Euthanasie : ces revendications de droits individuels qui se retournent implacablement contre les individus<!-- --> | Atlantico.fr
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L’examen du projet de loi pour la fin de vie à l’Assemblée nationale a débuté lundi.
L’examen du projet de loi pour la fin de vie à l’Assemblée nationale a débuté lundi.
©SIMON WOHLFAHRT / AFP

Logique à l'oeuvre

L’examen du projet de loi pour la fin de vie à l’Assemblée nationale a débuté lundi.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : L'un des grands arguments évoqués par les partisans du droit à mourir porte sur l'émancipation des individus dont les choix personnels devraient systématiquement s'imposer aux considérations liées à la cohésion du groupe. Mais à quoi nous amène cette logique à l'œuvre depuis plusieurs décennies ?

Damien Le Guay : Il y a dans ces débats de société, et en particulier sur celui relatif à l'euthanasie, un conflit de logique. Ceux qui sont favorables à l'aide à mourir considèrent et mettent en avant comme argument que tous les droits supplémentaires accordés aux individus n'ont aucun effet de contagion sur les autres individus. Un droit donné à l’un ne retire rien à personne et ne modifie en rien sa liberté. Cela laisse à penser qu'effectivement, il y aurait, selon cette logique, des individus séparés les uns des autres avec des couloirs de droits qui seraient indépendants les uns des autres. La société serait une juxtaposition d’individus dotés de droits et hermétiques entre eux. D’après eux, nous serions au stade ultime de l'individualisme, au sens où l'individu serait maître et possesseur de lui-même, de ses droits et de sa liberté, sans que ces droits et cette liberté n’affectent les autres individus. Cet individu au bout de sa logique moderne, qui n’a plus conscience de vivre en société, serait autonome, isolé, fort de ses droits, jouissant de sa liberté individuelle sans solidarité avec les autres. A chacun ses droits ;  et les droits des uns ne changeraient rien quant aux libertés des autres.  Par opposition à cela, une autre logique apparaît du côté de ceux qui considèrent que cette inflation des droits individuels a des effets de contagion de tous à l’égard de tous considérant que nous sommes, que nous le voulions ou non, ensemble, soucieux des droits de chacun et influencés par les droits accordés à tous et à chacun. Cette autre logique laisse à penser que plus l’individu est livré à lui-même, plus il est soumis au processus d’égalité – a savoir cette jalousie des droits accordés aux uns et pas aux autres, cette méfiance à l’égard des autres et, en même temps, « cette confiance presque illimitée dans le jugement du public » selon ce qu’en dit Tocqueville. Cette jalousie, cette méfiance et cette confiance irrationnelle sortent les individus de leur petite tranchée pour voir ailleurs, par-dessus la barrière de leurs droits, ce qui est donné aux autres au point de se laisser influencer par l’usage que les autres font de leurs libertés. Tout tient, nous dit toujours Tocqueville, à cette similitude. Nous sommes tous égaux – dans la défiance et la confiance. Nous ne nous contentons pas de nos droits accordés. Il importe de les comparer aux autres. Comparaison est raison démocratique. Alors s’imposent cette défiance irrationnelle et cette confiance tout aussi irrationnelle. Cette logique de similitude qui est à l’œuvre fait que nous sommes en société non par affectio societatis mais par ce conflit des désirs et ce besoin de se rassurer par le désir de l’autre ou de s’aligner sur la volonté de tous. Nous sommes raccordés à la société a posteriori – et non a priori comme pour les sociétés traditionnelles – par une sorte d’inter-subjective répulsive et de dépendance de réassurance. Je me mets à distance des autres et me rassure en faisant comme eux. Je me crois autonome mais fini par faire comme tout le monde tout en croyant n’en faire qu’à ma tête. Là est le paradoxe des démocraties travaillées par le souci d’égalité poussé jusqu’au bout. Cela est vrai aussi pour ma manière de vivre et de mourir, de m’habiller, de consommer et de choisir ma mort.

