Et le Royaume-Uni post Brexit parvint à s’imposer comme 4e exportateur mondial<!-- --> | Atlantico.fr
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L'économie britannique a connu une croissance de 0,6% entre janvier et mars, le taux le plus rapide depuis deux ans, selon les chiffres officiels.
L'économie britannique a connu une croissance de 0,6% entre janvier et mars, le taux le plus rapide depuis deux ans, selon les chiffres officiels.
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Miracle post Brexit ?

L'économie britannique a connu une croissance de 0,6% entre janvier et mars, le taux le plus rapide depuis deux ans, selon les chiffres officiels. La Grande-Bretagne se hisse également au 4ème rang mondial des pays exportateurs, dans un mouchoir de poche avec la France et les Pays-Bas.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Les statistiques montrent, contrairement à toutes les prédictions catastrophistes, que le Royaume-Uni est devenu le quatrième exportateur mondial. Le Brexit n'aura donc pas été le désastre annoncé ?

Charles Reviens : Les statistiques en question de l’agence « commerce et développement » de l’ONU placent en 2022 la Grande-Bretagne au 4ème rang mondial des pays exportateurs (très loin derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne) dans un mouchoir de poche avec la France et les Pays-Bas, avec des exportations de l’ordre d’un trilliard de dollars, loin des 2 de l’Allemagne, des 3 des USA et des 3.7 de la Chine.

Il en ressort une très grande stabilité si on compare les exportations 2022 avec celles de l’année 2019, année précédant le Brexit de janvier 2020. Le Brexit n’a donc été ni la catastrophe prévue pour ses détracteurs britanniques ou européens, ni l’entrée dans un âge d’or de prospérité annoncé par ses thuriféraires. Il n’y a à date ni impact négatif ou positif mesurable pour la place du Royaume-Uni dans le commerce mondial.

Michel Ruimy : Le Brexit n’est pas un événement ponctuel. Il est un processus en cours, 8 ans après le référendum, 4 ans après la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union Européenne et 3 ans après la sortie effective du marché unique européen. Au plan économique, il est une expérimentation rare puisqu’un pays a choisi d’ériger des barrières avec son principal partenaire commercial. 

Il est délicat de mesurer et d’identifier les effets du Brexit en raison notamment de la concomitance de cet évènement avec la crise sanitaire puis avec la guerre en Ukraine. La sortie de l’Union européenne (UE) a affecté négativement l’économie britannique, essentiellement via trois canaux : le commerce, l’investissement des entreprises et le marché du travail. 

Toutefois, alors que la plupart des économistes prévoyaient des effets négatifs à terme sur certains pans de l’économie, l’Office for National Statistics a publié, le 1er septembre 2023, une révision statistique majeure portant sur les années 2020 et 2021. Il en ressort que l’économie britannique était nettement plus solide qu’estimé initialement. Si ce nouveau calcul est correct, et si les statistiques de 2022 et 2023 ne sont pas, elles-mêmes, complètement modifiées, ceci signifierait que l’économie britannique a mieux rebondi que celle de certains pays du G7. Selon le FMI, en 2022, avec un Produit intérieur brut de 3 071 milliards USD, le Royaume-Uni a été la 6ème économie mondiale et la 2ème économie européenne derrière l'Allemagne (4 075 milliards USD) et devant la France (2 785 milliards USD), ce qui contredit le narratif d’« homme malade de l’Europe », véhiculé jusqu’ici.

Comment expliquer ces chiffres ? Le Royaume-Uni est-il devenu plus compétitif en quittant l'Union européenne ?

Michel Ruimy : Si le cataclysme annoncé par certains n’a pas eu lieu, l’économie britannique a néanmoins subi d’importantes perturbations. L’incertitude engendrée par le Brexit a rendu les échanges moins fluides, les investisseurs moins confiants dans l’avenir et les tensions observées sur le marché du travail plus accentuées par le recul de l’emploi des ressortissants de l’UE.

