L’autre problème d’Israël, le coût stratosphérique de la guerre à Gaza<!-- --> | Atlantico.fr
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Un soldat israélien brandit un drapeau depuis un char du côté israélien de la frontière, le 28 janvier 2024
Un soldat israélien brandit un drapeau depuis un char du côté israélien de la frontière, le 28 janvier 2024
©MENAHEM KAHANA / AFP

Déficit budgétaire

Alors que les États-Unis s'opposent à une offensive majeure d'Israël à Rafah, l'État Hébreu est confronté à un autre problème dans le cadre de la guerre qui l'oppose au Hamas : la dette.

Bruno Melki

Bruno Melki

Journaliste et scientifique, Bruno Melki se sert de faits et de chiffres afin de comprendre la réalité. 

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Atlantico : Cela fait 7 mois maintenant, que la guerre déclarée par Israël au Hamas se poursuit. Le sujet a été beaucoup discuté, mais l’un de ses aspects est régulièrement oublié lors des débats : il s’agit de la question financière. Quel est le bilan financier, pour Israël, de l’effort de guerre engagé ?

Bruno Melki : Le bilan financier de la guerre contre le Hamas est très élevé. Le magazine Bloomberg, qui a calculé les sommes dépensées jusqu’à présent, le chiffre à 16 milliards de dollars américains pour le moment. D’ici 2025, il pourrait grimper jusqu’à 67,7 milliards de dollars d’après leurs estimations. C’est un coût particulièrement élevé, dont d’aucuns pourraient arguer qu’il est excessif, mais qui s’explique par le fait que la guerre qu’Israël mène contre le Hamas est très technologique. Or, la technologie coûte très cher. Il faut bien comprendre que chaque obus, envoyé par la bande de Gaza, bien que fabriqué artisanalement peut-être envoyé à plusieurs kilomètres à l’intérieur des lignes israéliennes. Et si Israël a des raisons de penser qu’il risque de toucher un centre de population ou un endroit important, il sera intercepté par le dôme de fer. Chaque interception par le dôme de fer nécessite des centaines de milliers de dollars d’investissement. Les dégâts occasionnés par le Hamas ne sont pas seulement matériels : ils sont aussi financiers. 

Ceci étant dit, c’est une question qui n’est pas très abordée en Israël, parce que nous estimons ici que la vie d’une personne n’a pas de prix. Quand il s’agit de sauver des vies, on ne compte pas. C’est ainsi que l’on procède depuis le début du conflit. Bien évidemment, après 7 mois, le coût grimpe très haut. 

Dans le détail, c’est certainement le dôme de fer qui coûte le plus cher. Il faut aussi tenir compte du coût que représente l’engagement et la mobilisation des réservistes. Permettez-moi d’illustrer pourquoi avec un bref exemple : dans le cadre de mon activité professionnelle, j’ai été amené, environ un an avant le début de cette guerre, a embaucher un étudiant à temps partiel pour mon entreprise d’analyse de données. Il étudie les sciences des données à la FAC de Jérusalem. C’est un métier dans lequel les étudiants quittant la FAC après l’obtention de leur diplôme peuvent espérer gagner environ 10 000 euros en première paye, en Israël. Le secteur connaissant une forte expansion, ils sont très demandés. Cet étudiant ne travaillait qu’un jour par semaine pour moi. Quand il a été mobilisé et a dû partir au front, j’ai commencé à recevoir le montant que lui versait la sécurité sociale israélienne sur son salaire d’alors. Dans les faits, j’ai reçu six à sept fois ce que je le payais, puisque, à l’armée, il travaille maintenant sept jours sur sept. C’est une réalité qui se confirme pour l’ensemble des réservistes. Ils sont plus de 300 000. Autant dire que c’est un budget conséquent. 

Il faut aussi évoquer le coût du développement du matériel, qui est très élevé. Les Israéliens travaillent d’arrache-pied en R&D qui est particulièrement onéreuse afin de faire chuter les coûts de production de la technologie employée. Il y a aussi les aides qui ont été versées aux entreprises touchées par le conflit, qu’il s’agisse de société dont les bâtiments et les usines ont été frappées par des tirs ou des assauts… mais aussi de celles dont les travailleurs ont dû partir au front et qui ne peuvent donc plus exercer comme cela peut être le cas de mon business. Tout cela réuni nous amène forcément à une enveloppe plus que conséquente.

D’aucuns affirment, à la banque centrale, que le coût final de la guerre pourrait s’élever à 67,6 milliards de dollars en 2025. L'effort de guerre engagé par Israël est-il soutenable au regard de son budget ? Dans quelle mesure l’argent peut-il constituer un danger pour l’Etat Hébreu dans ce conflit ?