Le débat qui n'apparaît pas est celui d'un conflit entre une conception de la société d'individus autonomes, séparés les uns des autres, qui peuvent avoir autant de droits que possible pour chacun, indépendamment de tout effet pour les autres ; et d'autre part, une conception sociétale ou une conception de l'individu qui reconnaît que nous sommes en dépendance sans le savoir, sans assumer cette dépendance tant est puissant notre revendication d’indépendance. Nous sommes des indépendants (fiers de cette liberté de chacun) soucieux de nous ressembler par jalousie et de nous imiter pour conforter notre liberté. 

Pascal Neveu : Votre question est multifactorielle, très intéressante.

Elle ramène à l’origine de la vie et la pensée de la mort… de SA mort et la façon dont nous la pensons, nous nous l’approprions en fonction de notre religion, de notre éducation, de notre capacité psychique consciente de la mort à venir, de la famille, de l’anticipation de la mort, de la peur de la souffrance, du passage en soins palliatifs.

Nous allons détailler les chiffres.

Mais il est au niveau de toutes les études que la question de la mort est collective depuis le Néolithique avec des rituels et la façon de penser sa mort et panser la mort… naturelle, maladie ou par suicide.

Une mort « touche » 500 personnes en moyenne et invite à un rituel totalement orchestré. J’ai écrit sur ces rituels « manqués » lors de la pandémie COVID.

La cohésion sociale passe par le moment où on signe une convention funéraire, où on orchestre cette sortie de la vie car toutes personnes avec lesquelles j’ai pu rencontrer (quelles soient célèbres comme François Hardy le souhaitant, ou Anne Bert l’accomplissant, ou Olympe dont le collège d’expert l’a interdit ). Mais passe aussi par le fait que nous n’avons pas choisi de vivre (et parfois comme je l’entendais encore hier en consultation que les médecins avaient dit « c’est votre enfant ou vous ! »…)

Question d’émancipation ?

Référence juridique : « Une fois émancipé, le mineur n'est plus sous l'autorité de ses parents et a la capacité juridique, aptitude d'une personne (physique ou morale) à avoir des droits et des obligations et à les exercer elle-même ». Cela vient toucher une loi Belge sur le sujet puisque qu’un mineur a le droit d’une fin de vie depuis 2015.

Je reviendrai sur les chiffres qu’il faut connaître avant de sortir les bandeaux d’extrémistes et bien connaître la loi ainsi que les conditions très strictes.

Mais pourquoi la Belgique (pays tant pragmatique avec mon amie ancienne Ministre de la Santé Wallone), l’Espagne (réputée très conservatrice mais ayant fait voter le mariage gay en 24h, et la fin de vie en peu de temps), et tant d’autres pays, sauf la France… osent voter favorablement alors que nous, nous bloquons sur la façon dont nous voulons mourir dans la dignité ? Mais aussi la Suisse qui autorise le suicide assisté dont une association très sérieuse et 2 autres poursuivies en justice.

La cohésion sociale passe par le désir commun de vivre sa mort… sans souffrance.. dans son désir où comme Freud l’aurait écrit « Je vis ma mort comme j’ai vécu ma vie… mais celle ci je l’aurais décidée ».

Il n’y a rien d’individualiste ni d’égotique même si on peut programmer ses obsèques avec choix musicaux, et d’ailleurs les études des PFG  (Pompes Funèbres Générales) montrent tout l’intérêt d’un dernier « adieu » selon les volontés du défunt.

Quand vous allez saluer un mourant, quand vous vous rendez dans des services… quand vous sentez la souffrance, quand le mourant vous salue de la main et meurt dans la nuit… quand vous lisez un hommage lors de ses obsèques.. la cohésion prend sens, tout comme les pleurs… qui ne sont finalement que de l’amour face à la personne décédée.