Afin de réduire le coût du Brexit, le gouvernement a notamment soutenu l’investissement des entreprises et a accru l’offre sur le marché du travail. Le dernier budget a ainsi pérennisé le régime d’amortissement des investissements pour les entreprises et a réformé le système d’épargne-retraite pour rendre plus attractives les carrières longues. Par ailleurs, le Royaume-Uni substitue désormais à son immigration européenne, celle du reste du monde, avec une immigration non européenne nette de près de 700 000 personnes. Concernant le commerce, il mène une politique extérieure de mise en place d’accords commerciaux, en particulier avec l’Australie (2021) et la Nouvelle-Zélande (2022). Plus spécifiquement, concernant les services financiers, le Brexit a été l’occasion de passer au peigne fin toutes les réglementations héritées de l’UE afin de les rendre plus compétitifs. 

Au total, si la compétitivité du pays a accusé le coup, à l’échelle des villes, Londres demeure la cité la plus attractive d’Europe en nombre d’investissements directs étrangers grâce notamment à la « City » qui a su attirer les investissements les plus stratégiques (sièges sociaux, firmes de la finance et entreprises de la « tech »).

Charles Reviens : Analyser la situation économique britannique et même sa seule compétitivité sur le seul angle des exportations est un peu court. Il faut se référer à une analyse plus globale, comme le fait par exemple l’économiste du Crédit Agricole Slavena Nazarova dans note d’avril 2024.

Le Royaume-Uni est en situation de solde commercial déficitaire structurel pour les biens en services, avec une contribution négative du commerce extérieur à la croissance du PIB, situation partagée avec la France. Le pays n’est absolument pas dans une situation de solde structurel fortement positif comme la Chine ou l’Allemagne au cours des dernières décennies.

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Le Brexit a réduit l’accès des produits britanniques aux marchés de l’Union européenne (47 % des exportations désormais contre 54 % pour les 20 années précédent le Brexit) sans réduire son appétence pour les produits européens. Il y a donc eu une compensation partielle avec le reste du monde, en dépit des impacts négatifs liés à l’évolution du taux de change de la livre et d’une inflation plutôt plus élevée qu’ailleurs en 2022 et 2023, compensation surtout liée à la baisses des importations extra européennes.

L'économie britannique s'en porte-t-elle mieux ? Pourquoi ?

Charles Reviens : Au Royaume-Uni le Brexit a coïncidé avec le début de la pandémie covid-19 se traduisant par une récession considérable en 2020 (10 % de réduction du PIB) suivie par une croissance de rattrapage de 8.7 % en 2021 puis 4.3 % en 2022, avant de tomber en récession en 2023, avec 2 trimestre de suite de croissance négative et 0.1 % de croissance sur l’ensemble de l’année suite en lien avec l’augmentation des taux d’intérêt (les plus élevés en 16 ans) pour faire face au choc inflationniste.

Slavena Nazarova considère ainsi que le Royaume-Uni rentre dans une phase de croissance molle portée par la consommation des ménages et l’investissement, en dépit de la contribution négative à la croissance du commerce extérieur.

Michel Ruimy : La sortie de l’UE a eu des effets négatifs sur la vie du pays. Les performances économiques décevantes ont pour effet de renforcer voire exacerber les inégalités existantes (sociales, culturelles, géographiques…). Mais, l’économie britannique, en butte aux coups de boutoir conjugués du Brexit, de la pandémie et de la crise de l’énergie, s’est montrée plus solide que prévu, ce qui lui a permis d’échapper au risque d’une longue récession. La vigueur des exportations de services illustre d’une part, la position dominante du Royaume-Uni dans des secteurs à forte valeur ajoutée tels que le conseil, où il existe peu d’obstacles au commerce et d’autre part, le fait que la pandémie ait contribué à normaliser la prestation des services à distance.

