutraliser. Le concept de drone Racer Intercepteur se généralise ensuite à l’essaim intercepteur d’essaim (SCS pour Swarm Counter Swarm). Ces développements semblent naturels et simples sur le papier. Ils sont au contraire d’une grande complexité car ils mobilisent les meilleures expertises dans différents segments de R&D.

La France est-elle en capacité de se protéger face à une potentielle attaque ? 

La France est très bien placée en matière de LAD avec plusieurs grands acteurs industriels de niveau mondial : THALES et son système LAD PARADE, Aéroport de Paris ADP Group et sa filiale HOLOGARDE avec son système LAD BASSALT. ADP HOLOGARDE sécurise ainsi plus d’une centaine d’aéroports et de sites sensibles contre les incursions et attaques par drones. Plusieurs startups spécialisées en canons antidrones (systèmes Sol-Air) ont montré leur efficacité et leur inventivité face à des menaces grandissantes. La France fait objectivement partie des pays leaders LAD mais le combat n’est jamais gagné définitivement. L’innovation permanente en cycles courts donne naissance à des (vecteurs) drones de plus en rapides, autonomes, furtifs, agressifs pour des coûts très accessibles à des acteurs malveillants. L’avantage se situe clairement dans le camp de l’attaquant. La compétition entre le glaive et le bouclier ne fait que commencer. La France entend bien maintenir sa très bonne position dans les classements mondiaux drones et LAD mais les défis technologiques et les enjeux de sécurité sont colossaux. C’est la raison pour laquelle, le soutien de la filière drone doit s’adresser à l’ensemble de l’écosystème en privilégiant toujours la performance au détriment de la connivence.

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