Nous en avons un peu parlé précédemment, mais force est de constater qu’en Israël, c’est une question que l’on préfère ne pas aborder. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de faire l’autruche et de se refuser à voir la vérité en face. Non, c’est simplement que l’économie israélienne, avant le début du conflit, était particulièrement solide et qu’elle reste très résiliente aujourd’hui. Revenons-en, pour mieux comprendre, à la période Covid : à l’époque, la dette d’Israël représentait environ 60% de son PIB ; contre 100% peu ou prou pour la France. Nous sommes sortis de la crise sanitaire avec des dépenses excessives et bien que le gouvernement de Netanyahou a été considérablement attaqué par les oppositions, jugeant qu’il avait dépensé de l’argent à tire-larigot, nous sommes arrives a un ratio de 70% de notre PIB seulement. Toujours moins qu’en France, donc.

Notons d’ailleurs que la plupart des agences de notations internationales ont préféré ne pas dégrader la note d’Israël. Mais à l’évidence les agences de notations internationales ont mieux saisi la nature même de la situation économique de l’état.

La dette israélienne fait l’objet d’un examen minutieux de la part des agences de notation internationales. Faut-il s’attendre à ce que la note de l’Etat Hébreu soit dégradée ? Quel signal cela viendrait-il envoyer ?

Je crois surtout que le choix des agences de notation internationale illustre la force et la résilience de l’économie israélienne. Oui, la guerre coûte excessivement cher pour Israël. Mais pour l’heure, notre économie demeure solide. Les bases de notre économie ne sont pas toutes touchées par cette crise. Le domaine du high-tech, par exemple, continue d’exercer ainsi qu’il le faisait auparavant, à peu de choses près. Intel, par exemple, n’a pas manqué de livraison pendant toute la durée de l’épidémie de covid. C’est vrai aussi depuis le début du conflit. A cet égard, la résilience de la population israélienne est effarante, y compris pour les israéliens. Les agences le comprennent certainement. 

Tout le monde comprend bien, ici, qu’il est nécessaire de continuer à faire travailler le pays. Ce n’est pas une question de choix : sans cela, il n’est simplement pas possible de monnayer la guerre qui, nous l'avons dit, coûte énormément d’argent. Bien sûr, le choix de l’une des agences de notation de dégrader la note de l’Etat Hébreu peut inquiéter. Mais beaucoup ici préfèrent balayer cette analyse en souriant plutôt que de se laisser abattre alors que pour l’essentiel l’économie continue de tourner. Qu’elle doit continuer à tourner. 

Comment lire la décision de Joe Biden de conditionner le soutien des Etats-Unis à Israël à l’absence d’attaque sur Rafah, au vu et au su de tous les éléments précédemment évoqués ?

Pour l’essentiel, la population juive israélienne estime qu’il est indispensable de prendre Rafah. C’est une condition sine qua non de survie. Ce n’est pas quelque chose que les Européens ou les Américains semblent comprendre, quand bien même certains saisissent la nature de cette angoisse. Si l’armée israélienne ne prend pas Rafah, si elle ne va pas déloger les bataillons du Hamas qui y sont installés, le 7 octobre sera mécaniquement amené à se reproduire. Le Hamas l’a dit : il entend, s’il le peut, exterminer les Juifs. Dès lors, la réponse israélienne consiste forcément à rentrer à l’intérieur de Rafah, idéalement sans énerver les Français, les Allemands, les Américains ou les autres. C’est ainsi que la question est abordée ici. C’est une question de « comment entrer » et non pas une question  de « est-ce que nous le devons » 

Même si la politique du gouvernement est critiquée ici aussi, en Israël, et la critique formulée par les oppositions peut s’avérer mordante, la quasi totalité de la population considère que l’objectif final est bien la victoire sur le Hamas et cela passe par l’entrée dans Rafah. Personne, ici, n’estime qu’il ne faudrait pas entrer dans Rafah même si le président Biden conditionne l’aide militaire qu’il entend apporter à Israël, d’autant que c’est le genre de discours que les israéliens ont l’habitude d’entendre en provenance de leurs alliés occidentaux. Particulièrement dans le cadre d’une campagne électorale comme cela peut être le cas pour le président américain. 

Cela n’empêche pas la population d’être reconnaissante pour l’aide déjà apportée. Mais ce genre de discours tend à beaucoup frustrer, ici, parce qu’il donne du kérosène au Hamas, qu’il tend à prolonger le conflit. Pour de nombreux Israéliens, il y a une crainte bien identifiée : elle correspond à l’idée que, en multipliant ce genre de déclaration, l’Occident vienne nourrir les espoirs du Hamas et les revendications de celui-ci. Cette frustration est encore plus prononcée contre l’Union européenne, dont l’aide - quoique bien réelle – est moins visible ici.

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