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Le chanteur suisse Nemo après avoir remporté la finale du 68e Concours Eurovision, le 11 mai 2024 à la Malmo Arena à Malmö, Suède.
Le chanteur suisse Nemo après avoir remporté la finale du 68e Concours Eurovision, le 11 mai 2024 à la Malmo Arena à Malmö, Suède.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Fractures

Les regards se sont focalisés sur la candidate Israélienne mais d’autres lignes de fractures entre Europe de l’Ouest, de l’Est, du Nord et du Sud étaient particulièrement visibles pendant l’édition 2024 de l’Eurovision.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Hubert Huertas

Hubert Huertas

Journaliste, écrivain et essayiste, Hubert Huertas commence sa carrière au milieu des années 1970

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Atlantico : Cette année, l’Eurovision a été marquée notamment par l’appel au boycott de la candidate israélienne, Eden Godan, en raison de la guerre menée par l’Etat Hébreu au Hamas. L’Eurovision est souvent décrit comme un reflet des dynamiques géopolitiques en Europe. Quelle leçon peut-on tirer du déroulé de la compétition, ainsi que des résultats de la finale ?

Florent Parmentier : En effet, il est possible de voir dans l’Eurovision un miroir déformant des identités européennes, et des tensions européennes qui traversent le continent. Cette compétition est à la fois symbole d’unité et de division pour le continent.

L’appel au boycott a effectivement été le fait marquant en amont de la finale de l’Eurovision. En relations internationales, les boycotts ont généralement trois fonctions : attirer l’attention sur une cause, contraindre un acteur international à changer son comportement ou influencer la prise de décision d’un acteur international. Dans le cas présent, l’attention a été attirée vers le conflit palestinien, beaucoup plus qu’il y a deux ans quand l’édition était centrée sur la guerre en Ukraine, quelques semaines seulement après le début de ce conflit.

Concernant la finale, il faut souligner la dichotomie entre une candidate contestée dans la rue (dans un climat pesant et menaçant) et boudée par les jurys professionnels, et un vote du public qui a placé Israël en seconde position avec 323 points, juste derrière la Croatie. Faut-il y voir une majorité silencieuse européenne hostile au Hamas, instigateur des massacres du 7 octobre, ou une action coordonnée d’Israël et de ses soutiens pour tenter de masquer un rejet de la politique brutale de Netanyahu à Gaza ? Diverses interprétations sont possibles.

Cette année, l'Eurovision s'est soldé sur la victoire de Némo, le candidat suisse qui revendique fièrement son "identité non-binaire". Les candidats d'Europe de l'Ouest et d'Europe de l'Est présentaient-ils le même genre de profil, où la question de l'identité de genre et de l'attirance sexuelle constitue-t-elle une ligne de rupture dans le cadre de cette compétition ?

Hubert Huertas : Disons que dans ce concours Eurovision, un certain militantisme communautaire de l’Ouest a pu contraster avec des préjugés d’Etat, voire des répressions, à l’Est. Toutefois, ce contraste peut faire parler chez nous, mais je pense qu’il passe au dessus de la tête du grand public. La question de l’homosexualité ou de ce qu’on appelle l’identité de genre est par bonheur dépassée en France, et le militantisme qui consiste à tronçonner les préférences sexuelles des uns et des autres en une multitude de « spécialités » est tellement ridicule, outrancier, et illisible avec ses « iel » et son écriture excluante que tout le monde s’en contrefiche à part des groupuscules d’extrême-gauche et des réacs d’extrême-droite.

A quel point peut-on supposer que le conflit à Gaza a pu peser sur les résultats de ce samedi soir ?

Florent Parmentier : Le conflit à Gaza a clairement pesé sur la compétition, en installant une ambiance inhabituelle, dans un fort climat de polarisation. Paradoxalement, on peut penser que les militants de la cause palestinienne ont contribué à mobiliser les partisans d’Israël, sans pour autant amener les fans à soutenir une candidature alternative à celle de la candidate israélienne Eden Golan. Autrement dit, si cette dernière a été peu récompensée par le vote des jurys, la campagne dont elle a été l’objet a renforcé l’identification d’un groupe, a renforcé des opinions de ce groupe et a conduit à une intensification des émotions. Cela a donc eu un impact au moment du vote.

L’Eurovision est également perçu comme un outil de soft power international. Faut-il penser qu’il aura permis à Israël de soigner son image/qu’il a contribué à écorner l’image d’Israël aux yeux du reste du monde occidental ?

Florent Parmentier : L’Eurovision est clairement un outil de rayonnement. C’est en ce sens que Laurent Fabius, lorsqu’il était Ministre des affaires étrangères, avait attiré notre attention au cours d’un entretien à la radio sur ce point et la nécessité pour la France de mieux figurer.

Le bilan pour Israël est très contrasté sur cette édition de l’Eurovision. L’attention portée au conflit israélo-palestinien a été à son paroxysme, augmentant la pression internationale sur le gouvernement de Netanyahu. Nul ne peut ignorer l’indignation d’une partie significative des opinions publiques européennes à l’heure des réseaux sociaux qui font caisse de résonance. Le succès d’Eden Golan peut également donner corps à la théorie de la majorité silencieuse, selon laquelle une grande partie de la population, bien qu'elle ne s'exprime pas publiquement ou activement, partage souvent des opinions similaires sur certaines questions. En d’autres termes, ces opinions peuvent ne pas être reflétées dans les votes des jurys professionnels, mais elles peuvent néanmoins influencer les attitudes et les comportements collectifs, à savoir les votes du public.

Quelles ont été les différentes lignes de rupture pendant la compétition ? Que dire, par exemple, du traitement de la candidate Israélienne, qui a reçu le plus grand nombre de votes de la part du public... en dépit des appels au boycott dont elle a pu faire l'objet ?

Hubert Huertas : Le traitement réservé à la chanteuse israélienne témoigne d’une honteuse et inquiétante inversion des valeurs qui fait dire à des gens qui se pensent sensibles et généreux que chanter une tragédie endurée par son peuple est une agression contre le peuple dont sont issus ses agresseurs. Ces huées sentent terriblement l’antisémitisme décomplexé. Le vote massif du public pour la chanteuse israélienne laisse cependant espérer que sous la mousse et les paillettes quelque chose résiste à ce constat désolant.

Quelle est l'interprétation que l'on peut faire de ces différentes lignes de fracture entre les différentes nations participantes ? Faut-il penser qu'il existe des Europes difficile à rapprocher comme il existe des eurovisions multiples ?

Hubert Huertas : Le plus inquiétant n’est pas l’idée qu’il y ait des Europes difficiles à rapprocher. C’est de craindre au contraire qu’elles se rapprochent, mais pas sur les valeurs de tolérance. Et que l’Ouest qui se targue de libertés sociétales où un chanteur qui ne veut être ni homme ni femme peut tranquillement gagner un concours international de chanson cède à des pulsions de rejets qu’on pensait plus proches de l’ancien bloc soviétique. Dans cet Eurovision, le paradoxe le plus accablant est de voir une avant-garde libertaire de l’Ouest rejoindre les rejets obscurantistes des pays dans lesquels elle serait persécutée si elle y habitait.

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