Quels sont les exemples concrets des conséquences des revendications des droits individuels qui se retournent contre les individus ? Quelle est la réalité de notre société sur la question de la solitude ou sur la consommation d’anxiolytiques notamment ?

Pascal Neveu : C’est effectivement un sujet problématique. Pardon pour les chiffres.

Selon le Baromètre Santé sur les niveaux d'usage et évolutions récentes de la consommation de médicaments psychotropes en France. 16 millions de personnes parmi les 11-75 ans ont déjà pris des médicaments psychotropes en France. Les plus consommés sont les anxiolytiques, devant les hypnotiques et les antidépresseurs. Ce sont les cadres qui en consomment le moins, les ouvriers et les employés qui en consomment le plus. La prise de médicaments psychotropes peut accompagner la prise en charge de pathologies somatiques ou de difficultés socio-professionnelles de tous ordres, et des ruptures conjugales ou familiales.

En France, plus d'un quart des Français consomme des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères et autres médicaments pour le mental12. 150 millions de boites sont prescrites chaque année1. En 2020, les Français ont consommé en moyenne 5,5 doses de ces médicaments par jour pour 100 habitants, ce qui les place dans la moyenne basse des 28 pays de l'OCDE étudiés3. Les anxiolytiques sont les médicaments psychotropes les plus consommés en France, devant les hypnotiques et les antidépresseurs2. En 2015, près de 13,4% de la population française a consommé au moins une fois une benzodiazépine, ce qui place la France au 2e rang de la consommation de cette molécule en Europe, derrière l’Espagne4.

Antidépresseurs et régulateurs de l'humeur
Hommes: 1.362.300
Femmes: 2.880.900

Anxiolytiques
Hommes: 1.436.100
Femmes: 2.671.400

Hypnotiques
Hommes: 625.000
Femmes: 1.077.300

Neuroleptiques
Hommes: 524.300
Femmes: 544.300


Mais retenez, outre la solitude qui est également un sujet tellement tabou, surtout ces chiffres de Belgique :

Communiqué de presse de la Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie – CFCEE

27 févier 2024 : EUTHANASIE – Chiffres de l’année 2023

Ces chiffres concernent les documents d’enregistrement des euthanasies pratiquées

Le nombre de documents d’enregistrement reçus en 2023 a été de 3423. Le nombre d’euthanasies enregistrées a augmenté de 15 % par rapport à 2022. La proportion de décès par euthanasie déclarés en 2023 a été de 3,1% (contre 2,5% en 2022) de l’ensemble des décès dans notre pays (source StatBel 25.01.2024).

70,7 % des patients étaient âgés de plus de 70 ans et 42,1 % avaient plus de 80 ans. L’euthanasie chez les patients de moins de 40 ans reste très peu fréquente (1,1 %). Ce sont surtout les patients des tranches d’âge 60, 70, 80 ans qui demandent l’euthanasie (74,7 %). Le groupe de patients le plus important concerne la tranche d’âge entre 70 et 79 ans (28,6 %).

En 2023, une seule déclaration relative à l’euthanasie d’un mineur a été enregistrée, la Belgique l’autorisant.

Le pourcentage d’euthanasies ayant eu lieu au domicile a encore diminué en 2023 (48,6 % contre 50,5% en 2022), tandis que le pourcentage d’euthanasies ayant lieu dans les maisons de repos et maisons de repos et de soins continue d’augmenter (17,6 % contre 16,4% en 2022).

En revanche, le pourcentage d’euthanasies pratiquées dans les hôpitaux et les unités de soins palliatifs reste stable (32 % pour 31,8% en 2022).

0,6 % des euthanasies concernaient des patients inconscients ayant fait une déclaration anticipée.

Dans la grande majorité des cas (79,2 %), le médecin estimait que le décès du patient était prévisible à brève échéance. Les patients dont le décès n’était manifestement pas attendu à brève échéance souffraient majoritairement de polypathologies, alors que le décès de patients cancéreux est rarement considéré tel.