Cependant, le Royaume-Uni est le seul grand pays européen où la main d’œuvre n’a pas retrouvé son niveau pré-pandémie. La pénurie de travailleurs en provenance de l’Union européenne a eu des répercussions négatives sur des secteurs spécifiques (hôpitaux, restauration, transports, éducation…). Ceci s’est traduit, en particulier, par une hausse des prix et une réduction de la production et de l’offre dans les secteurs concernés. 

Malgré les efforts déployés, les résultats resteront limités. L’avenir du Royaume-Uni a bien peu de chances de ressembler à la vision de la « Global Britain » des gouvernements conservateurs, libérée du joug communautaire et championne mondiale du libre-échange. Si l’utilité des accords de libre-échange pour le commerce des marchandises reste réduite compte-tenu de sa position géographique, le Royaume-Uni continuera à dépendre des chaînes d’approvisionnement de l’Union Européenne.

L'économie britannique connaîtra pourtant l'année prochaine la croissance la plus lente des plus grands pays développés. Selon l’OCDE, le PIB du Royaume-Uni augmentera seulement de 1 % en 2025. Alors que le Royaume-Uni est devenu le quatrième exportateur mondial, comment expliquer ces perspectives plus négatives et un tel ralentissement pour la croissance à l’avenir ?

Michel Ruimy : Au plan économique, il ne faut pas oublier que 2023 a été, pour le Royaume-Uni, la plus mauvaise année depuis la crise des « subprimes ». En effet, l’économie britannique est entrée en récession technique dans la seconde moitié de l’année, les taux d'intérêt directeurs se sont établis à 5,25% (plus haut niveau depuis 15 ans) mettant la Banque d'Angleterre sous pression pour les baisser. Enfin, la consommation des ménages n’a progressé que de 0,4%, la hausse des prix ayant amputé le pouvoir d’achat des Britanniques.

Ainsi, l’économie britannique devrait manquer d’élan dans les prochains mois avec un faible rebond des dépenses de consommation comme principal moteur de toute augmentation du Produit intérieur brut alors que, même si le taux d’inflation a diminué plus rapidement que prévu, l’inflation de base reste élevée. 

Dans un contexte de stagflation (inflation relativement élevée conjuguée à une croissance économique anémique) et devant la morosité des perspectives, il est tout à fait plausible que le Royaume-Uni enregistre, dans les prochains mois, la croissance la plus faible des pays développés.

Charles Reviens : L’explication principale des faibles prévisions de croissance britannique tient au frein lié au resserrement passé de la politique monétaire pour casser l’inflation particulièrement forte. Toutes les économies ouest européennes et le Japon sont dans une zone de croissance faible autour de 0.5 % en 2024 et 1 % en 2025 selon les prévisions OCDE, ce qui marque un écart important avec l’Amérique du Nord (2.6 % de croissance en 2024 et 1.8 % en 2025 pour les USA).

Même avec une croissance lente, les prévisions de l'OCDE montrent-elles que le Royaume-Uni est en train de gagner la guerre contre l'inflation ?

Charles Reviens : L’OCDE considère que l’inflation devrait continuer de se modérer par rapport à l’objectif de 2 % défini par la Banque d’Angleterre à mesure que les prix de l’énergie et des produits alimentaires baissent, mais les pressions persistantes sur les prix des services maintiendront l’inflation sous-jacente à un niveau élevé à 3,3 % en 2024 et à 2,5 % en 2025, donc au dessus de l’objectif de 2 %.

Michel Ruimy : Cette prévision n’est pas particulièrement surprenante étant donné que la priorité du gouvernement en 2023 a été de lutter contre l’inflation avec des taux d’intérêt élevés. Alors qu’il avait atteint un pic à 11,1% en octobre 2022, le taux d’inflation (3,2 % en avril) s’approche un peu plus de la cible visée (aux alentours de 2%) en raison principalement de la baisse des prix de l’énergie et ceux des biens industriels tandis que l’inflation dans les services est relativement rigide.

