Au revoir les cycles économiques ? Ces économistes qui pensent que l’alternance de phases de récessions et de croissance est un phénomène du passé <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon certains économistes, la structure actuelle de l’économie atténue les périodes de crises.
Selon certains économistes, la structure actuelle de l’économie atténue les périodes de crises.
©Philippe HUGUEN / AFP

Embellie économique

Selon certains économistes et universitaires, l’économie américaine serait actuellement moins vulnérable aux cycles d’expansion et de récession qu'autrefois.

Nathalie Janson

Nathalie Janson

Nathalie Janson est professeur associé d'économie au sein du département Finance à NEOMA Business School. Elle a obtenu son Doctorat en Economie à l'Université Paris I-La Sorbonne en collaboration avec le programme ESSEC PhD.

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Atlantico : Selon la doctrine classique, l’économie est faite de cycles, à la croissance suit une période de crise et ainsi de suite. Comment jugez-vous ce principe ?

Nathalie Janson : Le National Bureau of Economic Research (NBER) est une référence en matière d’analyse des cycles économiques. Il a créé en 1978 le Business Cycle Dating Committee afin de répertorier les cycles aux USA. Un comité équivalent a été créé par le CEPR en 2003, de même en France par l’Association française de Sciences Economiques AFSE, le comité étant composé de 9 économistes avec comme objectif d’identifier les points d’inflexion du cycle de l’économie française et d’établir une chronologie.

La définition du cycle communément admise est celle donnée par le NBER aux USA. Le cycle est défini par une succession de phases de croissance économique positive – expansion - et de phases de d’activité déclinante – croissance négative. Ces différentes périodes sont délimités par des pics (niveau le plus élevé d’activité) et creux (le niveau le plus bas) correspondant à des points d’inflexion du cycle- (voir le graphique ci-dessous) :

On définit communément une période de récession lorsque le taux de croissance du PIB baisse pendant 2 trimestres consécutifs. En réalité, le cycle économique est plus difficile à identifier, cette définition ne se focalisant que sur une dimension du cycle, la baisse de la croissance du PIB. Les économistes Burns et Mitchell (1946) définissait une récession économique comme « une baisse significative de l’activité économique dans diverses industries durant plus que quelques mois. Cette baisse significative affecterait le PIB, l’emploi, la production industrielle, les ventes industrielles et le commerce ». Les économistes américains se réfèrent ainsi aux 3 « Ds » : « duration, depth and diffusion » en français : durée, profondeur et diffusion.Pour la durée, on retient un minimum de 6 mois d’où la définition en général retenue par les journalistes de baisse du taux de croissance au cours de 2 trimestres consécutifs. En réalité, la basse du taux de croissance n’est pas une variable suffisante pour qualifier une récession, il faut y associer la profondeur et la diffusion. C’est pourquoi il est important de prendre en compte d’autres variables comme l’emploi, la production industrielle ou bien encore le revenu des ménages. En France, le comité dédié adopte à la fois une approche quantitative - à travers des estimations économétriques – et qualitative à travers l’analyse d’experts – économistes, conjoncturistes…-. Selon ses analyses, la France a connu 5 cycles depuis les années 1970 : les chocs pétroliers de 1974-75 et 1980, le cycle d’investissement de 1992-93, la Grande récession de 2008-09 conséquence de la crise des Subprimes et la crise sanitaire Covid-19. Comme on peut le voir, les origines des cycles sont diverses et les facteurs y contribuant souvent multiples même si on attribue souvent une origine principale comme le cycle réel, monétaire ou d’anticipation.

Une équipe de chercheurs affirme que ce modèle appartient au passé, que la structure actuelle de l’économie atténue les périodes de crises. Sur quoi se base cette théorie ? Sur quelles données s’appuie-t-elle ?

En fait cette affirmation n’est pas nouvelle. Le NBER a effectué une analyse des cycles économiques aux USA, en Angleterre, France et Allemagne sur la base de séries de données longues. Cette étude montre que pour les 4 pays, il existe bel et bien des cycles économiques qui leur sont propres même s’ils partagent des caractéristiques communes.Cette étude historique montre des épisodes violents d’alternance de croissance et récession, des dépressions persistances mais aussi des périodes de grandes tranquillités dont la période récente d’où cette idée de cycles qui s’atténueraient. En théorie économique, le cycle est une perturbation de l’état naturel de l’économie qui devrait être la croissance. Le fait que l’économie s’éloigne de son chemin de croissance naturelle ne peut s’expliquer que par des chocs non anticipés. On a souvent considéré que l’économie américaine était devenue plus stable après la seconde guerre mondiale. En réalité, on a observé des contractions de l’activité plus courtes, moins fortes et moins fréquentes avec en revanche des phases persistantes de croissance réelle et d’inflation.

On attribue souvent l’atténuation des cycles aux facteurs suivants :

1- L’emploi moins cyclique en raison d’une production davantage tournée vers les services

2- L’accroissement du secteur public dans l’économie, ce secteur étant acyclique par nature

3- Le rôle croissant des stabilisateurs économiques dont la politique budgétaire contra-cyclique afin de stabiliser la demande.

4- La politique monétaire stable et prévisible

5- La combinaison des politiques monétaires et fiscales afin de stabiliser les chocs externes comme dernièrement avec le cas de la pandémie COVID.

6- La plus grande certitude macroéconomique aurait un effet vertueux sur les acteurs économiques qui auraient une plus grande confiance. La modération observée des cycles engendrerait une anticipation favorable des conditions économiques, un certain rôle des anticipations endogènes et auto-réalisatrices dans le renforcement de la tendance macroéconomique. 

Plus généralement, le fait que nous soyons aujourd’hui dans une économie de la Big data contribue à améliorer l’adéquation de l’offre à la demande, réduit les stocks par exemple. En outre, le développement de la finance de marché, a également permis de développer une diversité d’outils pour gérer les risques contribuant à diminuer les fluctuations.

Selon vous, ce modèle est-il crédible et sommes-nous arrivés à la fin des cycles économiques ?

Les cycles économiques existeront toujours, ne serait-ce qu’en raison de l’existence de chocs externes totalement imprévisibles comme la pandémie. Par ailleurs, on peut aussi remettre en cause en cause le postulat de départ selon lequel l’économie aurait un sentier de croissance naturellement positif et défendre l’idée que les cycles sont une composante structurelle du développement économique qui n’est pas linéaire. Néanmoins, le développement de l’informatique et d’internet a donné accès à une formidable base de données et à la possibilité de construire des outils de prévision plus performants. Ces éléments marquent un tournant dans la gestion de l’incertitude et participe sans aucun doute à éviter certains cycles. En revanche, aujourd’hui, on voit bien que le rôle des politiques économiques est important dans la stabilisation de l’économie, le confinement a eu des conséquence somme toute limitée. En revanche, ces actions massives – notamment la multiplication des épisodes de politique d’assouplissement monétaire – nous a fait entrer dans une période où les conséquences sont plus compliquées à prévoir. On peut en voir l’illustration dans le retard avec lequel les banques centrales ont compris que l’inflation n’était pas transitoire et son corollaire aujourd’hui avec la difficulté d’appréhender la fin de l’épisode.

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