Les affections à l’origine des euthanasies étaient des tumeurs (cancers) (55,5 %), une combinaison de plusieurs affections chroniques réfractaires (polypathologies) (23,2 %), des maladies du système nerveux comme une SLA ou maladie de Charcot (9,6 %), des maladies de l’appareil circulatoire comme un accident vasculaire cérébral ou AVC (3,2 %), des maladies de l’appareil respiratoire comme par exemple une fibrose pulmonaire (3 %), des affections psychiatriques comme les troubles de la personnalité (1,4 %), des troubles cognitifs comme les maladies d’Alzheimer (1,2 %), des maladies du système ostéoarticulaire comme les arthropathies ou les myopathies (0,7 %) et des lésions traumatiques comme une complication suite à une chirurgie (0,6%). Les autres catégories toutes rassemblées représentent 1,2 % des affections.

Le groupe de patients oncologiques reste le groupe le plus important de patients qui demandent l’euthanasie. il s’agissait surtout de tumeurs malignes des organes digestifs (estomac, colon), des organes respiratoires (poumon), du sein et des tissus lymphoïde, hématopoïétique et apparentés (leucémie).

Après les affections oncologiques, la raison majeure des demandes d’euthanasie reste les polypathologies (combinaison de plusieurs affections comme une insuffisance cardiaque terminale (NYHA 3-4), une hémiplégie due à un AVC et un cancer du poumon métastatique). En 2023, le nombre d’euthanasies pratiquées chez des patients atteints de polypathologies augmentent passant à 793 patients (23,2 %) contre 528 patients en 2022 (19,6 %).

Il y a des chiffres, rapportés à la mortalité nationiale et il y a la souffrance physique et psychologique, la solitude. Et la peur.

Et justement, on constate que les individus bénéficient de beaucoup plus de liberté qu'avant, à choisir leur destin ou définir leur propre identité. Et pourtant, on constate aussi à travers différentes études que le niveau de satisfaction comme de bonheur ne semble pas avoir progressé. Comment peut-on expliquer ce paradoxe ?

Damien Le Guay : C’est le paradoxe de la liberté. On peut considérer, à juste titre, la liberté individuelle comme constitutive de notre modernité politique. Or, quel usage en faisons-nous ? Loin d’approfondir notre singularité, nous nous évertuons à nous ressembler le plus possible. Notre conception de la liberté a changée. Marcel Gauchet met bien en avant l’ancienne conception d’une liberté qui met l’accent sur la singularité, sur l’arrachement à l’égard de nos déterminations sociales pour faire prévaloir nos mérites singuliers. J'ai la liberté de réussir, de faire ma vie, même si je ne suis que fils de boulanger. Mes talents sont plus forts que tout. Marcel Gauchet nous dit que cette conception-là est maintenant dépassée par une autre qu’il nomme un « individualisme de déliaison ». L’individu moderne doit montrer sa liberté, en faire usage pour bien montrer qu’il ne dépend de rien ni de personne. Rompre est désormais le dernier usage de sa liberté pour mettre en évidence que je ne suis pas englué dans des liens d’asservissement. La fluidité de genre, la « non binarité » (promue par le vainqueur de l’Eurovision), le passage d’une sexualité à l’autre sont autant d’indices de cette ultime ardente obligation de déliaison. Rien ne m’assigne plus sinon ma fluidité de tout et de tous. 