Mais, malgré ces bons résultats, des risques demeurent notamment ceux liés à la persistance des tensions sur le marché du travail. En effet, bien que le taux de chômage soit bas (4,2%), le taux d’inactivité s’inscrit de nouveau en hausse et la croissance des salaires est toujours élevée (Le salaire minimum - National Living Wage - a été relevé de 10% en avril ainsi que le plafond des salaires des travailleurs immigrés). Des effets de second tour risquent ainsi de continuer à tirer vers le haut les pressions inflationnistes, notamment dans les secteurs des services qui sont les plus intensifs en main-d’œuvre peu qualifiée.

Dès lors, face à la détérioration des perspectives de croissance, l’inflation aura du mal à suivre sa décrue, ce qui signifie le maintien des conditions financières restrictives au détriment de la croissance économique.

L'économie du Royaume-Uni a connu une croissance de 0,6% entre janvier et mars, le taux le plus rapide depuis deux ans, selon les chiffres officiels. Le Premier ministre Rishi Sunak a déclaré que l'économie avait « franchi un cap » avec cette sortie de la récession. Ces chiffres sont-ils prometteurs ? Qu’est-ce que cela traduit sur la relative bonne santé de l’économie britannique alors que le pire était envisagé suite aux conséquences potentielles du Brexit ?

Michel Ruimy : L’économie britannique soigne les plaies dont elle souffrait depuis la sortie de la pandémie. Résultat ? Elle est passée d’une absence de croissance à une croissance faible mais plus forte qu’anticipée et plus marquée qu’aux Etats-Unis, qu’en Allemagne, qu’en Italie ou encore qu’en France (+0,2%). Une croissance qui repart et une moindre inflation. 

Si la situation semble prometteuse, il faut savoir raison gardée. Après une année 2023 marquée par une détérioration progressive de l’activité, la croissance devrait tout juste se maintenir en territoire positif en 2024 en raison notamment d’une faiblesse persistante de la productivité. Malgré le regain de pouvoir d’achat et la bonne tenue du marché du travail, la consommation privée reste déprimée. À l’approche des élections législatives, prévues en fin d’année, le Premier ministre peine à rassurer les ménages qui subissent encore une hausse des prix, qui reste supérieure à l’objectif de 2% fixé par la Banque d’Angleterre, et des taux d’intérêt élevés.

Pour relancer l’économie, le nouveau gouvernement britannique devra augmenter le taux d’emploi, résoudre les problèmes de productivité du pays et améliorer ses relations avec l’Union européenne.

Charles Reviens : Cet indicateur de croissance trimestrielle de 0.6 % à la prévision de la Banque d’Angleterre à 0.4%. Il indique que le Royaume-Uni est sorti de récession. Toutefois la Banque d’Angleterre prévient du caractère très modéré de la reprise, sachant que la prévision de croissance du FMI pour l’ensemble de l’année 2024 est calée à 0.5 %.

Les analystes prévoient tous une croissance molle, liée principalement à court terme au niveau du taux directeur (5.25%) de la Banque d’Angleterre et l’objectif de réduction de l’inflation. Le Brexit est considéré comme acté sans impact ni mirobolant ni catastrophique pour l’économique britannique.

Concernant les commentaires politiques, il ne faut pas oublier que les élections générales (législatives) au Royaume-Uni ne peuvent avoir lieu plus tard que le 28 janvier 2025 avec à date une avance massive pour le parti travailliste dans l’opposition depuis 2010. Les conservateurs parlent d’un « cap franchi » tandis que Rachel Reeves, la chancelière du gouvernement fantôme travailliste, a accusé le gouvernement d'induire le public en erreur sur l'état de l'économie, affirmant que les déclarations gouvernementales sur le facteur « feelgood » étaient totalement déconnectées des réalités de terrain.

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