Mais  cet individualisme de déliaison à un coût psychologique. Il faut assumer cette indépendance – alors que nous sommes naturellement dépendant les uns des autres. La liberté nous isole quand la l’intersubjectivité affective nous rend dépendant les uns des autres. Or, l’esprit du temps nous contraint à la liberté et donc à la séparation, aux coupures, aux changements, aux replis sur soi seul. Est-on capable d’assumer affectivement ce que la liberté en fragmentation nous impose ? Tout est là. Telle est la question que nous n’osons pas nous poser de peur de retomber dans les dépendances, les assignations, les déterminations – qu’il nous faut fuir de toutes les manières possibles. Nous constatons qu’il y a comme un héroïsme de la liberté. Mon autonomie revendiquée se paie au prix de mon isolement social. Est-ce une choix ou une pathologique sociale ? On considère qu’en France existent cinq millions de personnes qui souffrent de solitude. Elles sont en dehors des réseaux de sociabilité, loin de leurs familles, sans commerce d’amitiés récurrentes – même si ces personnes travaillent. Cette coupure d'avec les autres leur donne la conscience d’être en trop, en marge, en incertitude d’existence. Elles ne trouvent pas de justification personnelle par et avec les autres. S’il faut être seul pour être libre, alors nous pouvons nous interroger sur cette conception de cette liberté de cassure et non de fraternité ! 

Même dans la prise en charge des individus, on ressent cette déliaison ?

Damien Le Guay : La conception médicale de la prise en charge des troubles psychologiques et des dépressions a changé. Edouard Zarifian, grand psychiatre, nous mettait déjà en garde il y quarante ans. Avant, la prise en charge de la dépression, de la déprime, de la mélancolie de toutes ces formes de perte de confiance en soi, passait par la parole, l’échange, le récit de soi pour mieux se réaligner sur ses assurances personnelles. Autrefois la confiance passait par la parole qui guérit et le retour à la socialisation. Des séances de psychothérapie ou de psychanalyse pouvaient redonner confiance à l'individu quand il manquait de confiance – en lui, en les autres, en son histoire et dans les liens d’affection. Or, disait Edouard Zarifian, un changement s’opère dans la prise en charge des dépression. Plutôt que d’en rester à la parole, il faut en passer désormais par le médicament, par le traitement chimique. Ses craintes étaient prophétiques. Nous ne pouvons que constater les évolutions de la psychologie américaine (avec le DSM 4 et 5 - le manuel de psychologie américaine qui s'est appliqué un peu à tout le monde) avec un classement puissant des pathologies et un recours rapide aux médicaments. L’industrie du médicament y gagne.

Mais surtout, nous voyons bien que l’usage rapide du médicament serait une façon de respecter la liberté de chacun, une façon moderne d'encourager cette autonomie moderne. Celui qui souffre va se soigner lui-même sans le recours à un tiers qui ferait irruption dans son gouvernement personnel, dans le sanctuaire de sa conscience. Le stade suprême de la liberté est de considérer que la conscience est un temple sacré à l’abri du regard des autres et des soins « intrusifs » des experts en psychologique. Seul l’individu, grand prêtre de sa conscience, peut y entrer, y pénétrer. Seuls les médicaments sont respectueux de cette nouvelle sacralité. Les antidépresseurs ne guérissent pas mais soulagent. Mais vivre avec un soulagement constant est plus respectueux de la liberté qu’une ouverture sa soi au regard d’un autre – fut-il un médecin. 

On revient à l'euthanasie. Quel impact cette logique de revendication des droits individuels a pu avoir concrètement pour les individus dans les pays concernés par la fin de vie ?

Damien Le Guay : Dans les débats qui ont lieu sur cette question de l'euthanasie, on ne tient pas compte les effets de contagion. Il y en a plusieurs. Le premier effet, c'est ce qu'on appelle « l’effet Werther ». Il est documenté. Quand on fait l'apologie ou la publicité d'un suicide «  remarquable » (comme celui de Marilyn Monroe ou de Werther – héros de Goethe) on constate une hausse au même moment des suicides. Il y a là un effet de contagion, de contamination par l’exemple. Et puis, second effet, mis en avant par Tocqueville : l’influence de la volonté de tous sur chacun. Ce que la société souhaite, autorise, légitime (comme l’euthanasie) entre en ligne de compte dans les choix de chacun. Plus l’individu est détaché de la chaine des liens, de l’histoire, de la société, plus il a recours à l’opinion de tous pour forger la sienne. Cet individu-là est influençable. Il est soumis à la pression de l'opinion générale. Tocqueville oppose la morale aristocratique (celle des meilleurs) à la morale démocratique. La morale aristocratique, dit-il, recours à des références extérieures : la religion, la leçon des sagesses antiques, l’idée qu’il se fait de sa noblesse morale. Il est capable de résister à la pression de tous. Il se détermine par lui-même. 

Puis, dit-il, il y a la morale démocratique – celle d’individus pénétrés du sentiment de l'égalité, qui ne se sentent pas différents des autres et même conformes aux autres, et qui cherchent, par leur similitude, à ressembler aux autres. Il y a là un effet d'influence, un effet de contagion, un effet d'imitation de ce qui est voulu par les autres. Ce que les autres veulent finit par devenir une morale collective avec son autorité qui détermine les manières d’agir de chacun.

D’où l’importance de la Loi – comme une manière d’établir une volonté collective qui est plus forte, plus importante que les volontés individuelles. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la Loi ne se fragmente pas en autant de droits individuels, elle fait masse, elle fait corps, elle dit la volonté de la collectivité sociale et dit surtout ce qui est licite et interdit – ce qui est le propre de la morale. Cette influence est explicite et tout à fait évidence quand l’individu est bien incapable de se déterminer par lui-même – quand bien même il a l’obligation de décider seul. La liberté individuelle est travaillée par la Loi de tous. Cette Loi devient un élément d’extériorité qui s’impose aux individus.

Et Tocqueville dit bien qu'il importe de tout faire pour ne pas laisser l'individu seul face à lui-même. Il faut des contrepoids, des associations, des groupes, des équilibres pour que l’individu ne soit pas abandonné à lui-même et donc, paradoxalement, abandonné à la suggestion collective. Il faut le protéger. Le soulager. Or, toutes ces protections ont sautés. Cela est d’autant plus vrai en fin de vie, en situation de fragilité, de faiblesse morale, psychologique et de souffrance physique. Dans ces situations-là, une personne est d’autant plus réceptive à la suggestion des autres. Et donc d’autant moins libre – alors qu’il devrait l’être pour se déterminer en toute conscience. 


Pascal Neveu : La loi Claeys-Leonneti me semble insuffisante. Mon ami Jean-Louis Touraine avec lequel j’ai longuement échangé est d’accord quant au fait qu’il faut repenser une meilleure loi :

-  Car une agonie insupportable suite à la privation d’hydratation et de nourriture du patient (cf jurisprudence Humbert avec menaces de mort sur le personnel médical par des groupuscules religieux)

-  Porter le projet de Loi 288 portée présidé par le député Falorni qui me semble le plus proche de nos amis Belges et protège via un collège d’experts, médecins, psychiatres, magistrats, civils . Les chiffres disent tout

-  Dépénalisaton ou légalisation ?

-  Donc Clause de conscience quant à l’acte létal



La mort appartient à tous et nous est propre.

Mais cet acte appartient à celui qui croit, ne croit pas, ne croit plus, souffre, a peur de cet après que personne ne connaît.

Le néfaste c’est sans doute le film « Amour » de Michael Haneke.

Et d’autres affaires dont les médias évitent de parler.

A nous de décider de dire au revoir dans la paix et l’amour de la vie que nous aurons tant essayé de vivre.

Mourir dans la Dignité… comme notre mère nous a donné naissance dans la Dignité.

Mourir sans souffrance.

Mourir en se rappelant être vivant.

Sans le choix d’un autre !

Les directives anticipées existent et peuvent êtres déposées sur votre carte vitale, auprès d’un médecin et proches, même notaire.

Le Service d’Information du Gouvernement a un devoir d’informer via service public !

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